J’ai reçu le témoignage d’un conseiller France Travail après avoir publié un texte au sujet de la réforme de cette institution qui soulève des inquiétudes. Après l’avoir recontacté, ce qu’il m’a dit me conduit à rédiger un nouvel article sur ce qui se passe dans les arrières boutiques de son administration. Cet ardent défenseur des services publics ne mâche pas ses mots. D’où la nécessité de garder son anonymat. C’est un homme désabusé et déçu qui m’a confié son point de vue qu’il me parait utile de vous communiquer.
La fin des métiers de contact ?
Travaillant « à l’ancienne » Georges constate que plus personne ou presque n’apprécie les métiers dits de contact. Ceux qui vous conduisent à accueillir une clientèle ou des usagers. Les métiers de l’enseignement, de conseillers bancaires, de travailleurs sociaux sont particulièrement rejetés par les demandeurs d’emploi. Il en est de même au sein des agences de France Travail. 80% des conseillers détestent littéralement le poste d’accueil auquel ils sont contraints de participer à échéances régulières.
Ils estiment que de nombreux « clients » c’est-à-dire les usagers de France Travail, sont devenus « insupportables ». En conséquence, de très nombreux conseillers ne supportent plus la plainte des demandeurs d’emploi qui se présentent souvent comme des victimes incomprises ou pire qui tapent du poing sur le bureau ou hurlent leur mécontentement.
Dans la (grande) agence où il travaille, chaque permanence voit une ou deux personnes sortir de ses gonds. Il faut alors appeler la sécurité ou faire soi-même le policier sans s’énerver en recevant une agressivité pour laquelle l’agent n’est pas formé. Forcément, cela énerve et provoque des tensions. En tout cas, assurer ces permanences d’accueil n’est pas du tout un plaisir, c’est une galère dont nombreux voudraient bien se passer.
Georges constate que la jeune génération de conseillers ne travaille plus comme les anciens. Les nouveaux arrivants manquent d’expérience et ne sont pas formés à l’écoute ni à la communication avec des demandeurs d’emploi en difficulté. Il reconnait que les éclats de voix des usagers font souvent suite à des propos déplacés de la part de certains de ses collègues. Mais cela est dû, à son avis, à un manque de formation et de prise en considération de ce besoin. Travailler sur l’écoute et l’empathie n’est pas dans l’ADN des conseillers, pourtant il en faut un peu.
Si les conseillers sont formés dans le calcul des droits, l’orientation et la gestion des offres et des demandes, rien n’est prévu sur la gestion humaine de la relation. Chacun se comporte à partir de ce qu’il est. Bien évidemment, ça coince vite avec certains qui ne sont pas, si l’on peut dire, très diplomates.
Une pression qui provoque un mal-être professionnel
Ces agents ne sont pas en « burn-out » comme on pourrait le penser. Non, dit-il, ils sont saturés de consignes et d’objectifs. Il dénonce, au passage, la faiblesse des salaires quand on débute dans le métier (1380 € net par mois), le manque de possibilité d’évolution au sein des agences et surtout la mauvaise qualité du service des ressources humaines.
Mais dit-il, il ne faut pas se raconter d’histoires, « France Travail ne manque pas de moyens ». Les difficultés actuelles ne sont pas liées à un manque de ressources. De l’argent, il y en a, mais il est mal réparti. L’argent est mal distribué. Notre conseiller est choqué de la démesure de moyens en termes de locaux, de matériels, non pas pour les agences, mais pour les sièges et les directions régionales et départementales, là où les effectifs sont pléthoriques et qui ne sont pas en contact direct avec les demandeurs d’emploi. Il faut aussi noter que le taux d’occupation des locaux est très faible, car les demandeurs d’emploi ne sont reçus que par demi-journées.
Il faut par ailleurs rendre hommage à ce qui fonctionne en interne : France travail est très inclusif et protecteur de ses salariés, qu’ils soient titulaires ou vacataires. Georges rappelle au passage que les personnels titulaires sont très majoritaires. Pour lui, parler d’insécurité de l’emploi auprès des agences est un reproche qui ne tient pas. Il en veut un peu à certains syndicats et à ceux qui dénoncent une précarisation de l’emploi au sein des agences.
Il rappelle au passage que ceux qui parlent de la privatisation de France travail qui intervient avec de nombreux partenaires sont dans l’erreur. La plupart de ces structures sont des structures associatives (qu’il connait bien). On est loin de « l’uberisation » des accompagnements. Avec ces structures, nous restons dans les missions de service public, précise-t-il. Rien à voir avec une quelconque privatisation.
