Le Conseil Régional des Personnes Accueillies et Accompagnées d’Île-de-France (CRPA IDF) m’avait invité à intervenir lors de sa journée de réflexion qui portait sur le thème de l’inclusion numérique. Voici l’essentiel de mon propos à ce sujet. Précisons d’abord qu’il est difficile de dresser un tableau des enjeux que pose l’usage massif des outils numériques dans la société en quelques lignes. Il faudrait un ouvrage pour cerner cette question. Je vous propose de ponctuer ce sujet en trois temps.
- Le premier temps fait appel à une série de constats aujourd’hui bien connus
- Le second aborde les réponses apportées par les services de l’État et les institutions
- Le troisième temps aborde la question du positionnement des aidants numériques que nous sommes tous susceptibles d’être à un moment ou à un autre
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Quelques constats
Il n’est pas possible à l’ensemble de la population de savoir conduire une voiture, tous acceptent ce constat et le comprennent. Il en est de même pour savoir utiliser un vélo. Pourtant, il est demandé à l’ensemble de cette même population de savoir piloter des logiciels dans des systèmes complexes, qui demandent de posséder des outils, une culture, (c’est-à-dire une façon de penser et de comprendre particulière) et une pratique adaptée. C’est un objectif impossible à atteindre, car il y aura toujours une part notable de nos concitoyens qui ne pourront pas accéder ni maitriser les outils nécessaires pour cela.
Selon une étude de l’Insee en date du 25 février 2022, 17% de la population, est concernée par une « inadaptation » aux outils numériques soit près de 13 millions de personnes en France. 34% des personnes résidant dans les villes moyennes disent ne pas du tout profiter des opportunités offertes par le numérique. Mais la fracture qui persiste est aussi en lien avec les niveaux de formation : 74% des Français non-diplômés ne s’estiment pas compétents pour utiliser un ordinateur. Un tiers de la population s’estime peu ou pas compétent pour utiliser un ordinateur et surtout 15% des adultes se sentent incapables d’entreprendre des démarches administratives en ligne.
Le dernier rapport de la Défenseure des Droits remis au gouvernement en février 2022 rappelle que 22% des personnes ne disposent à leur domicile ni d’un ordinateur, ni d’une tablette. 8% des Français n’ont pas d’adresse mail personnelle ou professionnelle. 15% des Français n’ont pas de connexion internet à domicile. La « plateformisation de la société » tout en rendant service à près de 85% de la population, laisse sur le bord de la route une part non négligeable de nos concitoyens.
Ces personnes sont aidées de diverses manières. Celles qui viennent dans les permanences des travailleurs sociaux se disqualifient elles-mêmes : «Je suis incompétent… Je n’y comprends rien… Je suis ignare sur ce sujet» disent-elles. Autant de termes qui renvoient l’usager à sa propre responsabilité, plutôt que d’interroger celle des concepteurs d’applications et de plateformes qui ne s’adressent qu’à leurs semblables issus des catégories sociales et professionnelles supérieures (CSP+). Ils ne tiennent pas compte des plus fragiles désormais rangés dans la catégorie des personnes souffrant d’illectronisme. La fracture numérique contribue à provoquer ou amplifier un sentiment d’exclusion. Elle creuse ce fossé entre les élites et le peuple, alimentant ainsi une fracture sociale qui souvent alimente le populisme.
L’étude Digital_Gouv’ 2017 avait mis en évidence que quasiment 1 Français sur 2 (47 %) a besoin d’un accompagnement pour l’utilisation des services en ligne. « En conséquence, le développement proactif d’un accompagnement de proximité dans la réalisation de démarches en ligne apparaît comme le corolaire indispensable du basculement au numérique impulsé par les pouvoirs publics » indique le rapport de l’IGAS sur l’accompagnement social publié en septembre 2018.
