La Défenseure des droits sonne l’alarme sur la protection de l’enfance : notre système est bien en péril

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La Défenseure des droits, Claire Hédon, vient de lancer un cri d’alarme retentissant sur l’état dans lequel se trouve la protection de l’enfance. Dans une décision-cadre publiée ce jeudi, elle dresse un constat accablant d’un système à bout de souffle, miné par des « lourdes défaillances » qui mettent en danger la sécurité et le bien-être de milliers d’enfants vulnérables. Elle interpelle l’État sur les « lourdes défaillances » observées dans ce domaine.

Un système en déshérence malgré les alertes répétées

Dans sa « décision-cadre » de plus de 60 pages, la Défenseure des droits fait le constat qu’en dépit de nombreuses interpellations, la situation de la protection de l’enfance « se dégrade, de manière plus marquée ces dernières années ». Cet appel intervient dans un contexte particulièrement tendu, un an après le décès tragique de Lily, une adolescente de 15 ans retrouvée pendue dans un hôtel où elle avait été placée par un service départemental de l’aide sociale à l’enfance. (Pour autant, il s’est avéré dans cette affaire qu’un suivi éducatif était bien engagé, contrairement à ce qui avait été initialement dit).

Claire Hédon émet plus d’une trentaine de recommandations. Cela va du financement à la justice en passant par la prévention. La Défenseure Des Droits recommande à l’État « de compenser les charges induites par les nouvelles obligations pesant sur les départements, et d’augmenter significativement la partie de son budget consacrée aux solidarités ». Elle appelle parallèlement à « donner à la justice les moyens d’assumer son rôle » dans la protection des enfants. Faute de financement suffisant et de professionnels disponibles, les délais d’audiencement ou de réalisation des enquêtes sociales se révèlent largement « insatisfaisants ».

Des failles béantes qui mettent en danger les plus vulnérables

Les défaillances du système ne se limitent pas à un manque de moyens. Elles révèlent des dysfonctionnements profonds qui mettent en péril la sécurité même des enfants censés être protégés. Une récente affaire dans l’Indre, la Haute-Vienne et la Creuse illustre l’ampleur du problème : entre 2010 et 2017, une vingtaine d’enfants auraient été victimes de maltraitances graves par des familles qui les hébergeaient sans autorisation. L’affaire a éclaté en 2017, lorsqu’un adolescent de 15 ans, Mathias, hospitalisé après une agression, avait révélé l’enfer qu’il vivait.

Les enquêteurs avaient découvert un réseau de familles d’accueil non agréées. Ce réseau était orchestré par deux individus, qui ont accueilli une soixantaine de mineurs en toute illégalité. Dix-neuf enfants auraient été victimes de violences physiques, de surdosages médicamenteux et de conditions de vie indignes.

Ce cas n’est malheureusement pas isolé. Au total, ces familles ont reçu 630.000 euros de l’ASE du Nord, jamais déclarés au fisc. Cette affaire révèle les graves failles du système, marqué par un manque de contrôles, des placements illégaux et des conditions d’accueil déplorables. Le rôle de l’ASE, critiqué pour son laxisme et son manque de vigilance, soulève une question : selon les informations de Radio France, la direction de l’ASE du Nord avait connaissance de l’existence de graves dysfonctionnements concernant ces familles d’accueil aujourd’hui mises en cause. Aucun des quatre signalements rapportés n’aurait été suivi d’actions.

Le Nord c’est ce département dont le président ne supporte pas la contestation. « Le département du Nord s’illustre trop souvent sur le champ de la protection de l’enfance comme étant particulièrement défaillant”, expliquait Olivier Treneul délégué syndical aux députés composant la commission d’enquête parlementaire sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance. Son président, Christian Poiret qui n’hésite pas à demander aux travailleurs sociaux de démissionner et d’aller voir ailleurs s’ils ne sont pas contents lorsqu’ils protestent sur le manque de moyens humains des services, dont celui de la protection de l’enfance. C’est aussi lui qui s’en prend le plus aux allocataires du RSA et met en place un dispositif qui confond contrôle social et accompagnement social dans le cadre de la récente réforme du RSA.

