La question mérite d’être posée quand on prend conscience des « disputes professionnelles » qui peuvent parfois opposer des travailleurs sociaux entre eux. J’avais abordé ce sujet en décembre 2013 dans le numéro 251 de la revue française de service social, Il s’agit d’accepter de regarder notre « façon d’être » au travail en fonction de nos références et positionnement personnels. J’ai pu vérifier l’existence de ces positionnements au cours de mes années de travail en tant qu’encadrant. Cette grille de lecture m’est apparue pertinente et utile pour comprendre ce qui parfois oppose certains travailleurs sociaux à d’autres.
Alors accrochez vous : quel travailleur social êtes vous ?
Observons différentes logiques de positionnement telles qu’elles avaient été définies par Brigitte Bouquet. Professeur émérite et ancienne titulaire de la Chaire de Travail social ( CNAM), elle avait déjà abordé cette question en 2003 à travers un article intitulé « éthique et travail social » là aussi dans la revue française de service social (n°210 p. 81-94)
Quatre grandes familles définies :
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Le « technicien expert » : Ce travailleur social s’en réfère principalement à sa maîtrise des outils et de son expertise. La méthodologie acquise au cours de ses 3 ans de formation prime souvent sur les règles institutionnelles et les dispositifs qu’il utilise de façon assez mesurée. Il maîtrise ce que l’on appelle « la bonne distance » et pose des diagnostics établis sur des faits. Il est généralement discret. Ses écrits sont argumentés. Il prend parfois ses distances avec les procédures instituées, surtout si celles-ci s’éloignent de ses références acquises au cours de ses formations.
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Le « médiateur accompagnateur » : Il sait qu’il ne sait pas tout. Il estime également que pour obtenir des réponses satisfaisantes, il faut éviter de rester le seul interlocuteur un face à une demande qui met en jeu des tiers. Il recherche des alliances tant auprès des usagers que des partenaires ou des décideurs. C’est un professionnel qui travaille en priorité en réseau. Il a une connaissance fine des ressources du territoire où il intervient. Il argumente, négocie, propose de mettre en relation. Il s’inscrit facilement dans des logiques de partenariats.
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Le « salarié militant » : Cette façon de s’engager se traduit par des postures professionnelles pouvant aller jusqu’à aider les personnes à s’organiser en assumant des formes de conflictualité avec les institutions. Ainsi par exemple, il lui est possible d’intervenir directement auprès d’associations de défense des droits qu’elles soient ou non radicales dans leurs pratiques. Ce professionnel s’inscrit dans une logique d’intervention où il reste garant du respect des règles et lois en vigueur. Il œuvre plutôt pour que celles-ci évoluent dans le sens qui lui paraît le bon. Il s’inscrit dans une démarche dite « d’action directe non violente »
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Le « salarié exécutant » : Ce professionnel se positionne en priorité dans le respect du cadre institutionnel. Il participe volontiers aux groupes de travail, apportant sa contribution à l’élaboration de protocoles, procédures et de références qui sont autant de sécurités et filets de protection à l’égard de ses interventions. Il est logiquement respectueux des règles internes et maîtrise parfois une grande dextérité les différents dispositifs. Certains « jonglent » même avec. Par ex. une assistante sociale engage une demande dont elle sait qu’elle sera refusée mais qui permettra au non de ce refus d’en obtenir une autre plus avantageuse…
Chacune de ces façons de se positionner peut avoir les défauts de ses excès. En effet, il est difficile par exemple d’imaginer un travailleur social qui ne serait qu’un militant ou encore un simple salarié exécutant des consignes institutionnelles. Il s’agit là de repérer des tendances dominantes dans les postures des travailleurs sociaux, ce qui ne veut pas dire qu’elles sont figées. Elles nous montrent toutefois que nous disposons, au-delà les outils méthodologiques, de multiples façons d’appréhender une situation et de mettre en œuvre, avec la personne, des stratégies de résolution.
Enfin, il me semble que de nombreuses « disputes » professionnelles prennent leur source sur l’absence de prise en compte de l’origine des positionnements professionnels de chacun. Ainsi, tel travailleur social soucieux des règles institutionnelles, ne comprendra pas que son collègue s’en affranchisse parce qu’il s’appuie d’abord sur sa technicité ou sa son engagement militant…
Être travailleur social consiste aussi à savoir articuler quatre domaines à la fois.
Ces logiques de positionnement ne s’opposent pas, elles se complètent. Mieux même, chaque travailleur social devrait pouvoir utiliser, selon les situations, l’une où l’autre des postures de façon consciente dans une stratégie de recherche de solution avec la personne aidée. En effet, il y a mieux à faire que de comprendre que chaque positionnement s’inscrit en cohérence selon les normes et références de chacun. De nombreux professionnels l’ont compris, souvent de façon intuitive. Ils savent désormais s’affranchir d’un modèle unique pour en articuler plusieurs au fil des nécessités de la situation.
L’important est d’être en capacité de savoir utiliser l’un ou l’autre des positionnements de façon cohérente et complémentaire, en toute conscience et de l’assumer. Enfin, n’en déplaise aux détracteurs des travailleurs sociaux à qui ils reprochent de ne pas agir selon leurs attentes, lorsqu’ils sont en alliance avec les usagers, les professionnels de l’aide disposent de multiples façons de se positionner. C’est une force avec laquelle il faut compter. Alors vous-même dans quelle catégorie vous percevez vous le plus à l’aise ? Le technicien expert ? Le médiateur accompagnateur ? Le salarié militant ou exécutant ? ou bien est-ce les 4 à la fois ?
Lire aussi : Positionnement professionnel et éthique dans le travail d’équipe par Emmanuelle Hamann, Minh Thu Thuy Nguyen, Isabelle Rohmann-Labat, Isabelle Satragno-Fabrizioétudiants, dasn les Cahiers de l’Actif N°402/403 p. 209-219
crédit photo : www.photo-libre.fr
note : j’avais initialement publié cet article de 29 juillet 2019
Une réponse
Bonjour Didier,
merci pour ce nouvel article très précieux qui fait écho au très intéressant livre de Jean-François Gaspar « Tenir ! – Les raisons d’être des travailleurs sociaux » paru aux éditions La Découverte en 2012, que je ne peux que conseiller de lire également.
David