Les plateformes numériques d’accès aux droits aident des centaines de milliers de familles mais en excluent aussi une par non négligeable. Il faut savoir reconnaitre que ces outils en ligne provoquent aussi une perte d’autonomie et contribuent à la perte des droits des plus fragiles.
Les réponses apportées par les services de l’État et les institutions
Les outils numériques ont permis un renversement historique d’un principe du service public : l’adaptabilité. Il y a un avant et un après :
Avant : Les services publics devaient être à la portée des citoyens. C’était à l’administration de s’adapter aux particularités de chacun quitte à les aider à remplir des formulaires, en leur expliquant pourquoi et comment les aides sont mises en place.
Après : C’est au citoyen de s’adapter à l’outil imposé par l’administration. La norme est renversée. Si l’usager ne clique pas au bon endroit, tant pis pour lui. Non seulement c’est à lui de savoir s’il a droit à une aide, mais c’est aussi à lui de remplir les documents demandés, de fournir des attestations numérisées, à aller chercher de l’information où elle se trouve. Bref c’est la grande débrouille
les Maisons France Service et les nouveaux métiers
Les pouvoirs publics conscients du problème ont trouvé une réponse avec les Maisons France Services. Puisqu’il n’est pas possible que tous soient « numériquement autonomes » créons des structures qui les accueillent. Ce n’est pas si simple malheureusement. Il y en a 2197 réparties sur le territoire pour 36.000 communes. C’est trop peu. C’est pourquoi les services sociaux, les CCAS des médiathèques aussi ainsi que de multiples associations se sont mises à la tâche. Celle qui consiste à aider nos concitoyens les plus en difficulté.
De son côté, outre les maisons France Services, L’État a favorisé la création de nouveaux métiers, car il n’y a pas suffisamment de travailleurs sociaux disponibles : Il y a actuellement les médiateurs sociaux (ils existaient déjà), puis sont venus les médiateurs numériques et désormais voici venir les agents d’accueil des maisons France Services. Les salariés de ces maisons sont formés en 6 jours seulement. On ne leur a pas appris la législation, mais l’art et la manière de manier les logiciels des administrations. Ils n’ont pas été formés à la relation d’aide notamment avec les personnes les plus exclues de la société. Bref, ils galèrent face à la demande.
Les médiateurs numériques le disent clairement : ils ne savent pas répondre à une demande sociale qui nécessite une évaluation globale de la situation de la personne. C’est le job des travailleurs sociaux. La porte d’entrée des médiateurs reste « technique », or fort souvent, la demande initiale d’accès à un droit s’accompagne d’une autre demande qui conduit la personne à se confier et attendre de son interlocuteur une aide psycho-sociale ou des conseils en lien avec des situations complexes. D’où la demande des structures de médiation numérique de travailler en proximité des CCAS ou des centres médico-sociaux, là où sont les professionnels du travail social qui assurent un accmpagnement global.
Les personnes qui viennent voir les médiateurs numériques peuvent aussi vite être agacées, voire énervées : elles souhaitent qu’on les aide à toucher leurs prestations et allocations, pas pour qu’on leur apprenne à cliquer au bon endroit et à maitriser les plateformes des administrations. Il leur est demandé trop fréquemment de se débrouiller après avoir appris à utiliser leur smartphone.
On le voit, les limites sont vite atteintes. Face à la complexité et la peur d’être mal comprises, les personnes préfèrent aussi faire appel à des aidants numériques bénévoles qu’ils connaissent (famille, voisinage, collègues etc .) Cela nous conduit à la 3ème et dernière partie de mon propos : comment aider ?
Comment aider ?
Aider quelqu’un ne s’improvise pas même si parfois l’improvisation peut être utile. En France, 11 millions de personnes sont des aidants familiaux. Quand on n’est pas professionnel, et que l’on n’a pas eu la possibilité de suivre une formation sur ce sujet, il sera utile de suivre quelques recommandations. Attention, elles ne peuvent remplacer un besoin de formation nécessaire pour pouvoir agir de façon professionnelle. 2 aspects sont à prendre en considération : L’aide de manière générale et l’aide liée à la problématique de l’usage du numérique pour accéder à un droit.
