Une nouvelle phase progressive et prudente de reprise d’activité débute après les 55 jours de confinement que nous venons de vivre. Nous sommes invités à respecter les désormais fameux gestes barrière, dont le port du masque grand public et la distance physique car l’épidémie est toujours active et évolutive précise le ministère des Solidarités et de la Santé. Mais cette période qui s’ouvre va-t-elle modifier nos attitudes que l’on travaille chez soi ou dans un établissement ? La question mérite d’être posée.
Distinguer la réalité politico-administrative de la réalité sanitaire et sociale
Comme s’interroge Vincent Lindon dans une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux, pourquoi avoir choisi le 11 mars plutôt qu’une autre date ? C’est sans doute lié à la capacité des services de réanimation des hôpitaux ou encore à la nécessité de remettre en marche l’activité économique du pays. Cette décision politique et administrative a finalement peu à voir avec la réalité sanitaire
En effet la veille du déconfinement, SOS médecins avait réalisé 377 interventions pour suspicion de COVID-19. Les services d’urgence ont noté 470 passages pour ce même motif. N’oublions pas que 22 284 personnes sont toujours hospitalisées à cause de cette infection. 523 nouvelles admissions ont été enregistrées en 24 heures
2 712 malades atteints d’une forme sévère de COVID-19 sont actuellement hospitalisés en réanimation. Il a été décompté 26 643 décès liés au COVID-19, 16 820 décès dans les hôpitaux et 9 823 décès dans les établissements sociaux et médicosociaux. (en sachant toutefois que près de 3000 décès survenus en structure hospitalière concernent des personnes en provenances d’EHPAD) On ne peut faire fi de cette réalité sanitaire. Elle nous appelle à la plus grande prudence.
Nous avons fait face à un évènement totalement nouveau dans notre histoire. Pour la première fois, l’impératif sanitaire a prévalu sur la réalité sociale et économique. Par le passé, nous avons eu de grandes pandémies sans que nous en ayons toujours eu réellement conscience. Certaines épidémies telles la grippe (et pas qu’espagnole) ont tué beaucoup de monde dans un relatif silence médiatique. C’est peut-être là une différence à noter.
Face au déconfinement, sur quels principes éthiques s’appuyer en tant que travailleur social ?
Le virus est toujours là. Aussi le déconfinement ne peut être engagé sans en tenir compte. Mais comment s’y prendre face à toute les tâches qui concernent les travailleurs sociaux dans leurs pratiques avec les personnes qu’ils accompagnent ? Certes le ministère des solidarité a mis en ligne hier un guide intitulé « pour un accompagnement de la phase de déconfinement des missions de protection de l’enfance, dans le respect des règles sanitaires et des impératifs de distanciation physique ». Outre qu’il arrive un peu tard, il fait 50 pages et malgré sa consistance, il ne peut bien évidemment répondre à toutes les questions. (j’y reviendrai prochainement)
Mais revenons sur la question des principes éthiques qui peuvent nous guider dans nos actions…
Le principe de précaution est celui qui est le plus cité actuellement notamment par les maires à l’heure de la nouvelle rentrée scolaire qui s’annonce. Paul Berg, prix Nobel de Chimie, fut le premier a y faire référence en 1975. Il avait appelé à un moratoire sur les manipulations génétiques, afin d’éviter que des bactéries génétiquement modifiées puissent se disperser dans l’environnement.
Contrairement à ce que l’on peut penser, le principe précaution n’empêche pas d’agir. Mais il oblige de tenir compte de la situation dès lors qu’aucune réponse n’est apportée malgré un questionnement légitime.
L’encyclopédie Universalis précise que ce principe « présuppose une situation d’incertitude, où des perceptions et des intérêts divergents s’affrontent, entre lesquels le flou des connaissances et l’ignorance de l’ampleur du danger ne permettent pas de trancher. Ensuite, l’entrée en précaution suppose la possibilité d’un risque grave ou « potentiellement grave», d’un dommage « grave et irréversible ». Ce principe demande que l’activité soit cadrée et organisée de façon à ne pas provoquer un dommage irréversible.
