Notre société est devenue un gigantesque espace d’évaluation : nombreux sont désormais ceux qui, en allant au restaurant ou dans un magasin, notent via des applications la qualité du service reçu. Les adeptes des réseaux sociaux, grâce à des likes ou des réponses pré-programmées, notent la qualité de tel ou tel commentaire. Les locations en lignes et les grandes plateformes de vente vous proposent de cliquer sur des étoiles pour qualifier votre achat. Bref, tout cela semble vous donner un pouvoir, celui du consommateur qui note, juge ou évalue le service qu’il reçoit.
Ce système d’évaluation peut être détourné de sa fonction initiale et on ne compte plus les fausses évaluations qui visent à influencer votre opinion. Il est ainsi relativement simple de dégrader la réputation d’un commerçant par la concurrence. Mais savez-vous que les applications vous évaluent elles aussi ?
C’est particulièrement vrai pour les sites de rencontre. Vous êtes évalué en fonction de critères en lien avec les réponses que vous apportez et aussi en fonction de votre navigation au sein de l’application. Le « elo-score » est une note qui vous est appliquée. Le terme « Elo Score » provient au départ du système de classement des joueurs d’échecs, ainsi que d’une branche des mathématiques : « la théorie des jeux ». Il s’agit d’analyser les choix d’individus en interaction. L’algorithme trie, classifie et propose un résultat à partir de vos données et de vos interactions. Cela vaut aussi pour certains réseaux sociaux. Certains, tels Tinder, disent avoir abandonné cette pratique, mais elle a été remplacée par un calcul encore plus sophistiqué. Bref, le hasard et la surprise de rencontrer quelqu’un de complètement différent n’existe plus. Or c’est bien de la différence que nait cette petite étincelle qui préfigure une rencontre enrichissante.
Une arme à double tranchant
Vous pensez sans doute que ces notations sont utiles et vous permettent de disposer du meilleur choix. Mais c’est une arme à double tranchant. Vos opinions et vos pratiques numériques sont traduites via des données pour mieux orienter vos choix en vous proposant des produits auxquels vous n’auriez pas pensé. Les discussions qui circulent sur votre mur Facebook ou X, pour ne citer qu’eux, vous enferme dans une bulle où vous ne croisez principalement des personnes qui ont un certain nombre de caractéristiques qui vous ressemblent. Les algorithmes sont aussi programmés pour vous proposer des informations ou des produits qui provoquent votre réaction en affichant de façon régulière des vidéos ou des commentaires censés stimuler vos émotions ou vos envies. Il est fait appel aux « sciences de l’attention » qui sont aussi fort utilisés dans la vie courante par les professionnels du marketing.
Tout cela est documenté et vous êtes sans doute déjà informé de cette réalité. Malgré cela, nous continuons à utiliser les applications, car le bénéfice ressenti de vos usages paraît plus important que les inconvénients que vous allez considérer comme acceptables. En tout cas, une chose est sûre : les applications pistent vos clics et vos pratiques numériques afin d’attirer votre attention et de vous conduire à choisir tel ou tel produit ou service.
Alors comment, si vous le souhaitez, vous sortir de tout cela ?
- Un premier point consiste à cesser de noter les services que vous utilisez. En arrêtant de qualifier, de noter et d’évaluer, vous ne nourrissez plus l’algorithme qui sera utilisé à vos dépens sans que vous le sachiez. Vous quittez ce monde que dénonce Roland Gori, professeur émérite de psychopathologie clinique, co-auteur de La Folie Evaluation Les nouvelles fabriques de la servitude.
- Le second consiste à utiliser des logiciels différents si souhaitez rester en lien avec votre réseau sans véritablement le subir. Par exemple, il est possible d’utiliser des logiciels alternatifs.
- Le troisième consiste à utiliser des réseaux alternatifs et inviter vos amis à vous rejoindre. C’est ce que j’ai pu faire en quittant WhatsApp pour lui préférer Signal comme l’ont fait des millions de personnes. Plus délicat et difficile : quitter Facebook et consorts en choisissant Mastodon ou Diaspora, mais ces réseaux sociaux sont peu utilisés. Je ne suis pas allé jusque-là. C’est compliqué.
- Enfin, il y a celles et ceux qui quittent les réseaux sociaux. Là, effectivement, c’est radical. Pour ma part, j’ai quitté X (Twitter) que je n’utilise plus. Je ne vais quasiment plus sur Facebook (ce sera à titre exceptionnel). Il me reste LinkedIn qui permet de rester en lien qu’avec des personnes clairement identifiées.
Il existe sans doute d’autres façons d’éviter « l’enfermement des algorithmes ». Si vous avez des pratiques qui permettent de les éviter ou les contourner, n’hésitez pas à les communiquer ici en commentaire sur ce blog, je ne manquerai pas de les relayer dans cet article
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