La lente dégradation des services publics explique-t-elle celle des services sociaux ?

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La Poste, la SNCF, la RATP, les hôpitaux, et demain les services sociaux ?  Un article particulièrement intéressant intitulé « Le crépuscule des services publics » permet de comprendre le processus global engagé à l’encontre de ces services au nom d’une nécessaire modernisation. Son auteur, Nadège Vezinat, est maîtresse de conférences à l’Université de Reims Champagne Ardenne, directrice du département d’économie et de sociologie et membre du laboratoire REGARDS.

Dans sa recherche, Nadège Vezinat constate que la dégradation des services publics dont se plaignent les usagers suit un mécanisme relativement similaire d’un secteur à l’autre. Elle en a tiré un schéma intitulé le « cercle vicieux de la détérioration des services publics »

cerclevicieux

Le point de départ du processus est presque toujours rattaché à une exigence de rentabilité. Mais revenons avant d’aller plus loin sur ce qu’est un service public

Qu’est ce qu’un service public ?

La notion de service public regroupe deux éléments distincts.  Elle désigne d’une part, une activité ou une mission d’intérêt général et de l’autre l’ensemble des organismes, qu’ils soient publics ou privés, chargés de mener à bien ces missions d’intérêt général.

Le site viepublique.fr  distingue 4 typologie de ces services si particuliers

  1. Ceux  à finalité d’ordre et de régulation (la défense nationale, la justice, la protection civile, les ordres professionnels…),
  2. Ceux ayant pour but la protection sociale et sanitaire (sécurité sociale, service public hospitalier…), c’est là que l’on y trouve les services sociaux et éducatifs…
  3. Ceux à vocation éducative et culturelle (enseignement, recherche, service public audiovisuel…)
  4. ceux à caractère économique.

Trois grands principes régissent leur fonctionnement

  1. la continuité du service public doit être assurée
  2. tous doivent pouvoir y avoir accès : c’est l’égalité de traitement
  3. l’adaptabilité ou mutabilité. le service public modifie sans cesse ses modes d’intervention pour répondre au mieux aux besoins de tous

Pourquoi ce détour pour expliquer la boucle du cercle vicieux de la dégradation des services publics ?

Un service public ne peut à priori être rentable s’il assure le même service à tous

Or le premier point qui est présupposé est qu’il doit répondre à une exigence de rentabilité. Sauf à faire payer les utilisateurs de ces services, et dans ce sens provoquer l’exclusion des plus pauvres. Tous ne sont pas  en capacité de payer les services qui s’adressent à eux. Selon l’adage, le service public est la richesse des pauvres, de celles et ceux qui ne peuvent accéder aux services privés. C’est pourquoi il existe des systèmes de compensation car si le service public à vocation à être gratuit, il a un coût qui est répercuté par des taxes et impôts qui finalement permettent une forme de redistribution.

Mais aujourd’hui personne ou presque ne veut payer d’impôts alors qu’ils sont à la base du financement des services publics et de la solidarité nationale

Que dire du service public géré par un services privé ?

Le service privé (sauf le secteur associatif – à but non lucratif) a nécessairement besoin de tirer un avantage ou du moins un profit. Il est paré de toutes les vertus alors que son fonctionnement pose un réel problème. Quelques exemples nous sont donnés par la journaliste Isabelle Jarjaille auteur d’un ouvrage intitulé « Services publics délégués au privé : à qui profite le deal ?« 

Isabelle Jarjaille s’est d’abord intéressée aux autoroutes. L’Etat les a cédé pour 14,8 milliards d’euros alors qu’ils rapportent 4 milliards par an de dividendes aux sociétés qui les exploitent. Un achat initial remboursé en moins de 4 ans. Faites le compte. Malgré les coûts d’exploitation, c’est tout bénéfice.

Elle s’est posée la question de savoir pourquoi la puissance publique prend des décisions aussi absurdes pour les finances de l’Etat. Il en est de même pour des collectivités locales qui signent des délégations de service public à des grands groupes qui, au final, se révèlent catastrophiques pour les finances locales.  Que provoque aussi cette gestion des autoroutes ? Au regard des tarifs, les automobilistes les plus  modestes ne les utilisent plus. Le trafic se déporte sur les routes nationales et départementales qu’il faut encore plus entretenir.

On est loin du social direz vous ? Pas tout à fait. Avec cette enquête, la journaliste fait un constat : « Si l’État court après le moindre euro quand il s’agit de dépenses sociales, nos gouvernants n’ont pas autant d’états d’âme en laissant filer des millions d’euros d’argent public vers le privé ».

Pendant combien de temps tout cela va-t-il durer ?  Les partenariats public privé (PPP),  sont des «bombes à retardement budgétaire» déjà dénoncés dans un rapport sénatorial qui date de 2014. La phase suivante est toute trouvée : le rachat direct.   On l’a vu récemment avec un hôpital public en Maine et Loire en passe d’être racheté par un groupe privé.