Le principe de précaution s’impose aux administrations. Il les oblige à développer en leur sein des procédures de prévision et d’évaluation afin de tenter de prévenir les risques majeurs pouvant conduire à l’engagement de leur responsabilité.
En travail social, le principe de précaution s’utilise aussi dans le cas de prises de décisions délicates et dont les effets sont incertains. La question a se poser (et à répondre !) sera alors comment dois je agir pour que la personne auprès de qui j’interviens ne risque pas d’être contaminée à mon corps défendant.
- lire la fiche « L’administration est-elle soumise au principe de précaution ? » (vie publique)
- lire l’article sur le principe de précaution (novethic.fr)
Le principe de non nocivité et d’utilité potentielle ou autrement dit le principe de non-nuisance est tout aussi important. Ce principe de non-nuisance ou harm principle a été énoncé par John Stuart Mill en 1859. Selon ce principe, « la seule raison légitime d’interférer avec les affaires des autres est d’empêcher que du tort soit causé à autrui ». Cette volonté de ne pas nuire nous oblige à penser nos actes en amont et rechercher à en évaluer les conséquences possibles en tentant de repérer celles qui pourraient être problématiques pour la personne aidée. Nous modulons alors nos actes en tenant compte de ce risque qui est identifié.
Ce principe en travail social consiste à mon sens « à vouloir et rechercher le bien de la personne ou de la famille, son autonomisation, son insertion, son équilibre, son épanouissement et, conjugué au principe d’utilité potentielle, de le vouloir et le rechercher pour le présent et pour l’avenir de cette personne, de cette famille, et d’autres usagers potentiels. » la principale question a se poser peut être déclinée sous la forme suivante : L’aide apportée avec les méthodes du travail social va-t-elle améliorer la situation de la personne ? Il serait fort utile que dans le cadre de la situation actuelle nous puissions cette question au travail avant d’intervenir. Une intervention mal pensée ou mal préparée peut avoir de lourdes conséquences.
Réfléchir avant d’agir !
Voilà pour l’essentiel. Accepter de se poser des questions et y répondre avant d’agir est une pratique professionnelle qui n’est pas spécifique au travail social. Tous les métiers du care sont concernés. La situation actuelle justifie vraiment de continuer à nous interroger pour trouver des réponses adaptées. C’est aussi ce qui fait la force du travail social : réfléchir avant d’agir !
Que penser de certain(e)s encadrant(e)s qui demandent d’agir en réponse à un ordre sans en discuter les effets ou conséquences ? Il y aurait d’un côté la tête et de l’autre les jambes ? Cette vision est aujourd’hui totalement dépassée. Les encadrements et directions ont pourtant tout à gagner à prendre en compte les avis de chacun.
C’est faire appel au principe éthique de discussion. L’intelligence collective produite par la réflexion de tous au sein d’une institution est bien plus riche et efficace que celle d’une seule personne qui à force de tout savoir finalement ne sait rien.
photo : freepik @drobotdean
Une réponse
Bonjour,
La question de l’éthique en travail social me paraît également un enjeu central à saisir autant dans une logique de respect des volontés d’engagement des professionnel.le.s de terrain que dans l’idée d’une « qualité » des services rendus aux progrès individuels et collectif. Merci pour ce texte qui remet la lumière sur ce questionnement éthique, nécessaire en temps de « crise » !
Peut-être que, pour prolonger la réflexion, vous serez intéressé à prendre connaissance du texte et « podcast » que j’ai moi-même conçus sur cette même thématique. Vous verrez, si vous voulez bien y jeter un œil, que j’ai également été quelque peu inspiré par vos deux textes sur le « travail social radical » dont j’ai découvert, en partie grâce à vous, qu’il était une tradition bien ancrée en Grande Bretagne, et sur lequel j’aimerais désormais me pencher un peu plus :
https://pagesrougesetnoires.wordpress.com/2020/05/01/politiser-ou-democratiser-travail-social-jonathan-louli/
Au plaisir de vous lire à nouveau prochainement,
Bien cordialement,
Jonathan