La Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ), institution chargée de l’organisation de la justice des mineurs, traverse une crise majeure. Les récentes annonces de la direction, accusée de gestion calamiteuse, ont provoqué une onde de choc parmi les professionnels et les jeunes qu’ils accompagnent. Ces décisions, combinées aux recommandations du dernier rapport du Sénat sur le volet PJJ du projet de loi de finances 2024, soulèvent des questions fondamentales sur l’avenir de cette institution essentielle à la justice des mineurs.
Un plan social qui va supprimer plusieurs centaines d’emplois.
Caroline Nisand, directrice de la PJJ, a récemment convoqué les syndicats pour discuter de la situation budgétaire préoccupante de l’administration. Elle a annoncé un plan social visant à économiser entre 1,6 et 1,8 million d’euros, ce qui représente une réduction de 280 à 480 emplois au niveau national. Cette décision est pour elle motivée par une gestion jugée trop dépensière de la masse salariale. Un argument vivement critiqué par les syndicats qui dénoncent une « casse sociale sans précédent ».
Il y a la forme et le fond : La forme d’abord. Attendre le cœur de l’été pour confirmer de telles suppressions de postes dès septembre est plutôt problématique. De nombreux éducateurs de la PJJ ont en effet appris, fin juillet, le non-renouvellement d’environ 500 contractuels à la rentrée prochaine. La pratique est classique : Quand tout le monde est en vacances, les décisions brutales et difficiles à digérer passent sous les radars de l’actualité. La mobilisation des éducateurs concernés mercredi dernier a permis d’alerter les médias sur ce qui se passe.
Sur le fond, les organisations syndicales fustigent cette décision, la qualifiant d’inacceptable et incompréhensible. La PJJ est le maillon qui permet l’action éducative au sein de la justice des mineurs. Cette décision tombe à un moment où la justice des enfants est instrumentalisée à des fins sécuritaires. De quoi permettre aux tenants de la répression sans limites d’âge de demander toujours plus de peines de prison pour punir sans éduquer, alors que le gouvernement a déjà été mise à l’index sur ce sujet par la Défenseure des Droits.
Les syndicats en appellent à la responsabilité politique pour mettre fin à ce projet violent. Il est violent à l’égard des personnels et préjudiciable pour les missions éducatives envers les jeunes. Il est tout autant violent pour le public concerné. Des jeunes en devenir, ceux qui ont le plus besoin de l’action éducative si l’on veut espérer qu’ils puissent vivre dans la société en dehors de la délinquance.
Le dessous des cartes selon le Canard Enchaîné
Un article du palmipède publié mercredi nous en apprend un peu plus. Ce n’est pas glorieux pour la Directrice de l’institution. Le Canard rappelle d’abord que « la PJJ est l’une des plus petites administrations de France chargée d’encadrer et de recadrer 20.000 jeunes placés en centre éducatif fermé ou suivi en milieu ouvert pour avoir écopé de condamnation. Elle compte moins de 10.000 agents dont 2000 sont contractuels ».
Puis la journaliste Lauriane Gaud explique les tenants de l’affaire : « Le 31 juillet, la direction de la PJJ a annoncé qu’elle se passerait des services de près de 500 de ses contractuels. Motif : il n’y a plus d’argent dans les caisses. La faute, entre autres, aux primes des Jeux olympiques non budgétées, accordées par la direction à ses agents d’Île-de-France restés au travail pendant la période olympique. C’est aussi la faute du ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, qui a raboté le budget de la PJJ de 780.000 € en février dernier, au prétexte de lutter contre le déficit ».
Tout cela a provoqué la colère des syndicats de l’intersyndicale, rapidement reçus par le cabinet d’Éric Dupont-Moretti pour calmer le jeu en pleine fiesta olympique. « Le ministre a annoncé illico le dégel de 3 millions d’euros. Mais la directrice de la protection judiciaire de la jeunesse, vexée d’avoir été ainsi contournée, a décidé de ne pas les affecter aux dépenses de personnel » ! Si bien que le 12 août, le garde des Sceaux a dû lancer une mission de l’inspection générale de la justice sur le pilotage des effectifs de contractuels et de la masse salariale. Et rien sur les humeurs de la directrice ? », demande le Canard enchaîné…
Une lente descente aux enfers
Si l’on en croit le Canard enchaîné, tout cela est assez pitoyable. Les suppressions de moyens humains seraient bien le fait décisions de la direction de la PJJ. L’institution a déjà connu des périodes de restrictions budgétaires par le passé. Mais la situation actuelle est particulièrement sévère, sans précédent et plutôt ubuesque. Une direction se doit de défendre son institution en cherchant à obtenir des moyens adaptés à la mission. Là, il n’en est rien. C’est plutôt l’inverse. Historiquement, la PJJ a souvent dû faire face à des coupes budgétaires, souvent liées à des réajustements de la masse salariale et à des priorités politiques changeantes. Mais là c’est du jamais vu.
Dans le passé, ces budgets à la baisse ont généralement concerné des projets spécifiques, tels que les projets immobiliers. Il a eu par exemple des réductions dans les frais de déplacement pour les formations, ce qui a déjà eu un impact sur le fonctionnement des services. Cependant, les coupes budgétaires actuelles visent à réaliser une économie supérieure à un million 500 mille euros. C’est particulièrement violent. Cela menace directement entre 280 et 480 emplois, principalement des postes de contractuels essentiels au bon fonctionnement des services.