- Écouter attentivement : La première étape pour aider quelqu’un est de lui montrer que vous êtes prêt à l’écouter et que vous comprenez ce qu’il ressent. Cela peut être très important pour la personne qui se sent seule ou qui a besoin de soutien.
- Offrir du soutien : Une fois que vous avez écouté attentivement, il sera utile de proposer de l’aide concrète. Cela peut inclure des choses comme offrir de faire les courses, de préparer un repas ou de donner un coup de main pour des tâches domestiques ou encore accéder à ses droits via un smartphone, un ordinateur ou une tablette.
- Encourager la personne à chercher de l’aide professionnelle : ainsi, par exemple, si la personne que vous souhaitez aider est confrontée à des problèmes de santé mentale ou à des difficultés émotionnelles, il sera très utile de l’encourager à chercher de l’aide professionnelle. Cela peut être en parlant avec un médecin ou un thérapeute, ou en rejoignant un groupe de soutien.
- Être patient et compréhensif : Aider quelqu’un peut prendre du temps. L’aide est souvent délicate et difficile. Il est nécessaire d’être patient et de ne pas essayer de résoudre tous les problèmes de la personne immédiatement. Parfois, simplement être là pour elle et lui montrer que vous êtes là pour elle peut être très utile. Il faut pouvoir accepter le pouvoir d’agir de la personne même si celui-ci ne va pas dans votre direction
- Prendre soin de soi : Aider quelqu’un peut être épuisant, il est donc important de prendre soin de soi et de ne pas négliger ses propres besoins. Assurez-vous de prendre du temps pour vous détendre et vous ressourcer, afin de pouvoir continuer à être là pour la personne que vous souhaitez aider.
Dans le domaine de l’aide aux outils numériques, aider :
- oblige l’aidant à bien identifier le problème (technique, technologique, administratif, comportemental ?) et se mettre d’accord avec un diagnostic qui conduit à agir de façon adapté
- conduit à identifier les compétences de la personne : que sait-elle faire avec son smartphone ou son ordinateur ? Où est-ce que cela coince ?
- demande de la pédagogie et de la patience
- oblige souvent à adapter son langage selon son interlocuteur. (Rien de pire que l’utiisation du jargon informatique pour une personne non initiée)
- conduit parfois à « faire à la place » (c’est souvent nécessaire même si on suhaite faire autrement pour que la personne soit autonome
Quelques outils en ligne pour vous aider à aider de façon efficace :
- Les Astroliens : des supports pédagogiques pour des ateliers ou pour travailler en autonomie
- Les Bons Clics: plateforme d’apprentissage en ligne gratuite développée par WeTechCare (l’association née d’Emmaüs Connect)
- Solidarité numérique: une plateforme de l’ANCT avec l’appui opérationnel de la MedNum
- Pix: GIP Groupe d’intérêt public : système immersif avec des tests sympas
Aider c’est bien mais faire évoluer les pratiques des décideurs c’est mieux !
Il est aussi possible d’aller au delà l’aide en faisant pression sur les décideurs à l’image de ce qui se pratique en Belgique avec le « comité humain du numérique». Ce comité a publié en 2022 « le code du numérique ». La vidéo qui suit apporte des explications de ce que cela représente. C’est une résistance au tout numérique qui impacte les vies des plus fragiles. ça se passe en Belgique mais cela pourrait tout autant se passer ailleurs
J’aurai l’occasion de revenir dans un prochain post sur ce sujet….
Remerciement à Annie Furtado et Blandine Maisonneuve en charge de l’animation du CRPA IDF et du CNPA
Photo (DD) : ambiance studieuse et détendue lors de la réunion du CRPA Île de France le 1er décembre 2022
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