La dualisation des services est en oeuvre : le retour d’une 3ème classe

Nadège Verzinat l’explique très bien : La dualisation des services selon les prix fait directement écho au phénomène relevé  par Dominique Memmi qui constate le retour d’une « troisième classe » et la segmentation des usagers de la SNCF.  Cela conduit à offrir aux uns des transports haut de gamme (« TGV Inoui » avec une attention portée sur l’accueil des passagers et un accès au wifi pendant le voyage) et aux autres des transports « low cost » (« trains Ouigo » centrés sur le strict minimum, la poubelle par exemple n’en faisant pas partie).

Ne sommes-nous pas dans les services sociaux inscrits dans cette logique « dualisation »? Un service social recentré vers « les pauvres et les exclus » alors qu’à l’origine le service social et la protection de l’enfance s’adressait à tous (comme la PMI). En effet les moyens financiers dont on dispose, même s’ils aident, ne mettent pas à l’abri les victimes de violences conjugales, ceux qui  perdent leur emploi sans parachute doré, ni non plus les risques de maltraitances des enfants ou encore des personnes âgée. Le travail social s’adresse à tous car nul n’est à l’abri d’un accident de la vie.

« Dégrader jusqu’à l’absurde les conditions de travail »

Le collectif des économistes atterrés a de son côté rédigé une tribune publiée par Marianne.  Il explique que « Du côté des collectivités territoriales, des hôpitaux, des opérateurs publics, l’austérité imposée par Bruxelles et avalisée par le gouvernement conduit à dégrader jusqu’à l’absurde les conditions de travail. Dans telle école maternelle on supprime des postes d’assistant d’éducation, dans tel hôpital des aides-soignants… »

On pourrait ajouter les services sociaux et éducatifs qui sont culpabilisés par les pouvoirs exécutifs locaux qui se plaignent de l’impact de ces services sur leurs finances. C’est pourtant logique puisque les Départements se sont vus déléguer par l’Etat une grande partie de  l’action sociale qu’il gérait par le passé : le RSA et la protection de l’enfance ainsi que d’autres services tels ceux dédiés ausx personnes âgées et handicapées. Bref, tout ou presque ce qui est par définition non-rentable.

Conséquence, les exécutifs tirent sur les budgets. Les emplois disparaissent à bas bruit et ne sont pas remplacés. Or précisent les économistes atterrés, « ce sont le plus souvent des catégories C, les fonctionnaires les plus fragiles, les moins rémunérés, les emplois les plus féminisés aussi, qui font les frais de ces économies ».

Si les services publics ont a regarder la façon dont ils fonctionnent, il faut aussi comprendre dans quelle situation inextricable d’étranglement ils se trouvent. La réponse peut-elle venir  des collectivités territoriales soucieuses du bien commun ? Je ne le sais pas. Mais vraiment il y a bien d’autres pratiques et façon d’agir à engager.

 

photo : La journaliste Isabelle Jarjaille (capture d’écran vidéo) auteur de « Services publics délégués au privé : à qui profite le deal ?« . Elle travaille aussi à la Gazette des Communes

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3 réponses

  1. merci de rendre à Bruxelles et à l’union européenne la responsabilité de cette agonie des servies publics.

  2. C’est un bon article. Mais il n’explique pas pourquoi historiquement dans les années 80 on est passé à l’ouverture intellectuelle de faire faire par le privé. A l’époque et à cause de son modèle qui ne regardait ni ses coûts ni sa rentabilité, le service public était accusé de gaspillage. Pléthores d’agents publics dans les communes pour des motifs électoralistes, et c’est le modèle de développement qu’a choisi le conseil général lors de la mise en place des lois de décentralisation..avec même doublons des fonctions entre conseil général et conseil régional rendu possible par la loi. Coût du remboursement de l’acte à l’hôpital beaucoup plus élevé que dans les cliniques pour des machines utilisées équivalentes : voilà ce qui a expliqué le développement de l’ouverture au privé qui doit lui choisir la vérité des prix.
    Pour finir sur une appréciation personnelle c’est un peu négatif de constater une baisse de qualité dans le service public : au contraire il y a une valorisation du sens des actes importante, c’est simplement que la notion de pauvreté des publics et son cas particulier de traitement n’est plus traité comme avant car il y a tout plein de cas particuliers à servir en priorité…à tel point que les français non prioritaires se sentent exclus ( voir GJ) il faut redonner le sens du droit à TOUS dans l’approche des publics, assumer que la pauvreté existe et le choisir comme priorité car les autres avec toutes les aides sont en fait privilégiés dans l’accès aux services et ceux qui ne reçoivent pas d’aide ou en ont l’impression, se sentent marginalisés. Ainsi le service public n’aura pas de baisse d’efficacité percue. En d’autres termes : insinuer qu’on enlève à Pierre pour donner à Paul est contreproductive. Il vaudrait mieux redonner un sens de priorité à la pauvreté et arrêter de passer du temps à étudier des catalogues de dossiers sur les postulants pour au final déterminer le coût de la prestation ou le degré d acces aux droits car c’est coûteux et genere un sentiment d’injustice.

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