Didier Dubasque
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Télétravail et protection des dossiers « papier » : une réflexion de la commission éthique et déontologie du HCTS

La commission éthique et déontologie du Haut Conseil du Travail Social que je coanime avec Françoise Delpech a produit deux documents qui ont récemment été validés par  l’assemblée plénière du HCTS. Le premier porte sur le partage d’information et les référents de parcours alors que le second tente de répondre à une question transmise  par le secrétaire général du Haut Conseil. Elle aborde la question de l’usage des dossiers « papier » a son domicile lorsque l’on pratique le télétravail. La question est posée comme suit :

« J’accompagne un établissement (CHRS) dans la réécriture de son projet d’établissement. Je suis confronté à une situation inédite qui concerne les professionnels. En télé travail, peuvent-ils emporter les dossiers des usagers à leur domicile afin de continuer leur activité ? »

La question peut vous paraitre anodine. Or elle ne l’est pas tant que cela. Cette question à la fois directe et pragmatique pose une problématique qui s’avère finalement plus complexe qu’il n’y parait et qui appelle une réponse nuancée.

Dans les faits, cette pratique n’est pas nouvelle. Les visites à domicile ou les permanences dans des lieux de proximité ont toujours nécessité d’emporter des dossiers avec soi. Ce qui était ancré dans des habitudes relativement bien rodées, cadrées et adaptées à des situations identifiées, est apparu subitement comme une pratique posant de multiples questions de sécurité des dossiers, de protection et de confidentialité des données. Le domicile privé d’un professionnel offre-t-il les garanties nécessaires à ces exigences légales ?

Le  document que vous propose ici la commission éthique et déontologie rappelle d’abord ce qu’est un dossier. Il est souvent nommé « dossier social » ou « dossier de l’usager ». Quelle que soit sa dénomination il doit répondre à un certain nombre de règles juridiques d’où la nécessite de les rappeler. Nous avons retenu pour parler du dossier « papier »  la définition suivante que l’on doit à Gérard Chevalier : « Le dossier de la personne accueillie ou accompagnée […] se définit comme le lieu de recueil et de conservation des informations utiles […] formalisées, organisées et actualisées ». Cette définition un peu ancienne reste d’actualité.

Quelle utilisation du dossier dans le cadre du télétravail du point de vue des personnes accompagnées ?

Nous avons interrogé des travailleurs sociaux, des cadres d’action sociale, mais aussi des personnes accompagnées. Les points de vue divergent, car les pratiques sont multiples. Il y a aussi des aspects où tous se rejoignent. Le point de vue des personnes accompagnées est lui aussi partagé :

  • Certains n’acceptent pas de voir leur dossier au domicile du professionnel qui les accompagne. Ils sont catégoriques : les risques de fuite, notamment sur les questions de santé, sont trop importants.
  • D’autres acceptent cette pratique sous condition : « Si cela s’avère nécessaire, pourquoi pas ? ». « Il faut reconnaitre le professionnalisme du travailleur social qui prend ses responsabilités et lui faire confiance. »

Mais en toute circonstance, il faudrait à minima informer la personne concernée par le dossier et aussi lui demander son accord. Or il semble que cette pratique de demande de consentement n’est pas souvent mise en place. Il est plutôt considéré que ce sujet concerne d’abord le professionnel et son employeur, car tous deux partagent une responsabilité qui oblige à protéger les informations.

Sur quoi sommes-nous d’accord ?

Une majorité des acteurs interrogés estime que les dossiers ne devraient pas sortir : confidentialité, risque de pertes de données personnelles, … Pandémie ou pas, il existe un tiraillement entre « comment faire dans l’intérêt de la personne concernée » et « respecter les évidentes règles de sécurité des données ». Le dossier est utilisé chez soi, car il permet de mieux aider la personne

L’idée d’une numérisation totale des dossiers est évoquée mais, très vite, des limites sont pointées, aucune solution n’étant jugée satisfaisante. La numérisation totale est vécue comme impossible (trop longue, « inconfortable » en termes d’ergonomie, imparfaite sur l’actualisation en temps réel et non exempte des risques connus sur les dossiers papiers : piratage informatique, système à l’arrêt, etc.

L’accord de la personne concernée est considéré comme un enjeu majeur, de même que la nécessité de disposer de références claires pour construire une pratique efficiente respectueuse de la loi et des personnes. Guide de bonnes pratiques, réflexion sur le contenu des dossiers et adaptation des outils informatiques sont des pistes à explorer.

Les recommandations de la commission

Pour cet éclairage, nous avons tenté d’identifier plusieurs principes éthiques en tension.

  • L’utilité potentielle et la non-nocivité  : Emmener un dossier à son domicile ou dans un lieu tiers est utile pour permettre au travailleur social de prendre en compte la totalité des éléments et de mener ainsi à bien son action. Mais sortir un dossier du lieu sécurisé constitue une prise de risque, tels que le vol, la perte ou l’indiscrétion. Aussi il convient de définir un cadre assurant la sécurité des dossiers en cas de sortie de ces derniers, et d’examiner par ailleurs les possibilités permettant de consulter un dossier à distance, soit par voie électronique, soit par la présence de professionnels formés et dédiés, tels que les secrétaires.

 

  • La responsabilité et le respect de la confidentialité : S’il est possible de déplacer un dossier – la loi ne l’interdit pas – il reste nécessaire de le protéger. Sa sécurisation et son intégrité doivent être garanties afin de permettre la continuité de l’action du professionnel quel que soit le mode d’accès choisi (numérique, papier). Un cadre et des règles claires doivent être fixés. Le partage de responsabilités nécessite de les identifier et de les articuler. Le professionnel doit pouvoir apporter des garanties de sécurité qu’il mettra en œuvre.

 

  • La communication transparente et le consentement éclairé :  Les données inscrites dans le dossier appartiennent à la personne accompagnée qui a le droit d’y accéder. Actrice dans l’action engagée elle doit, à ce titre, être informée du projet de déplacer le dossier qui la concerne au domicile du travailleur social. Il convient également de l’informer des règles en vigueur au sein de l’institution sur le déplacement des dossiers. Pourquoi ? Dans tout le processus d’accompagnement, la participation et l’implication de la personne accompagnée est une dimension essentielle, d’où l’importance de lui demander son avis.

En toutes circonstances la décision à prendre respectera un principe de finalité : celui d’agir avec la personne et au plus près de son intérêt en se donnant des garanties sur la sécurité d’accès aux dossiers. Cela parait une évidence, mais au regard de nos pratiques, il est toujours utile de les interroger. Le document vous propose aussi une recension des textes de référence sur les dossiers administratifs de type nominatifs et sur le télétravail

note : cet article n’est pas un résumé de la fiche et n’aborde que certains aspects du sujet. C’est pourquoi je vous invite à télécharger ici la note de la commission éthique et déontologie : « Télétravail et protection des dossiers « papier » à l’attention des travailleurs sociaux, employeurs et des personnes accompagnées.

 

 

Photo créée par stockking – fr.freepik.com

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Une réponse

  1. un grand merci pour amener à une réflexion sur la pratique professionnelle et le télétravail

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