Vous le savez et ce n’est pas nouveau, le secteur social traverse une crise d’attractivité sans précédent. Malgré une image globalement positive auprès des jeunes, nos métiers peinent à séduire les nouvelles générations. Cette affirmation est confortée par une récente étude de l’Ifop pour Nexem, dévoilée le 9 octobre dernier lors des rencontres rémoises de l’organisation patronale.
Un paradoxe inquiétant
L’enquête révèle une sorte de contradiction : alors que 65% des 16-25 ans ont une bonne image du secteur social et médico-social, seuls 15% d’entre eux envisagent « certainement » d’y faire carrière. Comment expliquer un tel décalage entre la perception et les intentions ?
D’un côté, les jeunes reconnaissent massivement l’utilité sociale du secteur. Pas moins de 79% le jugent « essentiel au bon fonctionnement de la société française ». Ils sont même 93% à estimer que ces métiers ont un impact social significatif. Le sens et les valeurs sont donc bien au rendez-vous.
Mais de l’autre, les freins s’accumulent. Le secteur souffre d’abord d’un cruel manque de visibilité et de compréhension. Seuls 38% des sondés déclarent bien connaître le domaine du social et médico-social, contre 48% pour celui de la santé. La confusion règne dans l’esprit des jeunes entre action sociale, sanitaire et médico-social. Finalement, ils ne voient pas bien de quels métiers il est question précisément. C’est assez ennuyeux. À force de parler du social et du médico-social au senslarge du terme, les jeunes ne parviennent pas à identifier ce dont il s’agit pour les métiers du travail social.
Plus inquiétant encore, l’image des conditions de travail et des perspectives de carrière est désastreuse. 65% jugent ces métiers peu rémunérateurs, 51% peu attractifs. Seule la moitié des répondants pense qu’ils offrent d’intéressantes perspectives d’évolution. Quant à l’équilibre vie pro/perso, il semble illusoire pour 42% des sondés. Finalement, les jeunes interrogés ne sont pas dupes de la situation.
Le constat est sans appel : malgré des valeurs fortes et une utilité sociale reconnue, le secteur peine à convaincre sur les aspects concrets et matériels. Un cocktail explosif qui explique la désaffection des jeunes.
Un secteur fragilisé et dévalorisé
Au-delà de l’image des métiers, c’est tout le secteur qui apparaît en difficulté aux yeux de la jeunesse. 80% le jugent « fragilisé », un chiffre qui monte même à 86% chez les 16-18 ans. Plus inquiétant encore, 73% estiment qu’il est « peu reconnu et valorisé par la société ». Ont-ils vraiment tort ? Si les jeunes ont du mal à identifier les métiers, ils ont toutefois bien compris que ce sont des emplois peu rémunérateurs.
Cette perception d’un secteur en crise n’est pas sans fondement. Les difficultés de recrutement se sont aggravées au fil des années, avec des milliers de postes non pourvus. La crise sanitaire n’a fait qu’exacerber les tensions. Elle a mis en lumière les besoins de personnel dans de nombreux établissements. Mais cette crise a aussi contribué à une prise de conscience des professionnels en activité. Certains sont partis après avoir mesuré l’écart qui existe entre ce qui est dit de nos métiers et ce qui est réellement effectué sur le terrain. Certains ne veulent plus cautionner des pratiques qui ne respectent pas leur éthique.
Le sous-financement chronique du secteur associatif n’arrange rien. Beaucoup d’associations sont au bord de l’asphyxie financière, peinant à maintenir la qualité de l’accompagnement. Un contexte peu propice pour attirer de nouvelles recrues. Car quand une structure est en difficulté financière, elle a du mal à recruter avec de bons salaires. Autant alors aller ailleurs.
La méconnaissance du secteur associatif est aussi un élément frappant : seuls 19% des jeunes savent qu’il est majoritairement composé d’associations. La majorité (51%) l’imagine relevant du secteur public. Un déficit d’image qui pèse lourd.
Dans ce tableau déjà sombre, un chiffre interpelle particulièrement : 62% des jeunes jugent le secteur « peu efficace ». Une perception dévastatrice qui traduit sans doute les critiques récurrentes sur la bureaucratisation et le manque de moyens. Comment donner envie de s’engager dans un secteur perçu comme inefficace ? Où les professionnels sont en quelque sorte empêchés ? Ce que donne à voir les formateurs de terrain de leur travail n’est pas très positif non plus. Et la plainte des professionnel(le)s est aussi maintenant connue en dehors de notre secteur
Des métiers méconnus et dévalorisés
L’enquête pointe du doigt la méconnaissance des différents métiers du social. Sans surprise, les professions les plus connues sont celles d’infirmier. Les assistants sociaux restent bien identifiés mais bien loin derrière. Les éducateurs sont encore moins cités.
