Tous les travailleurs sociaux qui se respectent sont d’accord pour considérer qu’il est nécessaire d’agir avec la personne accompagnée et ne pas agir à sa place (sauf dans certaines situations extrêmes). Mais sommes nous suffisamment vigilants pour lui demander son avis sans orienter sa réponses vers un choix qui nous arrange ?
Cette question me renvoie à la réflexion d’un collègue éducateur qui m’a dit avec une pointe d’humour : « tu sais Didier, les travailleurs sociaux sont de grands manipulateurs ». « Quand ils sont convaincus qu’une action est bonne pour la personne, il savent trouver les mots pour qu’elle accepte d’aller dans la direction qu’ils ont eux mêmes choisi ». Et mon collègue de préciser : « C’est pareil pour les écrits au juge pour enfants. Il est facile d’orienter une décision en présentant tel ou tel fait dans un sens et en ne mettant pas ce qui pourrait allait dans le sens inverse à la conclusion de l’écrit du travailleur social ».
Ce n’est pas faux effectivement. Les travailleurs sociaux, lorsqu’ils sont convaincus deviennent tout autant convaincants même lorsqu’ils sont dans l’erreur. Or l’erreur au détriment d’une personne peut avoir des effets désastreux sur elle. Il nous faut savoir lâcher prise et faire un pas de coté en donnant les moyens à la personne de décider elle même ce qu’elle souhaite faire et ce qui est bon pour elle. Si nous estimons qu’elle se trompe, nous pouvons lui dire mais sans faire pression sur elle et en aucun cas la culpabiliser.
Il en est de même pour le recueil du consentement éclairé, principalement inscrit dans le domaine médical. Il devrait prendre une place significative dans le champ du travail social. A la condition bien sûr qu’il ne soit pas dévoyé comme c’est parfois le cas.
Mais qu’est ce que le consentement éclairé ?
Selon une directive européenne (1) traitant des expérimentations dans le champ de la santé, le consentement éclairé est une décision, qui doit être écrite, datée et signée, de participer à un essai clinique,prise de plein gré après avoir été dûment informé de la nature, de la portée, des conséquences et des risques et avoir reçu une documentation appropriée, par une personne capable de donner son consentement […] Cette définition peut être aussi opérationnelle en travail social dès lors qu’une action contraignante ou pouvant l’être est susceptible d’être engagée dans un objectif précis d’aide à un personne ou à un groupe .
Transposée au travail social, cette définition pourrait donner ceci : Le «consentement éclairé» est une décision, de s’engager dans un processus de résolution d’une problématique sociale qui doit être écrite, datée et signée, prise de plein gré par une personne en capacité de donner son consentement après qu’elle ait été dûment informée de la nature, de la portée, des conséquences et des risques et avoir reçu une documentation appropriée, […]
On voit rapidement les limites d’une telle transposition. C’est « lourd » et exigeant. Précisons aussi que ce processus de consentement n’est pas un contrat qui, signé dans un cadre de la gestion de dispositifs institutionnels, fixe des engagements souvent à sens unique tout en donnant ensuite accès à des droits ( RSA, FSL etc.). C’est tout autre chose.
Du point de vue juridique le principe du consentement éclairé est inscrit dans le premier chapitre de la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale. Son article 4 traite du principe du libre choix, du consentement éclairé et de la participation de la personne. Celui ci doit être recherché « en l’informant, par tous les moyens adaptés à sa situation, des conditions et conséquences de la prise en charge et de l’accompagnement et en veillant à sa compréhension ».
On notera au passage que, contrairement à la directive européenne sur l’expérimentation, le terme utilisé est “tous les moyens adaptés à sa situation” peut permettre des interprétations. On n’est pas là dans l’obligation de passer par un écrit.
Mais pourquoi faire appel au consentement éclairé qui apparaît au premier abord assez contraignant ?
Du point de vue éthique deux préceptes peuvent présider au choix de recourir au consentement éclairé.
Le premier consiste à «agir de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen» (2). Il s’agit du refus d’instrumentaliser autrui quelle qu’en soit la (« bonne ») raison.
Le second rappelle que « ce qui a un prix peut être aussi bien remplacé par quelque chose d’autre, à titre d’équivalent ; Alors que ce qui est supérieur à tout prix, ce qui par suite n’admet pas d’équivalent, c’est ce qui a une dignité» (3). En clair, la dignité de la personne n’a pas prix et il n’y a aucune raison de décider à sa place car cela est une atteinte à sa dignité
La Loi a imposé le recueil du consentement éclairé de la personne dans des situations afin que cessent certains abus de pouvoir qui ont été avérés par le passé. Mais c’est aussi une pratique qui vise à limiter les risques du coté des professionnels et des institutions. Nous savons que la relation entre une personne en difficulté et un travailleur social est une relation déséquilibrée où le professionnel, qu’il en soit conscient ou non, peut favoriser une dépendance qui va à l’encontre de l’autonomie du sujet. Or nous souhaitons tous travailler pour que la personne soit autonome non ? Inscrire la recherche du consentement éclairé dans sa pratique professionnelle de travailleur social a de multiples avantages.
Voici 6 bonnes raisons pour la pratique du consentement éclairé
- Elle positionne dès le début de l’intervention la personne en tant que sujet de droits
- Elle lui donne à comprendre le cadre dans lequel le professionnel intervient et ses limites
- Elle rééquilibre la relation par l’apport d’informations claires adaptées à la situation de la personne. Elle est un frein à la logique de toute puissance consciente ou inconsciente.
- Elle permet de sortir de l’implicite en posant des mots sur ce qui peut ou va être fait
- Elle ouvre la possibilité d’un dialogue ou du moins d’un échange sur les conditions permettant à la personne de bénéficier de telle ou telle prestation ou service.
- Enfin, elle contribue à la construction d’une relation de confiance grâce à la possibilité qui est donnée à la personne d’interroger le professionnel et de se positionner.
Certes les travailleurs sociaux n’ont pas attendu que la recherche du consentement éclairé soit instituée pour construire une relation d’aide authentique et portée par du sens. Mais l’expérimentation de la pratique du recueil de ce consentement dans le champ des mesures d’accompagnement social personnalisé (MASP) nous montre combien la façon de donner place à la personne et de n’agir qu’avec son accord donne des résultats assez remarquables quand on les compare aux autres mesures d’accompagnement qui ne font pas appel au même ressort.
C’est pourquoi aujourd’hui, malgré les frein et les limites posées, la pratique du recueil du consentement éclairés des personnes accompagnées par des travailleurs sociaux est à valoriser et à développer.
Pour aller plus loin sur cette question n’hésitez pas à consulter l’avis du Conseil Supérieur du Travail Social dont la commission éthique à laquelle je faisais partie en 2013 avec le plan suivant :
- Le consentement éclairé concerne directement le travail social
- Le sens du consentement éclairé et principes d’action pour l’atteindre
- Les tensions dans la mise en œuvre du consentement éclairé en travail social et les points de vigilance
- L’effectivité du consentement et conditions pour mettre en œuvre la participation des personnes
- Les préconisations
Vous pouvez télécharger ici cet avis adopté le 6 décembre 2013
notes :
- 1 Directive européenne 2001-20/EC Art. 2
- 2 et 3 Kant « Fondements de la métaphysique des mœurs », 1785
photo : Pixabay
note : j’avais initialement publié cet article le 11 octobre 2018