Ce qui se passe dans le département du Nord n’est ni glorieux ni vraiment digne. Mais malheureusement, d’autres départements sont tout autant défaillants, même s’ils respectent et valorisent les travailleurs sociaux pour leur travail. La Défenseure des Droits a d’ailleurs justifié son autosaisine en citant ceux qui, selon elle, sont particulièrement défaillants : Le Nord, la Somme, la Loire-Atlantique, l’Isère, la Guadeloupe, le Pas-De-Calais, les Côtes-d’Armor, le Var, le Maine-et-Loire, l’Ille-et-Vilaine, la Sarthe et les Côtes-d’Or. Cela commence à faire beaucoup. Les problèmes sont devenus systémiques.

Un appel à l’action face à l’urgence de la situation

Face à des constats que l’on peut considérer accablant, Claire Hédon appelle à une mobilisation urgente de l’ensemble des acteurs concernés. Elle demande notamment au gouvernement de « rendre compte des suites données » à ses recommandations dans un « délai de quatre mois », soulignant ainsi l’urgence d’agir. Elle a adressé 46 recommandations à l’État via les ministères concernés (Solidarité/Santé, Justice, Éducation nationale et Enseignement supérieur, Intérieur.), aux préfectures, aux agences régionales de santé, ainsi qu’aux départements, en lien avec le secteur associatif habilité.

«En 2022, pour la première fois, des magistrats, juges des enfants, ont attiré (notre) attention sur la situation de la protection de l’enfance dans leur département, faisant état de lourdes défaillances du dispositif, avec un impact très défavorable sur la situation des enfants », dit-elle.

Parmi les pistes évoquées pour redresser la barre, elle insiste sur la nécessité de renforcer la prévention. Elle considère qu’il « y a urgence » à intervenir en faveur d’un « service social scolaire solide », « y compris dans les écoles élémentaires ». Et il est vrai que le service social en faveur des élèves souffre non seulement d’un manque de reconnaissance mais aussi de moyens.

La Défenseure des Droits recommande également d’intégrer à la formation initiale des enseignants des modules relatifs à « la protection de l’enfance, aux droits de l’enfant, à la lutte contre toutes les formes de violences ». L’enjeu est de taille : selon les derniers chiffres officiels, ce sont près de 390.000 enfants qui font actuellement l’objet d’une mesure de protection au titre de l’aide sociale à l’enfance. Un chiffre en constante augmentation, qui met sous pression un secteur déjà fragilisé par une pénurie chronique de professionnels et un manque criant de structures d’accueil adaptées.

Un combat de longue haleine pour les droits de l’enfant

Il faut le reconnaitre, le cri d’alarme lancé par Claire Hédon s’inscrit dans une série d’interventions de sa part qui ne datent pas d’hier.  Elle n’a cessé d’interpeller les pouvoirs publics sur les dysfonctionnements observés dans ce domaine depuis sa prise de fonction en 2020.

Elle assure que des décisions devraient être rendues d’ici janvier 2025. Cette constance dans l’engagement témoigne de l’importance accordée par l’institution à la protection des droits de l’enfant, considérée comme un pilier fondamental d’une société juste et équilibrée.

La décision-cadre de la Défenseure Des Droits va-t-elle provoquer un électrochoc pour les services de l’État et les Départements ? C’est loin d’être certain. Même en mettant en lumière les « lourdes défaillances » observées, nos institutions ont une telle capacité à « faire le dos rond » et à s’accommoder de la situation qu’il est à craindre que les recommandations concrètes de la Défenseure des droits soient véritablement suivies d’effets. C’est assez dramatique. Que faut-il faire pour susciter une prise de conscience collective et une mobilisation à la hauteur des enjeux ?

Car au-delà des chiffres et des constats, ce sont des destins d’enfants qui sont en jeu. Des enfants vulnérables, en danger, qui ont plus que jamais besoin d’un système de protection efficace et bienveillant pour leur offrir un meilleur avenir. L’appel lancé par Claire Hédon s’adresse l’État, mais aussi à l’ensemble de la société française : pouvoirs publics, professionnels de l’enfance et citoyens. Car la protection de l’enfance est l’affaire de tous, et c’est collectivement que nous devrions nous mobiliser sur ce sujet.

Sources et références :

 


Photo : Claire Hédon, Défenseure des Droits dans les locaux d’IdealCo D.Dubasque

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