Le comble de l’ironie se trouve dans le rapport du Sénat. Celui-ci souligne la nécessité d’améliorer l’attractivité des métiers au sein de la PJJ, en renforçant les recrutements. Cette perte de moyens assumée par sa directrice est en totale contradiction avec les attentes des sénateurs qui demandent de mettre en place une réserve opérationnelle. C’est l’inverse qui est en train de s’opérer !
Un avenir incertain
Les coupes budgétaires et la réduction des effectifs auront un impact direct sur la prise en charge des jeunes en délicatesse avec la loi. Rappelons-le, La PJJ, a pour mission d’assurer l’insertion et l’éducation des mineurs. Si rien ne bouge, elle va voir sa capacité à remplir ces objectifs sérieusement compromise. Les professionnels, déjà sous pression, devront gérer un surcroît d’activité avec moins de ressources, ce qui pourrait entraîner une dégradation de la qualité des services offerts aux jeunes et à leurs familles.
On voudrait détruire l’action de la PJJ que l’on ne s’y prendrait pas autrement, me suggère une collègue. Cette institution, faut-il encore le rappeler, joue un rôle central dans la réhabilitation des mineurs délinquants, en mettant en place des mesures éducatives avec des sanctions adaptées à leur âge et à leur situation. Elle s’appuie sur un réseau de partenariats avec des acteurs locaux pour favoriser l’insertion sociale, scolaire et professionnelle des jeunes. La réduction des moyens va sans conteste fragiliser ces collaborations et limiter l’efficacité des interventions.
Mercredi dernier jour de mobilisation des éducateurs de la PJJ et de l’article du Canard Enchaîné, une quinzaine de députés de gauche, conscients du problème, ont cosigné un courrier adressé au ministre démissionnaire de la Justice. “Cette diminution des moyens entre en contradiction totale avec vos engagements de renforcer la lutte contre la délinquance juvénile et d’empêcher la récidive d’une population en grande précarité”, écrivent-ils notamment. “Le caractère démissionnaire de votre gouvernement ne saurait vous permettre de prendre des orientations budgétaires dont l’effet sera irréversible sur la Protection judiciaire de la jeunesse, ni de vous abstenir d’en justifier devant la représentation nationale.” Ils ont été entendus par le ministre Eric Dupont-Moretti mais pas par la directrice Caroline Nisand. Mais qui décide au final ?
Que va devenir la PJJ ?
Face à cette situation critique, les perspectives semblent incertaines. Les syndicats et les acteurs de la justice des mineurs appellent à une révision des politiques actuelles et à un investissement accru dans le secteur. Ils plaident pour une approche plus humaine et éducative, qui valorise le travail des professionnels et respecte les droits des jeunes.
Ce qui se passe va à l’inverse même des attentes et des recommandations en matière de justice des mineurs. Les décisions prises aujourd’hui auront des répercussions sur l’avenir de nombreux jeunes et sur la société dans son ensemble. Il est essentiel que des solutions durables et équitables soient trouvées pour garantir la pérennité de ce service public vital.
Pour éviter une dégradation irréversible de ce service, il est impératif que le gouvernement engage un réel dialogue avec les acteurs de la PJJ. Il s’agira d’abord de ramener sa direction à la raison en lui demandant de ne pas réduire les moyens humains puisqu’elle dispose désormais d’un budget supplémentaire. C’est bien un renforcement des ressources humaines qui pourra permettre de préserver la mission éducative de cette institution et d’assurer un meilleur avenir pour les jeunes en difficulté. Pour l’instant, on en est encore loin.
Sources
- Communiqué intersyndical PJJ 14 août | Interco CFDT
- Manifestation contre la suppression de postes à la Protection judiciaire de la jeunesse | Rue89 Strasbourg
- Suppression de postes à la PJJ : les députés socialistes montent au créneau | Le Dauphiné
- Plan social dans le monde de la justice des mineurs : « C’est une catastrophe totale », dénonce Vincent Fritsch, co-secrétaire du SNPES-PJJ-FSU | France TV Info
- Gestion calamiteuse des moyens à la PJJ | Interco CFDT
- Fiche réforme n° 02 : La justice pénale des mineur | Défenseur des droits
- Rapport d’information fait au nom de la commission des affaires sociales sur l’évaluation de la politique de protection de l’enfance | Sénat
- Communiqué concernant les menaces de coupes budgétaires à la PJJ | SNPES-PJJ-FSU
- Rapport d’information fait au nom de la commission des affaires sociales sur l’évaluation de la politique de protection de l’enfance | Sénat
- PJJ, ASE : les dispositifs pour protéger les mineurs | Fil Santé Jeunes
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4 réponses
Le pouvoir et l’envie de le garder font trop souvent oublier aux personnes qui le côtoient ou le possèdent, d’où elles viennent, comment elles y ont accédé et surtout, que la délinquance n’est pas le propre d’adolescents abîmés, exclus ou en difficulté. La délinquance s’immisce dans tous les milieux et à tous âges et en France, coutume est de punir gravement les plus faibles, les plus en danger et « d’excuser » les nantis, les élites… La France n’est plus qu’une république sur le papier, une noble rêverie.
Réveillons-nous, nos enfants sont l’avenir !
Bénédicte
Comment un ancien procureur de la république peut prendre fait et cause pour cette jeunesse remuante. Des agissements déplorables, ils vont alimenter les biens pensants.
Remarquable article où l’on voit les égos prendre le pas sur la mission d’intérêt général. Durant les JO, l’argent coulait à flot. La carte postale à un goût plus qu’amer
C’est dramatique, que peut-on faire ?