Certaines institutions sont véritablement mortifères et l’on ne peut que s’interroger sur le climat qui règne dans certains services. Pour preuve, trois informations déconnectées les unes des autres nous montrent des violences au travail telles que peuvent les subir des travailleurs sociaux. Certaines sont dramatiques. Ces faits sont survenus ce mois de juin…
Tentative de strangulation, placage au sol, menaces de représailles : la violente agression d’un éducateur spécialisé à Toulouse
Un article de France 3 Occitanie signé Mélanie Philips nous apprend qu’un éducateur de la maison des Solidarités de Muret a été victime de graves violences le 15 juin dernier. Les faits sont survenus lors d’une visite médiatisée au centre départemental enfance et famille à Toulouse. L’auteur des violences était le père d’un enfant placé à l’aide sociale à l’enfance (ASE). Suite à cette agression qui s’apparente à un passage à tabac, l’éducateur a obtenu trois jours d’ITT (Interruption Temporaire de Travail). En réaction, l’équipe de la maison des Solidarités a exercé son droit de retrait pour danger grave et imminent et l’établissement a fermé ses portes pour deux jours.
La situation est préoccupante selon le syndicat SUD du conseil départemental de la Haute-Garonne. Le syndicat révèle une série d’agressions verbales et de menaces récurrentes au sein de l’établissement depuis plusieurs semaines. Le syndicat ajoute que la sécurité du personnel n’est plus garantie, notamment en raison de l’absence de l’agent de médiation, non remplacé depuis début juin. Une réunion entre la direction, les agents et le syndicat Sud a été prévue pour le lundi 19 juin, avec l’espoir de trouver des solutions pour améliorer la sécurité.
Le syndicat critique également la dégradation des conditions de travail dans l’établissement et plus généralement dans l’aide sociale à l’enfance (ASE). L’augmentation de la charge de travail, le manque de moyens, la complexité des relations avec les partenaires et l’accueil d’un public en grandes difficultés sont tous identifiés comme des facteurs contribuant à la situation actuelle. Le syndicat souligne également le déficit de places d’accueil et de prises en charge médico-sociales, menant à des tensions et à un « conflit éthique énorme ». (lire l’article de France 3 Occitanie)
La Membrolle-sur-Choisille : un éducateur se suicide sur son lieu de travail
Luc Montalbano, un éducateur de 54 ans, s’est suicidé le 13 juin dernier sur son lieu de travail au foyer Anaïs de La Membrolle, un établissement spécialisé dans l’accompagnement des personnes en situation de handicap de l’Indre et Loire. Dans un email envoyé à ses collègues juste avant son décès, il avait affirmé avoir été « poussé à bout » par sa direction, qu’il accusait de harcèlement. Dans son message, il insistait sur le fait qu’il n’avait aucun antécédent dépressif ou de problèmes familiaux ou financiers, suggérant que son suicide était un acte de désespoir et une forme de protestation contre le traitement qu’il a subi.
La commission de Mobilisation du Travail Social Ile-de-France a transmis cette information sur Facebook en diffusant l’article de La Nouvelle République qui relate ce drame. L’éducateur décédé avait déjà exprimé ses préoccupations concernant son traitement par la direction du foyer Anaïs, avec plusieurs tentatives pour attirer l’attention sur le problème, notamment par des courriels à l’inspection du travail, au siège social de la Fondation Anaïs à Paris, et au médecin du travail. Ces appels au secours sont restés sans réponse. En février 2023, il avait reçu une convocation à un entretien préalable en vue d’une possible sanction disciplinaire pour avoir refusé de participer à la gestion du site internet de la fondation en signe de protestation contre la gestion de la pandémie de Covid-19.
Suite à son suicide, une enquête a été ouverte et confiée à la gendarmerie. La Fondation Anaïs à Paris a exprimé sa sympathie à la famille de Luc Montalbano, aux employés et aux usagers. Elle a également souligné que des mesures étaient en cours pour fournir le soutien psychologique nécessaire à ceux qui sont touchés par ce drame. L’accueil de jour de l’établissement restera fermé jusqu’au 31 août 2023. Mais, le problème de fond demeure. Quel management et quelle prise en compte de la souffrance au travail ? Il y a là des responsabilités qui devront être établies quand on apprend qu’un autre professionnel s’était déjà donné la mort 3 ans plus tôt dans la même structure. (lire le post de la Commission Mobilisation Travail Social Île de France)
« Je n’en pouvais plus »: les salariés de l’APEI du Boulonnais dénoncent un climat de terreur
Une structure dédiée à l’accompagnement des enfants inadaptés à Boulogne sur mer traverse une zone de turbulence majeure. L’Association de parents d’enfants inadaptés (APEI) du Boulonnais a été exclue de plusieurs instances nationales de l’association des Papillons blancs fin mai. Cette décision radicale survient à la suite de multiples signalements de ses salariés révélant une souffrance au travail intense, voire insupportable. Florine Kurek, avec Juliette Moreau Alvarez ont réalisé un reportage diffusé par BFMTV qui met en lumière des dysfonctionnements majeurs.