Pour autant, il faut l’avouer, dit-il, chacun travaille à son propre rythme. Certains conseillers convoquent très peu de demandeurs d’emplois. Chacun gère son portefeuille de chômeurs comme il l’entend. Les priorités des uns ne sont pas celles des autres. C’est pourquoi un usager de France travail peut tout autant être mal reçu que l’être vraiment bien. Cela dépend sur qui on tombe. Et ça, c’est un problème dont on ne parle pas. Les inégalités de pratiques existent au sein des agences. Celles qui sont en milieu rural, dans la France périphérique, sont très mal dotées. Celles qui sont en milieu urbain ont en quelque sorte industrialisé les pratiques d’accompagnement.
Raz le bol des injonctions
Georges tient aussi à aborder ce qui agace au plus haut point les agents de France Travail : les injonctions gouvernementales. Selon les orientations d’actualité, de la communication de tel ou tel ministre, il faut aussitôt cesser son activité pour convoquer telle ou telle catégorie de demandeurs d’emplois. Derniers en date, ce furent les séniors. Les consignes arrivent d’en haut et tout le monde se met au garde à vous.
Quand dans la presse, il est fait état d’une politique volontariste dans tel ou tel secteur, il faut aussitôt agir dans le secteur concerné, quitte à laisser tomber les accompagnements engagés. Cette pratique de « stop and go » épuise les professionnels de l’accompagnement, car il faut mettre de côté ce qui est engagé pour passer à autre chose, c’est-à-dire à d’autres demandeurs d’emploi qui eux n’ont rien demandé, mais qui seront quand même convoqués pour leur présenter telle ou telle mesure. Ce fut le cas aussi à l’occasion des Jeux Olympiques où il fallait placer coute que coute des demandeurs d’emploi à des postes sur lesquels ils n’avaient ni l’intérêt ni la compétence. C’est très agaçant, voire démoralisant, car dans ces situations, tous ont le sentiment de travailler un peu n’importe comment.
Finalement, ce qui est difficile et délicat, sont les deux bouts de la chaine, dit-il : les jeunes et les séniors. Ces publics dits prioritaires sont les plus difficiles à insérer professionnellement, tout simplement parce que de nombreux employeurs rechignent à les recruter.
Ce que nous dit Georges, au final, est qu’il faudrait pouvoir mettre en œuvre des politiques d’emploi structurelles et non au coup à coup. Un accompagnement pour réussir un placement dans une entreprise s’inscrit dans la durée. Or c’est souvent ce qui manque. Le temps des usagers n’est pas celui de l’institution. « Nous aimerions faire notre travail en respectant les rythmes de chacun, car quand on va trop vite, que l’on n’a pas compris la situation du demandeur d’emploi, celui-ci ne tient pas dans le poste qui lui a été proposé ».
Vous l’avez compris, Georges aime son travail. Il aime un travail bien fait, qui ne soit pas dévoyé. Il a de l’expérience, mais il s’interroge et doute. Il ne sait pas encore à quelle sauce lui et ses collègues seront mangés. Peut-être va-t-il partir. Il se pose la question. Finalement, Georges se pose trop de questions. Ce n’est pas ce qu’il faut faire pour tenir dans le métier.
Photo d’illustration : OceanProd sur Depositphotos
Une réponse
Je voudrais bien répondre à « Georges » je suis moi même chez FT. Est ce possible de lui dire que si en effet la formation est défaillante a FT c’est un choix de la direction, que les salariés précaires existent bien et sont souvent place à l’accueil sans formation ni accompagnement, que la pression est mise sur ceux qui ne résistent plus à cette activité, que des médecins attestent régulièrement de la souffrance au travail chez FT que l’agressivité est dû à l’incompréhension des usagers ou même des conseillers quant à ma réglementation qui change et qui devient trop complexe, que les employeurs sont habitués (gavés ?) aux aides à l’embauche, et enfin que la sous traitance est carrément installée sur l’activité de FT avec une efficacité bien moindre qu’un conseiller et pour bcp plus cher et que ce marché va encore exploser à l’avenir, car oui, si argent il y a, ce n’est pas pour les salariés comme le dit Georges mais pour bcp de sous traitance inefficace et choisie de façon opaque.
Merci de respecter ce droit de réponse.