Le collectif « Changer de Cap » vient de vivre deux journées intenses pour faire avancer les droits des allocataires des CAF qu’il défend maintenant depuis plusieurs mois. Rappelons que ce collectif vise à défendre et à promouvoir le service public en assurant un rôle de médiation entre les pouvoirs publics, les élus et les citoyens soucieux de faire avancer le droit social. L’un de ses principaux chantiers porte sur la lutte contre l’automatisation des décisions des administrations qui délivrent des minima sociaux.
Le collectif a pu constater combien les CAF départementales sont dans l’illégalité lorsqu’elles suspendent des prestations au titre du recouvrement d’indus. La lutte contre la fraude aux prestations provoque d’énormes difficultés aux familles modestes, très régulièrement contrôlées même lorsqu’elles n’ont rien à se reprocher. Des centaines de témoignages ont été adressés au collectif. Les algorithmes mal calibrés provoquent ces indus qui mettent de nombreux ménages en précarité financière. Ils ne peuvent se défendre face à une administration « toute puissante » qui décide souvent seule de redressements parfois tout à fait injustifiés.
C’est pour tenter de faire évoluer ces pratiques que le collectif s’est récemment mobilisé en deux directions : La première auprès du ministère des Solidarités et la seconde auprès des députés.
Revoir les effets nocifs de la dématérialisation
La première rencontre, qui a eu lieu le 10 octobre dernier au ministère des Solidarités, a été marquée par un échange « constructif » entre la délégation du collectif et les représentants du cabinet d’Aurore Bergé. Ce rendez-vous a permis d’aborder des questions essentielles telles que les anomalies dans les services publics, notamment en ce qui concerne la dématérialisation. David Blin, directeur adjoint du cabinet, a reconnu la valeur du rapport détaillé fourni par le collectif, tout en admettant que le tout numérique présente des limites. Il a souligné que des améliorations sont nécessaires, surtout en ce qui concerne la qualité du service et l’accès à des services publics de proximité.
Il est clair que le gouvernement compte sur la « solidarité à la source » pour améliorer la qualité des services. L’idée consiste à verser directement les prestations sociales sans que les allocataires aient à multiplier les déclarations de revenu. « La ministre ne prétend pas que tout est parfait. On s’aperçoit que le tout numérique ne peut pas marcher, et doit être équilibré par la possibilité d’avoir des gens au téléphone, des êtres humains près de chez soi. Des progrès sont à faire sur la qualité de service et l’accès à des services publics de proximité » a expliqué David Blin.
La solidarité à la source pose des difficultés
David Blin a indiqué que « la Première ministre a fait de l’accès aux droits l’une de ses priorités », et que « Un droit est un droit ». « Le ministre du Budget devra accepter l’augmentation des volumes de prestations qui résultera d’une diminution des non-recours ». Pour le collectif, ce point est loin d’être acquis au vu de l’ampleur du non-recours (16 milliards pour les 4 prestations principales). Ce type de dépenses supplémentaires va à l’encontre de la loi de programmation des dépenses publiques 2023-2027 (qui prévoit de ramener le déficit public en deçà de 3% sans toucher aux 100 milliards d’aides aux entreprises).
Le collectif a aussi soulevé d’autres difficultés face au prélèvement à la source : en effet, la protection des données personnelles est essentielle et n’est pas suffisamment garantie. Il a aussi fait valoir que certaines améliorations ne nécessitent pas de fonds supplémentaires, comme la publication de circulaires internes de la CAF et des autres administrations. Il a également insisté sur le respect des droits essentiels, tels que la nécessité de modifier des algorithmes pour se conformer au Règlement général sur la protection des données (RGPD).