La cause apparente ? Une gestion autoritaire, orchestrée par le directeur général par intérim et soutenue par le conseil d’administration. Une direction qui, selon les témoignages, a conduit à une cascade d’arrêts de travail pour dépression et même à des tentatives de suicide au sein du personnel. Face à cette situation alarmante, plusieurs signalements de harcèlement moral et de maltraitance institutionnelle ont été adressés à la fédération nationale, à l’inspection du travail ainsi qu’aux deux financeurs de l’association que sont l’ARS et le Conseil départemental.
L’Unapei, dans un acte fort et significatif, a décidé à une large majorité lors de son assemblée générale le 26 mai, la radiation de l’APEI du Boulonnais. « Cette décision, difficile, pour un réseau associatif est nécessaire », a déclaré le mouvement dans un communiqué le 5 juin, soulignant que les actes incriminés vont à l’encontre de ses valeurs d’accompagnement digne et d’accès aux droits. Ils s’opposent également aux dispositions de sa Charte éthique et déontologique, à sa vocation et ses engagements. Pour Véronique Framey, déléguée syndicale CFDT, la seule issue viable pour cette crise majeure serait une mise sous tutelle de l’association. Elle estime urgent d’en revenir à une association saine et éthique.
L’ARS assure avoir transmis ces signalements à l’inspection du travail et au procureur de la République. Deux enquêtes sont en cours pour harcèlement moral et abus de confiance au sein de l’association qui accompagne plus de 600 enfants en situation de handicap. La direction actuelle de la structure limite sa réaction en faisant preuve d’une langue de bois à toute épreuve. Malgré le tumulte, elle insiste sur le fait que le bien-être au travail reste « une priorité permanente ». Comment ne pas comprendre à travers de tels faits la perte d’atractivité des métiers de l’aide et du soin lorsqu’ils sont ainsi malmenés ? (lire et regarder le reportage de BFMTV)
Lire aussi
- Travail social : ce que la Seine-Saint-Denis ramène du Québec | Le Média Social(un superbe reportage à ne pas manquer. Il est signé Noël Bouttier)
- Petite enfance : une expérience pionnière en Corse se heurte à un mur | Corse Matin (Des professionnels bénévoles ont mis en place de petites unités mobiles pour aller au-devant des familles dans les zones reculées de Corse. Mais ils butent sur la réticence des pouvoirs publics face à une démarche unique en France. Sans soutien financier, ce sera la clé sous la porte.)
- Avoir connu la pauvreté: un avantage entrepreneurial ! | les affaires.com (Souvent, le fait d’être ou d’avoir été pauvre sert de catalyseur pour l’innovation, la résilience et l’ingéniosité, permettant finalement aux entrepreneurs de transformer cette difficulté en richesse !)
- Bientôt un livre blanc du travail social pour agir concrètement sur l’attractivité des métiers | Banque des Territoires
- Attractivité : l’Uniopss apporte son concours au livre blanc du travail social | ASH
- Ouvrir la porte des établissements aux parents : 6 bonnes pratiques avec les familles | ASH (les ASH clôturent ainsi une série de 6 articles sur de « bonnes pratiques » que vous pouvez retrouver sur son site)
- La CNAPE devient partenaire de la billetterie populaire des Jeux 2024 | CNAPE (Dans le cadre du programme « Tous aux Jeux » de billetterie populaire de l’État pour les Jeux olympiques et paralympiques, qui se dérouleront du 26 juillet au 8 septembre 2024, Charlotte Caubel, Secrétaire d’État chargée de l’Enfance a confié la gestion de 7 200 billets à la CNAPE, au profit des enfants bénéficiant d’une mesure de protection de l’enfance.)
- Pas encore de sortie de crise à l’IRTS de Poitiers, un nouveau conseil d’administration programmé | ici
- L’accueil social inconditionnel déployé au 1er juillet | Département de l’Aude (un article clair et précis sur ce que peut être l’accueil social inconditionnel au sein d’un département)
- À Brest, les travailleurs sociaux ont manifesté, le mardi 20 juin Ouest France
- « Les chiffres priment sur le sens du travail » | Centre Presse(Les agents de la Maison des solidarités départementales de Decazeville se sont mis en grève, pour la 3e fois en quatre mois. Au cœur de leurs revendications : des moyens humains et financiers)
Vous êtes allé(e) au bout de cette revue de presse ? Bravo et merci ! Un grand merci aussi à Michelle Flandre qui m’a aidé à la réaliser.
photo : freepik.com@Dragana_Gordic
Une réponse
Je pense également à cet article https://france3-regions.francetvinfo.fr/nouvelle-aquitaine/correze/brive/une-travailleuse-sociale-de-brive-victime-d-une-agression-a-l-arme-tranchante-transportee-en-urgence-absolue-a-l-hopital-2790582.html