Éducatrice spécialisée depuis 10 ans, dont six années passées en protection de l’enfance, Amandine constate les absurdités grandissantes qui frappent ce secteur. Face à un système à bout de souffle, où les décisions administratives et le manque de moyens prennent souvent le pas sur l’intérêt des enfants, elle a décidé de prendre la parole. Voici son témoignage :
Protéger les enfants, vraiment ?
La protection de l’enfance est un joli concept sur le papier : éloigner les enfants du danger, leur offrir un cadre stable, sécurisant, propice à leur développement. En théorie. En pratique, c’est fréquemment tout l’inverse. Par manque de moyens, par manque de formation, par décisions absurdes prises depuis des bureaux bien éloignés du terrain. Résultat ? Des enfants qu’on prétend protéger plongés dans des situations pires que celles qu’ils ont quittées.
On dit souvent que la protection de l’enfance est un système à bout de souffle. Mais peut-être que le problème est plus profond : il est surtout truffé d’absurdités qui, à force de s’accumuler, finissent par broyer ceux qu’on est censés protéger.
Un système en manque de moyens
La protection de l’enfance souffre d’un mal chronique : le manque de moyens. Et quand il n’y a pas de moyens, il faut faire avec. Ou plutôt, faire sans. Les foyers débordent : des groupes prévus pour 12 jeunes passent à 14, voire plus. Parce qu’on ne sait plus où les mettre.
Les jeunes restent en institution : plus de rotation en famille d’accueil le week-end, faute de financements. Alors, on les entasse, encore. Les absences ne sont pas compensées : un éducateur en arrêt ? Tant pis. Les jeunes feront avec. Et nous aussi. Les soins adaptés ? Trop cher. Pas de psychomotricien, pas de médiations, rien. À part le CMP. Parce que c’est gratuit.
Un système qui manque de moyens, c’est un système qui ne protège plus. Juste un système qui survit, au détriment des enfants qu’il est censé aider.
Décisions absurdes : bienvenue dans l’administration
Quand on est éducateur, on apprend à composer avec l’absurde. C’est presque une compétence à part entière. Une famille d’accueil qui a fait l’objet d’informations préoccupantes, dont plusieurs
enfants ont dénoncé des maltraitances. On continue de travailler avec elle. Pire, on lui envoie des petits. Parce que, bah oui, un bébé, ça parle moins qu’un ado.
Une jeune fille présentant de lourds troubles du comportement, incapable de vivre en groupe. Après plusieurs passages aux urgences, une solution adaptée est trouvée : un planning séquentiel entre famille d’accueil et hôpital pédopsychiatrique. Elle s’apaise enfin. La direction décide de l’envoyer dans une autre MECS, où elle se retrouvera à nouveau en groupe, là où elle ne peut pas être bien. La patate chaude est refilée.
Une jeune fille fugue régulièrement, se met en danger, adopte un comportement sexualisé et consomme des substances. Solution trouvée ? L’envoyer chez sa mère. Celle-là même dont elle avait été placée pour être protégée. Logique implacable.
Les parents sont scrutés à la loupe : pas trop d’écrans, un cadre strict, un logement impeccable avec un lit par enfant. En famille d’accueil ? Des écrans à foison, des chambres partagées. En foyer ? Des jeunes entassés à deux ou trois dans la même chambre, des douches communes, des éducateurs en sous-effectif qui laissent le groupe seul le temps d’une visite médiatisée. Mais c’est bon, c’est institutionnel, donc c’est censé être mieux.
Les enfants, premières victimes d’un système malade
Beaucoup d’enfants ne sont pas placés parce qu’ils ont été battus, violés ou torturés, mais parce que leurs parents n’arrivent pas à répondre correctement à tous leurs besoins. Manque de cadre, carences éducatives, difficultés à gérer les émotions… Ils sont retirés pour leur bien, pour être protégés. Mais protégés de quoi, au juste ?
Parce qu’en foyer, ils vont découvrir une toute autre violence. Une violence brute, crue, quotidienne. Ils vont partager leur quotidien avec des enfants brisés, dont certains ont subi des atrocités innommables en famille. Ces enfants-là, marqués par la souffrance, reproduisent parfois ce qu’ils ont vécu. Les attouchements, les agressions, la loi du plus fort… Voilà ce que découvrent certains gamins en entrant en foyer.
Ils étaient placés pour être protégés. Ils se retrouvent jetés dans la gueule du loup. Elle avait neuf ans quand elle a été placée en maison d’enfants, en plein confinement. Sa mère, en dépression chronique, avait sombré. Alors oui, parfois, les rôles étaient inversés : c’était elle qui préparait le repas, qui fermait la maison, qui bordait sa mère. Une enfance bancale, certes, mais jamais de maltraitance. Alors, pour son bien, pour la protéger, on l’a retirée de chez elle.
Au foyer, elle n’a plus eu à s’occuper des repas. Plus eu à veiller sur sa mère. Non. Elle a dû apprendre autre chose : survivre. Car durant sa première année de placement, un autre jeune de son groupe l’a violée. Placée pour être en sécurité. Brisée sous notre protection.
Qui protège-t-on, au juste ?
Le constat est violent, mais nécessaire : dans bien des cas, le placement ne protège pas, il détruit. Il expose les enfants à une violence qu’ils n’avaient jamais connue avant. Il les broie sous des décisions absurdes, sous des logiques institutionnelles qui oublient l’essentiel : ces enfants ne sont pas des dossiers à gérer, mais des vies à préserver.
Alors, on fait quoi ? On continue de détourner les yeux, de se cacher derrière des protocoles, d’appliquer des décisions absurdes sans les remettre en question ? Ce qui est révoltant, c’est que tout cela est connu. Vu. Constaté. Et pourtant, rien ne change.
On continue à colmater les brèches d’un système qui s’effondre. À envoyer des enfants en foyer alors qu’on sait qu’ils y vivront des violences. À se cacher derrière des procédures inopérantes, des moyens inexistants et une hiérarchie déconnectée.
On bosse comme on peut. Avec ce qu’on a. Mais parfois, on en vient à se demander : dans certains cas, ne seraient-ils pas mieux chez eux ?
Amandine L.
Éducatrice spécialisée en Protection de l’Enfance
(Si comme Amandine, vous souhaitez publier une tribune dans ma case du jeudi intitulé « point de vue », n’hésitez pas à me contacter. Merci)