Cette méconnaissance n’est pas anodine. Elle traduit un manque criant de visibilité et de valorisation de ces professions dans l’espace public. Comment susciter des vocations pour des métiers dont on ignore jusqu’à l’existence ? Ou dont on en a une image dévalorisante ? à force de dénoncer l’assistanat, les métiers de l’assistance ne font plus recette. C’est le moins que l’on puisse dire
Ce fait est confirmé par un agent de pôle emploi que j’ai pu récemment interroger. Il ne s’explique pas pourquoi, selon lui, plus personne ou presque ne s’intéresse aux métiers qui font des liens et qui s’intéressent aux autres. « les gens fuient littéralement les métiers de contact ». Cela concerne autant les enseignants les conseillers bancaires ou les travailleurs sociaux. Les plus jeunes préfèrent me dit-il, travailler sans être en contact avec les autres. Faire sa journée devant son ordinateur et cela suffit.
Quelques motivations intactes, mais insuffisantes
Malgré ce tableau peu reluisant, les motivations de ceux qui envisagent une carrière dans le social restent intactes et fidèles aux valeurs du secteur. Le désir d’aider les autres (52%) et la volonté d’exercer un métier avec du sens (50%) arrivent en tête des raisons invoquées. Le tout est de savoir les retenir et ne pas les faire déchanter dès leur premier emploi. Un autre tableau nous montre que l’utilité sociale des métiers est un avantage qui motive celles et ceux qui souhaitent intégrer le secteur.
Force est de constater que ces motivations altruistes ne suffisent plus. Dans un contexte économique tendu, les jeunes aspirent aussi légitimement à des perspectives de carrière et à des conditions de travail décentes. Or sur ces aspects, le secteur social déçoit largement.
L’équation impossible du recrutement
Face à ce constat, les employeurs se trouvent confrontés à une équation quasi impossible à résoudre. D’un côté, les besoins en recrutement sont immenses. Le vieillissement de la population et l’augmentation des situations de précarité et d’exclusion génèrent une demande croissante d’accompagnement social.
De l’autre, le vivier de candidats potentiels se tarit. Certes, une évaluation de Nexem estime à 500.000 le nombre de jeunes qui pourraient envisager une carrière dans le secteur. Mais ce chiffre, qui peut paraître important, est en réalité très insuffisant au regard des besoins.
Comment dès lors attirer et fidéliser les talents dont le secteur a cruellement besoin ? La question se pose avec d’autant plus d’acuité que la concurrence d’autres secteurs, offrant de meilleures conditions, se fait de plus en plus rude.
Des pistes pour renforcer l’attractivité
Face à ce constat alarmant, Alain Raoul, le président de Nexem, appelle à « renforcer l’attractivité de ces métiers auprès des jeunes, que ce soit en termes de rémunération ou de parcours de carrières ». Un appel qui risque de rester lettre morte sans une mobilisation massive des pouvoirs publics. En période de restrictions budgétaires annoncées, personne ne voit bien ce qui va se passer.
Plusieurs pistes peuvent être envisagées. La revalorisation salariale, déjà engagée dans certains secteurs comme celui du grand âge, doit être poursuivie et amplifiée. Mais elle ne suffira pas.
Il faut aussi travailler sur l’image des métiers. Mais multiplier les campagnes d’information et de sensibilisation n’est-ce pas une vue à court terme ? L’accent doit être mis sur la diversité des carrières possibles et les opportunités d’évolution. Il faut aussi savoir parler de nos métiers précisement en donnant à voir leur intérêts particuliers.
La formation est un autre levier. Il faut non seulement mieux faire connaître les cursus existants, mais aussi les faire évoluer pour les rendre plus attractifs. Le développement de l’alternance, est reconnu par 35% des jeunes interrogés, comme une piste intéressante.
Enfin, c’est tout l’environnement de travail qui doit être repensé. Comment garantir un meilleur équilibre vie pro/perso ? Comment réduire la charge administrative pour recentrer les professionnels sur le cœur de leur métier ? Autant de questions qui appellent des réponses urgentes. Le livre blanc du travail social a tout dit des mesures à mettre en place. Mais aucune réponse politique n’arrive. Le gouvernement semble bien avoir d’autres préoccupations.
Un enjeu de société majeur
Au-delà des aspects sectoriels, c’est un véritable enjeu de société qui se joue. Dans un contexte de crise sociale et de montée des inégalités, notre pays a plus que jamais besoin de travailleurs sociaux compétents et engagés. Le risque est grand de voir se creuser un fossé entre les besoins croissants d’accompagnement social et la capacité du secteur à y répondre. Les conséquences pourraient être désastreuses en termes de cohésion sociale.
L’attractivité du travail social est donc un sujet qui nous concerne tous. Il est grand temps que les pouvoirs publics prennent la mesure de l’urgence et engagent un plan d’action ambitieux. L’avenir de notre modèle social en dépend.
Sources :
- Attractivité: seuls 15% des jeunes envisagent « certainement » une carrière dans le médico-social | ASH
- PLF / PLFSS PlaidoyerLes propositions de Nexem pour le budget 2025 | Nexem
- Communiqué : Enquête IFOP/Nexem sur l’attractivité des métiers du secteur social, médico-social et sanitaire auprès des jeunes
- L’attractivité des métiers du secteur social, médico-social et sanitaire auprès des jeunes | IFOP
- Présentation PDF de l’enquête
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