Quelles solutions innovantes pour les acteurs de la protection de l’enfance ?

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Olivier Sichel, directeur général délégué de la caisse des Dépôts, vient de publier un rapport intitulé « Des solutions innovantes pour les acteurs de l’enfance protégée. Une approche écosystémique qui peut changer la donne ». Son auteur est aussi le directeur de la Banque des territoires. Cet organisme financier avait été sollicité par des Départements et des associations afin d’inclure l’aide sociale à l’enfance dans les champs à soutenir au travers de son action.

Comment mobiliser des moyens pour permettre d’améliorer la situation ? C’est en quelque sorte à cette question qu’a tenté de répondre cet écrit qui dresse une analyse critique de la situation de la protection des mineurs dans notre pays. Il est donc utile d’en prendre connaissance d’autant quil a été remis à Catherine Vautrin au titre de son ministère des Solidarités. Mais que penser de ce rapport et que nous dit-il ?

Des propositions qui manquent d’ambition face à l’urgence de la situation

Ce rapport, bien qu’il dresse un constat inquiétant de la situation, peine à proposer des solutions véritablement à la hauteur des enjeux. Certes, il met en avant des problématiques criantes, mais ses propositions semblent parfois timides face à l’ampleur de la crise qui secoue le secteur.

Il est souligné l’augmentation inquiétante du nombre d’enfants pris en charge par l’ASE, avec une hausse de 46% entre 1996 et 2022. Cette croissance s’accompagne d’une complexification des profils accueillis, notamment avec la présence accrue d’enfants en situation de handicap et de mineurs non accompagnés. Face à ces réalités, le secteur se trouve dans une situation de tension extrême, marquée par un manque criant de places d’accueil et une crise d’attractivité des métiers. Oui evidemment c’est bien de cela qu’il s’agit.

Des chiffres qui révèlent une « faillite du système »

Le rapport met en exergue des chiffres qui ne peuvent que nous interroger : 3355 enfants font l’objet d’une mesure de placement, mais vivent encore dans leur foyer familial, faute de solutions d’accueil. Plus inquiétant encore, 75% des juges des enfants déclarent avoir déjà renoncé à des décisions de placement par manque de places adaptées. Ces données révèlent une carence majeure que dénoncent depuis de nombreux mois voire des années les acteurs de la protection de l’enfance. Le système a été mis, au fil du temps, dans l’incapacité de remplir sa mission première de mise à l’abri des enfants en danger.

La situation immobilière du secteur est particulièrement préoccupante. Le rapport estime les besoins de remise à niveau du parc entre 1,4 et 2,4 milliards d’euros. Cette fourchette englobe à la fois la réhabilitation d’établissements existants et la création de nouvelles places.

Une inégalité territoriale criante

Le rapport souligne aussi la disparité territoriale en matière d’accueil. Certains départements, comme la Creuse, se trouvent dans des situations particulièrement critiques avec sept enfants confiés pour une seule place disponible. Cette inégalité territoriale pose la question de l’équité dans la prise en charge des enfants en danger sur l’ensemble du territoire national.

Face à ces constats, les propositions du rapport semblent parfois manquer d’audace. Certes, l’idée de créer une plateforme de mutualisation des bonnes pratiques est intéressante, mais est-ce vraiment suffisant face à l’urgence de la situation ? De même, la suggestion de mobiliser les bailleurs sociaux pour augmenter l’accueil en logement social des jeunes majeurs issus de l’ASE est pertinente, mais elle ne résout pas le problème de fond du manque de places pour les mineurs.

Des propositions qui peinent à convaincre

Le rapport propose de mettre en place un financement de long terme au service des lieux d’accueil. Cette idée mérite d’être explorée, mais on peut s’interroger sur sa faisabilité à court terme et sur sa capacité à répondre rapidement aux besoins urgents du secteur. En effet, ce sont des prêts bonifiés qu’il faudra de toute manière rembourser.

L’une des propositions les plus originales concerne le développement de solutions innovantes comme l’accueil en résidence intergénérationnelle. Cette approche, qui permettrait de lutter contre l’isolement social des jeunes de l’ASE et des personnes âgées, mérite certainement d’être encouragée et développée à plus grande échelle expliquent les rapporteurs . Mais cela pose de multiples questions. Quels mineurs seraient susceptibles d’intégrer un tel dispositif quand on connaît les troubles de comportement de nombre d’entre eux ? Est ce vraiment pertinent dans les faits ?

L’idée est aussi de développer des modèles de solutions d’hébergement temporaires. Par exemple en favorisant le recours aux bâtiments modulaires pour répondre aux besoins d’urgence. Les bailleurs sociaux déjà fortement mis à contribution par l’État sont invités à signer des conventions pour augmenter l’accueil en logement social pour le public prioritaire que constituent les jeunes issus de l’Aide Sociale à l’Enfance. Mais quid de l’accompagnement éducatif ?

