La Finlande et la Suède ont réduit de façon spectaculaire le nombre de personnes sans logement. Pour quoi ça ne marche pas en France ?

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Les travailleurs sociaux sont au cœur de la lutte pour l’accès au logement. L’exemple de la Finlande, qui a réussi à réduire drastiquement le nombre de personnes « SDF » grâce à une stratégie nationale cohérente, est un modèle à étudier de près. Cela s’appelle l’approche « Housing First ». Elle a permis à ce pays de passer de plus de 16.000 sans-abri en 1989 à environ 4.000 en 2020, soit 0,08 % de sa population.  Cette politique, introduite en 2008, visait à éradiquer l’absence d’un chez-soi à long terme en fournissant des logements, mais aussi des services sociaux grâce à des partenariats entre l’État, les villes, les municipalités et les structures associatives locales. Un bel exemple à suivre, car en France, nous sommes bien loin du compte malgré la politique dite du « logement d’abord » qui reste une pâle copie de l’expérience finlandaise.

Des stratégies divergentes entre la Suède et la France

Autre pays à avoir agi de la sorte : La Suède.  Bien que son approche ne soit pas aussi centralisée que celle de la Finlande, le pays a également mis l’accent sur la fourniture de logements et de services sociaux. La Suède s’est dotée d’une stratégie pour la période 2007-2009, avec des moyens financiers à la hauteur. Cela fait maintenant plus de 15 ans que cette politique a porté ses fruits. Il est utile de tenter de comprendre pourquoi et comment cela a pu se réaliser.

Cette stratégie prévoyait des objectifs tels que l’extension de la garantie « un toit au-dessus de la tête » à tous et la réduction des expulsions. En France, c’est l’inverse avec la loi de juillet 2023 visant « à protéger les logements contre l’occupation illicite ». Cette loi a eu pour conséquence d’augmenter le nombre d’expulsions de façon très préoccupante. C’est un peu comme si on s’y prenait à l’envers.  Contrairement à la Finlande et à la Suède, notre pays n’a pas encore adopté une stratégie nationale aussi cohérente et intégrée. Les chiffres sont sans appel : en 2023, 21.500 ménages ont été expulsés de leur logement par les forces de l’ordre. Cela correspond à une hausse de 23% par rapport à l’année précédente. Cette augmentation brutale s’explique en grande partie par la loi Kasbarian-Bergé. 

Chez nous, les efforts se concentrent beaucoup plus sur des solutions temporaires. Ce sont les hébergements d’urgence qui sont mis en avant plutôt que sur la fourniture de logements permanents. Cependant, il existe parfois quelques initiatives locales, comme les programmes de logement accompagné, qui visent à offrir un soutien global aux personnes SDF.

Pourquoi cela ne fonctionne pas en France ?

La politique du « Logement d’abord », bien qu’elle ait été lancée avec une volonté affichée de trouver des réponses concrètes, rencontre plusieurs difficultés qui expliquent son bilan décevant. L’un des principaux obstacles est le manque de logements accessibles. En effet, pour faire du « Logement d’abord », il faut avant tout disposer de logements pouvant être loués. C’est une évidence qui n’a pas été prise en compte par le gouvernement : la construction de nouveaux logements sociaux n’a pas suivi le rythme des besoins, ce qui a empêché que cette politique aboutisse.

La coordination entre les acteurs impliqués soulève aussi une question. Cette politique nécessite une collaboration plus étroite entre l’État, les collectivités locales et les associations. Cependant, des difficultés ont persisté dans la coordination des services déconcentrés de l’État et les SIAO (Services Intégrés d’Accueil et d’Orientation), gérés par les associations soumises à de fortes restrictions budgétaires.

Il faut dire aussi que malgré l’objectif de passer du modèle d’urgence sociale à une approche plus durable, les solutions d’urgence restent prédominantes. La transformation souhaitée n’a pas eu lieu. Nos élus sont par ailleurs critiqués pour ne pas suffisamment prendre en compte les inégalités dans l’accès au logement. Certains profils de personnes et familles ont plus de probabilités que d’autres d’accéder à des hébergements sociaux, ce qui perpétue l’exclusion de toute une frange de la population.