Le collectif a aussi expliqué au cours de la réunion que le préremplissage des déclarations, prévu pour 2025, ne sera pas une solution miracle. Il a insisté sur la nécessité d’agir rapidement pour corriger les problèmes graves qui sont d’ores et déjà identifiés. Enfin, autre point et non des moindres : le maintien d’un reste à vivre pour les allocataires qui voient leurs allocations suspendues est une nécessité qui n’est pas actuellement prise en compte dans les administrations.
La rencontre s’est conclue sur une note d’espoir : le cabinet d’Aurore Bergé s’engage à étudier en détail les analyses et propositions du collectif pour apporter une suite à cette première rencontre.
Un débat avec des députés
Le collectif avait obtenu la possibilité de présenter ses travaux le 11 octobre lors d’une table ronde à l’Assemblée Nationale à l’initiative de Farida Amrani, députée de l’Essonne et membre de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la Sécurité sociale (MECS). Il faut dire qu’il n’était pas seul : Huit réseaux associatifs étaient à ses côtés (La Fondation Abbé Pierre, le Secours catholique, ATD Quart Monde, le Mouvement national des chômeurs et précaires, Stop précarité, le collectif pour une éthique du travail social, RSA38, et Changer de cap)
Que dire de cette rencontre ? Il a été noté l’absence de groupes politiques importants. Cinq députés étaient présents et huit collaborateurs de députés appartenant à trois groupes politiques (LFI, GDR et écologistes). La Droite et la Majorité présidentielle étaient absentes. Le RN n’avait pas été invité au regard de ses prises de position excluant une partie de la population précarisée et sans droits.
Les discussions ont été centrées sur les effets de la dématérialisation des services et ses conséquences sur les droits sociaux. Les députés présents ont exprimé leur intérêt pour les analyses fournies par le collectif, qui seront utiles dans les débats parlementaires à venir. En effet, l’objectif de cette table ronde était également de préparer le terrain pour le futur débat budgétaire.
Pour une commission d’enquête parlementaire
Une autre priorité vise à soutenir un projet de commission d’enquête parlementaire sur les pratiques des Caisses d’allocations familiales. Les associations et les députés ont partagé le souhait que cette commission d’enquête contribue à faire connaître l’ampleur des pratiques dénoncées avec une situation de non-droit pour des millions de personnes. Ce serait aussi une occasion de changer l’image des personnes en difficulté en montrant leur contribution irremplaçable à la société.
Après ces deux rencontres, la question qui se pose est celle de la suite. Les engagements pris par le cabinet d’Aurore Bergé et les discussions à l’Assemblée nationale sont certes encourageants, mais qu’en sera-t-il des actions concrètes ? Le collectif « Changer de Cap » et les autres réseaux associatifs attendent désormais des mesures tangibles qui répondront aux problématiques soulevées.
Le projet de mise en place d’une commission d’enquête parlementaire sur les pratiques des Caisses d’allocations familiales est un pas dans la bonne direction. Il reste à voir si cette initiative se concrétisera et quel impact elle aura. De plus, le collectif a mis en lumière des enjeux urgents qui ne peuvent attendre, comme la nécessité de revoir les algorithmes de contrôle et de calcul des prestations et de garantir un reste à vivre pour les allocataires. Le temps presse, et les milliers de personnes affectées par ces problématiques ont besoin de solutions immédiates.
Le collectif, fort de ces avancées, saura-t-il maintenir la pression sur les pouvoirs publics pour que ces discussions ne restent pas lettre morte ? Le défi est de taille. Seul, il ne peut pas tout. La présence des associations représentatives à ses côtés – dont certaines semblent prêtes à prendre des relais – apporte une vision optimiste de la suite. Les prochains mois seront déterminants pour savoir si ces initiatives aboutiront à des changements significatifs.
- Note : je suis membre du collectif « Changer de cap ». Je profite de cet article pour vous inviter à le rejoindre ou à le soutenir en cliquant ICI
- Télécharger le rapport du Collectif remis au cabinet d’Aurore Bergé : » Maltraitance institutionnelle, illégalités, vies broyées «
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