Carole Bernard travaille à la Ligue contre le cancer à Lorient. Suite à un article qui l’avait fait réagir, elle m’a communiqué ce texte rédigé pour partie pendant la période de confinement. Il me parait utile de vous le communiquer même si celui-ci a été publié dans une newsletter à son travail. Le professeur Axel Kahn l’a aussi diffusé sur son compte facebook.
Nous sommes fin février, le téléphone sonne …
« j’ai entendu parler d’un virus…. Il est arrivé dans une ville voisine de la mienne…mon médecin me dit qu’avec mon traitement de chimio je dois être prudente…ça commence à me faire peur… Vous m’excuserez Mme Bernard, mais je ne préfère pas venir vous voir… » Et ce n’était que le début… les réunions et les ateliers de groupe ont été interrompus. Et le 9 Mars, je collais une affiche sur la porte de l’Espace Ligue de Lorient annonçant notre fermeture.
Depuis cette date, j’ai réaménagé ma chambre d’amis en bureau… Les dossiers étalés sur le clic-clac, l’ordi et l’imprimante branchés, j’étais opérationnelle ! Avec les bénévoles, nous avons convenu d’appeler tous nos patients. Nous espérions à cette époque que le confinement serait de courte durée…
Cela fait 58 jours aujourd’hui que je continue mon activité uniquement par téléphone ou mail.
J’ai l’impression de faire le pompier. Nos patients sont toujours aussi gentils et ne souhaitent pas nous déranger. Ils s’excusent même de m’appeler. Mais les situations deviennent catastrophiques. Tous les jours je reçois en moyenne une vingtaine d’appels : « depuis 3 semaines je n’ai plus d’aides ménagères et personnes ne vient me voir » « je ne comprends pas je n’ai pas reçu mes indemnités journalières » « je suis sous tutelle et ça fait 1 mois que je n’arrive pas à joindre ma tutrice »
« Madame Bernard, je suis hospitalisée en soins palliatifs j’ai peur de mourir toute seule… ». Depuis le début du confinement, 145 personnes ont fait appels à mes services pour des demandes très concrètes (aidant épuisé qui recherche un placement en ehpad, baisse de revenus, instruction de demande d’APA, mise sous curatelle, signalement pour violence conjugale, demande de CMU…). Sans oublier les nombreux appels de personnes inquiètes, tout d’abord par le confinement puis depuis peu, par le déconfinement, le port du masque, le retour des enfants à l’école, le chômage partiel pour le conjoint.
Je garde un travail étroit avec la psychologue de notre équipe qui consulte par téléphone. Mais nous ne percevons pas les choses de la même manière qu’en face à face. Vous savez, ce regard, ce lien de confiance qu’on peut instaurer lors d’un entretien. Soit les patients ont une question et attendent immédiatement une réponse, soit ils nous racontent leur vie, leur douleur sans que nous n’arrivions à les couper.
Ça fait plus de 20 ans que je fais ce métier, j’ai mon réseau.
Habituellement, certains problèmes sont réglés en un coup de fil… aujourd’hui pour mettre en place une simple intervention d’aide à domicile, il faut appeler 4/5 fois la mutuelle ou la sécurité sociale. « l’assurance maladie enregistre un nombre important d’appels du fait des impacts de la crise covid19, nous vous demandons de bien vouloir renouveler votre appel… ». Mais, comment font les personnes âgées qui n’ont pas internet pour se rendre sur leur compte Ameli ?
Puis, il faut contacter le service d’aide à domicile. Mince ! la permanence téléphonique n’est assurée que le matin ! Après 4 communications avec la mutuelle, on me demande un certificat médical. Ok ! on appelle le médecin traitant « bonjour vous êtes bien au cabinet médical, le secrétariat est exceptionnellement fermé à partir de 16h. ». Je rappelle finalement la patiente pour lui annoncer que je n’ai pas avancé, mais elle est actuellement en radiothérapie, je lui laisse un message. On verra demain… Ça peut sembler anecdotique, mais tout ceci n’a rien de rassurant pour des patients qui sont déjà très fragilisés par leur maladie.
Je passe sur les services sociaux qui continuent leur activité en télétravail mais qui restent sur répondeur, les secrétaires qui ne peuvent pas me communiquer le numéro de portable de la collègue et qui va lui envoyer un mail pour qu’elle me rappelle. Les patients hospitalisés qu’on ne peut pas visiter dans leur service de soins. Les documents qu’ils doivent signer que j’envoie par la poste qui mettent 3 semaines à arriver.
Mais malgré tout ça, on y arrive !!!
Les patients nous remercient de ne pas les avoirs oubliés. La commission sociale se réunit virtuellement pour étudier mes demandes d’aides financières. Des infirmières libérales passent chez moi me déposer les documents des patients. Le personnel soignant se plie en quatre pour trouver des solutions, mes collègues assistantes sociales hospitalières me dépannent sur des prises en charge. Les services d’aides à domiciles répondent aussi toujours présents, malgré les restrictions de personnel et les consignes sanitaires. Bref, on se serre les coudes.
Et c’est toute notre force, la Force du monde associatif. Garder l’esprit de solidarité, notre spontanéité et notre convivialité.
Carole BERNARD
Assistante sociale Espace Ligue Lorient
Photo : Carole Bernard (merci !)