La crise d’attractivité des métiers : un problème majeur insuffisamment traité

Le rapport aborde également la crise d’attractivité des métiers de l’ASE, un problème majeur qui impacte directement la qualité de la prise en charge des enfants. Il souligne notamment la situation critique des assistants familiaux, avec 75% des professionnels âgés de plus de 50 ans. Face à ce constat, les propositions du rapport semblent insuffisantes. Certes, l’idée de développer l’apprentissage dans le secteur peut paraitre pour certains pertinente, mais elle ne résout pas le problème de fond lié aux conditions de travail difficiles et au manque de reconnaissance de ces métiers. Qui aujourd’hui accepte un travail H24 à son domicile avec un ipact sur sa vie familiale ?

Le rapport propose de créer une plateforme de formation continue pour les professionnels de l’ASE. Si cette initiative peut contribuer à améliorer les compétences des travailleurs du secteur, elle ne répond pas à la question cruciale de l’attractivité des métiers et de la rétention des professionnels expérimentés. Ce n’est pas faute de l’avoir déjà écrit. Ce sont surtout les jeunes professionnels qui accèdent aux postes vacants, mais vu les charges de travail, ces travailleurs sociaux s’épuisent et quittent le secteur. Bref la crise d’attractivité des métiers de la protection de l’enfance ne peut pas faire l’impasse sur une plan d’amélioration des salaires et des conditions de travail pour améliorer la situation.

Des financements privés et une remise en cause des contenus de formation

Un point du rapport est sa volonté de mobiliser des financements innovants pour le secteur, notamment à travers des fonds de partage. Cette approche vise à mobiliser des fonds privés sous forme d’investissement pour pallier à la  raréfaction des ressources publiques. Ce processus financier mis en avant par le passé avec les « social impact bonds » conduisent à s’interroger sur la capacité de ces mécanismes à générer des fonds suffisants pour répondre aux besoins colossaux du secteur.

Le rapport aborde également la question de la formation initiale des professionnels de l’ASE. Il souligne une inadéquation entre les contenus enseignés et les compétences nécessaires sur le terrain. Cependant, les propositions pour remédier à ce problème restent floues et peu ambitieuses. En tout cas ce constat à vivement fait réagir Stéphane Fournal, directeur général de l’Institut régional du travail social (IRTS) Champagne-Ardenne, qui a expliqué au Média Social que les écoles de travail social « ne doivent pas être des boucs émissaires ».

Stéphane Fournal qui n’est pas un novice s’est déclaré « outré » par les critiques de la Caisse des dépôts sur l’inadéquation de la formation initiale des travailleurs sociaux aux métiers de la protection de l’enfance. Il rappelle avec bon sens que les décideurs des contenus de formation sont les services de l’État. (Les centres de formation ne font qu’appliquer des textes réglementaires de la DGCS). Il rappelle aussi que les étudiants passent une grande partie de leur cursus dans les établissements et services. Ainsi Le diplôme d’éducateur spécialisé compte 1.450 heures en centre de formation et 2.100 heures chez les employeurs. Dire que la formation n’est pas adaptée alors qu’elle se fait principalement sur le terrain est pour le moins peu cohérent. En effet les étudiants éducateurs spécialisés sont plus souvent sur le terrain que dans les écoles.

La modernisation numérique : un aspect à approfondir ?

Un autre point soulevé par le rapport concerne la nécessité de développer des outils numériques pour améliorer le suivi des parcours des enfants et la coordination entre les différents acteurs. C’est un grand classique même si cette modernisation est sans doute indispensable dans de nombreuses structures. Mais elle pose des questions éthiques sur le partage d’informations, le qui fait quoi et comment. Le rapport ne détaille pas non plus suffisamment les moyens concrets pour parvenir « moderniser » via les outils numériques les parcours des jeunes de l’ASE ou même la gestion en intra des établissements.

Il est proposé aux centres de formation de mutualiser les formations, de créer des Moocs (auto-apprentissage). Il est suggéré de « créer une plateforme de mutualisation avec un socle commun de formation et de bonnes pratiques. Cette plateforme servirait de centre de ressources en ligne où les professionnels de l’ASE pourraient accéder à des formations standardisées ». Il me semble que ce mouvement est déjà engagé au sein de nombreux IRTS qui se coordonnent selon des thématiques spécifiques du travail social.

Dans un tout autre domaine, le rapport met aussi en lumière les difficultés d’accès aux droits des jeunes de l’ASE, notamment en termes d’éducation, d’emploi et de logement. Il propose de développer un parcours d’autonomie pour ces jeunes, une initiative louable mais qui nécessiterait des moyens considérables pour être véritablement efficace. En tout cas le constat est clair sur ce sujet et la discrimination positive qu’il serait nécessaire de développer n’existe pas vraiment.