Aujourd’hui en voulant réserver les logements sociaux à ceux qui travaillent, les élus républicains qui veulent déposer une loi en ce sens tournent le dos à la réalité. Les plus fragiles sans logement et notamment qui sont à la rue ne travaillent pas pour une majorité d’entre eux. Cette préférence qui vise à caresser l’électorat des milieux populaires, leur retire encore plus l’espoir de pouvoir accéder à un logement.

Quelques chiffres révélateurs

Regardons quelques données qui nous éclairent sur l’ampleur du problème. En 2024, la France comptait environ 5 millions quatre cent mille logements locatifs sociaux, avec une augmentation de 0,9 % par rapport à l’année précédente. Le nombre de logements sociaux construits en 2024 était de 80.000. En ce qui concerne les demandes, le nombre de ménages en attente d’un logement social a atteint 2,7 millions au milieu de l’année 2024. Cela correspond à une augmentation de 100.000 par rapport à la fin de 2023. Dans la réalité, approximativement 70 % des ménages français sont éligibles au parc social, ce qui explique l’ampleur de la demande.

Pour 2025, l’objectif est de construire 100.000 logements sociaux, ce qui est déjà irréaliste pour répondre à la demande croissante. En effet les délais d’attente moyens qui s’élèvent à environ 520 jours (construction + gestion de l’accès). Un délai qui est donc supérieur à un an ! Bref, sans volonté politique forte, sans moyens permettant de surmonter la crise de la construction et sans moyens pour des travailleurs sociaux présents pour accompagner les personnes accédant à un logement, les ingrédients de l’échec de cette politique se surajoutent.

Ne soyez donc pas surpris si on ne s’en sort pas.

Il y a un autre sujet peu abordé : la responsabilisation des individus en tant que locataires. Il est logiquement exigé que les individus fassent la preuve de leur capacité à respecter les règles de la vie collective pour accéder à un logement autonome. Cela peut être perçu comme injuste pour ceux qui ont des difficultés à se stabiliser rapidement. Et il est vrai qu’une personne qui a vécu dans la rue pendant plusieurs années aura de grandes difficultés pour respecter les règles de vie en logement autonome.

J’ai pu le constater de ma propre expérience : dans les situations extrêmes, accéder à un logement passe par des étapes. Sans prise en compte des difficultés de la personne à la rue, elles ne parviennent pas à respecter les règles d’habitation et de cohabitation. Seul un accompagnement social et aux soins peuvent leur permettre de réussir leur intégration. On en parle peu, car cela demande des moyens qui aujourd’hui n’existent pas. Mais il y a quand même aussi toute une population qui pourrait directement accéder à un logement sans poser de difficultés.

Il n’apparait pas non plus de volonté politique dans notre pays pour agir afin que les choses changent véritablement. Pourtant, il serait fort utile de tirer des leçons de ces expériences pour développer une stratégie nationale plus efficace. L’investissement dans le logement social n’existe pas. La coordination des services sociaux autour de cet objectif reste aléatoire. Ce sont pourtant des éléments essentiels pour parvenir à une réduction durable du « sans-abrisme ».

L’un des aspects clés de la stratégie finlandaise est l’intégration des services sociaux avec « en même temps »  la fourniture de logements. En Finlande, lorsque des besoins en matière de logement sont identifiés dans n’importe quel secteur d’intervention des services sociaux, le logement est fourni en premier lieu. Cela permet de créer une base solide pour d’autres interventions.  L’aide à la recherche d’emploi, la formation ou les soins de santé sont rapidement mis en place. Presque au même moment. En France, les travailleurs sociaux ne sont pas plus impliqués que cela dans cette intégration pour garantir une approche cohérente et efficace. Même si les logements dits intermédiaires existent, ils sont trop peu nombreux.

Pour lutter efficacement contre le « sans-abrisme », les connaissances des travailleurs sociaux sur ce sujet doivent être reconnus et prises en considération. Franchement, ce n’est pas le cas aujourd’hui.  Une stratégie nationale intégrée, combinant la fourniture de logements permanents avec des services sociaux ciblés, pourrait être un modèle à suivre. L’investissement dans le développement du logement social et la coordination des services sociaux sont aussi des éléments clés pour parvenir à une réduction durable du « sans-abrisme ». En valorisant le travail des professionnels  et en mettant en place des politiques cohérentes avec des moyens à la clé, la France pourrait progresser sur ce sujet. Mais nos élus nationaux le veulent-ils vraiment ?

Sources :

 


Photo : Madhourses Auteur : Madhourses sur depositphotos

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