Un rapport qui manque de souffle face à l’ampleur de la crise

En conclusion, si ce rapport de la Banque des Territoires a le mérite de dresser un état des lieux sans concession de la situation de la protection de l’enfance. Mais ses propositions semblent parfois manquer d’ambition face à l’ampleur de la crise. Il propose certes quelques pistes à explorer, comme le développement de solutions innovantes d’accueil, mais on peut regretter l’absence de propositions politiques plus radicales en terme de gestion des moyens pour réformer en profondeur un système qui est présenté comme à bout de souffle. En tout cas, les constats sont là mais les solutions peinent à voir le jour.

Le rapport souligne la nécessité d’une approche écosystémique et du recours au droit commun. C’est un thème que l’on retrouve quasi systématiquement dans les propositions de ce type d’écrit. L’idéologie dominante a pour solution faire entrer des acteurs privés dans le champ de ce financement et de mieux s’articuler avec ce qui existe déjà sans penser que ce qui existe déjà est lui aussi saturé et en tension.

Face à une crise d’une telle ampleur, c’est peut-être une refonte complète du système qu’il faudrait envisager, tant organisationel que financier. Là nous avons plutôt des ajustements à la marge et l’entrée du secteur privé via les financements. Mais peut-on boulever le système actuel en le refondant complètement ? Je suis loin d’en être certain.

La prévention : le grand oublié du rapport

Enfin, on peut regretter que le rapport n’aborde pas suffisamment la question de la prévention. Si l’augmentation des capacités d’accueil est indispensable, il serait tout aussi essentiel de renforcer les dispositifs permettant d’éviter les placements, notamment en soutenant davantage les familles en difficulté. Rien n’est développé sur ce sujet dans ce rapport.

Si ce rapport fait appel aux bonnes pratiques, il aurait été intéressant qu’elles soient décrites plus précisément. Il aurait aussi été utile de regarder ce qui se passe à l’étranger dans les rares pays où la protection de l’enfance n’est pas en crise. En effet la crise actuelle dans notre pays est la même que celle qui existe dans des pays développés qui ont choisi de gérer de façon libérale la protection de l’enfance. Ceux qui ont privatisé le secteur en le rendant marchand ne font pas mieux. Quels sont les ressorts de la « réussite » d’une politique protection des enfants dans les pays ? La cartographie des systèmes de protection de l’enfance en Europe pourrait nous aider à y voir un peu plus clair.

La logique de prévention est axée une nouvelle fois sur le repérage précoce des situations à risques. Cela « permettrait de réduire la pression des prises en charge d’urgence, d’améliorer les
conditions d’accueil des jeunes et les conditions de travail des accompagnants ». « Cela signifie aller au-delà d’outils informatiques métiers centrés sur l’instruction de procédures qu’il faut repenser »

Un regard mitigé et circonspect

En définitive, ce rapport de la Banque des Territoires a le mérite d’exister dirons les optimistes. Il met une nouvelle fois en lumière les difficultés majeures auxquelles est confronté la protection de l’enfance.

Mais les pessimistes penseront que les préconisations même si elles sont nouvelles et à étudier ne semblent pas à la hauteur de l’urgence de la situation. Face à une crise systémique d’une telle ampleur, c’est une véritable révolution dans la prise en charge de l’enfance en danger qu’il faudrait envisager, avec des moyens financiers et humains à la hauteur des enjeux.

Comme dans tout rapport il y a du bon à prendre et du mauvais à laisser.  N’oublions pas toutefois que derrière les chiffres et les propositions, ce sont des milliers d’enfants vulnérables qui ont besoin d’être réellement protégés.

Source :

 


Photo : Licence Freepik

 

 

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Une réponse

  1. Merci à Didier pour cette analyse qui aurait pu être intitulée « comment une montagne d’impuissance accouche d’une souris de solutions proposées » ! Le plan Marshall pour la protection de l’enfance, que d’aucuns appellent de leurs vœux, est peu prisé chez nos décideurs, plus préoccupés par la baisse des déficits. Non pas ceux correspondant aux 175 milliards d’euros consacrés chaque année, par les finances publiques, à la compétitivité de nos entreprises, mais bien sûr au « pognon de dingue » dépensé par l’action sociale. Le coût de la protection de l’enfance ne cesse de croitre, atteignant aujourd’hui près de 9 milliards d’euros. Mais s’est-on jamais posé la question de ce que coutent à notre société les carences de cette protection ? La célèbre revue anglaise « The Lancet » a tenté de le faire pour ce qui concerne les effets de la non-prise en charge des violences faites aux enfants. Elle est arrivée à un montant de 35 milliards d’euros. Continuons donc à négliger les plus exposés des nouvelles générations. Il sera assez temps de construire ensuite de nouvelles prisons, pour réprimer les manifestations de souffrance de certains d’entre eux, une fois devenus adultes !

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