Peut-on prendre soin de l’autre sans prendre en compte la dimension sociale ? Cette question posée par la Commission santé et le Conseil d’Administration de l’Association nationale des assistants de service social (ANAS) en novembre 2020, c’est-à-dire en plein cœur de la pandémie de Covid, est encore d’actualité avec la crise économique actuelle qui fragilise de nombreux français.
Il était dénoncé dans ce communiqué une tendance à la médicalisation et à la psychologisation des problématiques sociales. Mais avant d’aller plus loin, précisons que la distinction entre soigner et prendre soin est fondamentale dans le domaine de la santé et du bien-être, et elle repose sur des approches différentes, mais complémentaires.
Soigner : une approche technique et médicale
Le terme « soigner » renvoie principalement à l’acte médical technique. Il s’agit d’intervenir pour traiter une maladie, une blessure ou un dysfonctionnement organique. Les soins médicaux impliquent des gestes précis et des connaissances spécialisées, souvent réalisés par des professionnels de santé tels que les médecins, infirmiers, et autres praticiens.
L’objectif principal est de rétablir la santé physique du patient. Il faut pour cela utiliser des méthodes validées scientifiquement. Ainsi, soigner est généralement associé à la guérison et au traitement des symptômes physiques.
Prendre soin : une approche globale et humaniste
En revanche, « prendre soin » englobe une dimension plus large à dimension humaniste. Cela implique de porter une attention particulière à la personne dans sa globalité, en tenant compte de ses besoins émotionnels, psychologiques et sociaux. Prendre soin vise à promouvoir le bien-être général de l’individu, au-delà de la simple correction des problèmes de santé physique.
Cette approche nécessite de l’écoute et un engagement envers le confort et l’autonomie de la personne. Elle s’inscrit dans une démarche de soutien continu, souvent réalisée par des auxiliaires de vie ou des aidants, et ne se limite pas à des actes médicaux.
Les deux concepts sont interdépendants et se complètent dans le cadre d’une prise en charge globale de la santé. Soigner sans prendre soin pourrait mener à une approche déshumanisée de la médecine, où l’efficacité technique prime sur le bien-être du patient.
Inversement, prendre soin sans soigner pourrait négliger les besoins médicaux essentiels. Ainsi, une intégration des deux dimensions est nécessaire pour assurer un accompagnement complet et respectueux de la personne, en répondant à la fois à ses besoins de santé physique et à ses attentes en matière de bien-être et de dignité.
Prendre soin de l’autre : une approche sociale indispensable
Nous vivons dans un monde où les inégalités sociales semblent bien se creuser. La précarité est devenue une réalité pour de nombreuses personnes et familles. La question de savoir si l’on peut prendre soin de l’autre sans prendre en compte la dimension sociale de sa situation mérite une attention particulière. À première vue, il pourrait paraître que le soin, en tant qu’acte individuel et technique, puisse se dispenser de cette considération.
Mais rien n’est plus faux. Une analyse plus détaillée nous montre que la dimension sociale est non seulement pertinente, mais essentielle pour un soin véritablement efficace et humain. Pourtant, on peut être surpris qu’à l’hôpital, certains soignants résument le patient à sa pathologie. « Allez donc voir si la fracture de la chambre 15 a encore de la fièvre » avais-je entendu dans un couloir de l’établissement où je devais être hospitalisé. Ces propos ne m’avaient pas vraiment rassuré.
Le soin : au-delà de l’acte technique
Prendre soin de quelqu’un ne se limite pas à l’application de traitements médicaux ou à une simple prestation de services. C’est un acte qui implique une reconnaissance de l’autre dans sa globalité, incluant son contexte social, économique et culturel. Mais allez le dire à un soignant débordé qui enchaîne les actes passent d’un malade à un autre totes les 10 à 15 minutes….
Comme le souligne la philosophie du soin, il ne s’agit pas seulement de guérir une maladie, mais de veiller au bien-être global de la personne. Cette approche reconnaît que les conditions de vie, les relations sociales et les ressources économiques influencent directement la santé et le bien-être.
Il nous faut pouvoir prendre en compte les déterminants sociaux de la santé. Le revenu, l’éducation, l’emploi et le réseau social, jouent un rôle déterminant dans la santé des individus. Ignorer ces facteurs revient à négliger une partie significative de ce qui peut influencer l’état de santé d’une personne
Par exemple, une personne vivant dans la pauvreté peut cumuler des déterminants négatifs. Elle peut d’abord avoir un accès limité aux soins de santé. Mais il faut aussi prendre en compte une alimentation inadéquate ou encore un stress accru, une angoisse face à l’avenir. Ce sont autant de facteurs qui peuvent aggraver des conditions médicales existantes. Ce n’est pas rien. Tous ces facteurs entrent en ligne de compte dans un processus de guérison.
Le service social à l’hôpital : une nécessité
Les assistant(e)s de service social, notamment en milieu hospitalier, sont des professionnel(le)s incontournables pour intégrer cette dimension sociale dans le soin. Leur rôle est souvent méconnu et sous-évalué, alors qu’ils sont essentiels pour assurer une prise en charge globale des patients. Ces femmes et ces quelques hommes aident à naviguer dans les systèmes complexes de santé et de protection sociale. Mais ils font beaucoup plus. Ils ouvrent des droits, font des liens avec des familles, rassurent, expliquent, cherchent des établissements de suite, préparent des retours au domicile et j’en passe.
En effet, qui se sent concerné pour assurer que les patients aient accès aux ressources nécessaires pour améliorer leur situation ? Ce travail est d’autant plus important dans une société où les crises de différentes sortes se multiplient (crise sociale, économique, climatique, sanitaire et aujourd’hui politique). On le sait désormais, en période de crise, les inégalités se creusent et les besoins sociaux augmentent.
Vers une reconnaissance accrue de la dimension sociale
Pour que le soin soit véritablement efficace, il est impératif de reconnaître et d’intégrer la dimension sociale dans toutes les pratiques de soin. Cela ne peut être un simple vœu pieux. Cela nécessite une revalorisation des professions du service social hospitalier, une reconnaissance de la formation adéquate des professionnels soignants sur les déterminants sociaux de la santé, et une politique de santé qui prenne en compte ces facteurs de manière systématique.
En fin de compte, prendre soin de l’autre sans prendre en compte sa situation sociale, c’est risquer de passer à côté de ce qui fait réellement la santé et le bien-être d’une personne. Et cela personne n’en veut.
Sources à consulter pour aller plus loin :
- Peut-on prendre soin de l’autre sans prendre en compte la dimension sociale ? | ANAS
- Soins de confort et de bien-être : généralités IFSI | Cairn Sciences
- Peut-on soigner sans prendre soin ? | Syndicat Infirmier
- La philosophie du soin | GGP Philo
- La définition de soigner | CNRTL
- Soin et prendre soin : quelles différences ? | UNAIDE
- Soigner ou Prendre soin ? la place éthique et politique d’un nouveau champ de protection sociale – Revue Laennec 2009/2 | Cairn
- Le « prendre soin » de la santé (PSS) : une conception transdisciplinaire et inclusive de la pratique soignante et son intérêt pour améliorer les résultats de santé des jeunes aux prises avec le diabète | Érudit
Note : le prochain numéro de la Revue Française de Service Social à paraitre s’intitule « Prévention et promotion de la santé : un rôle d’acteur pour le service social ». Je vais développer dans la revue d’autres aspects de cet article à travers une contribution qui s’intitule « La dimension sociale de la santé : un enjeu majeur pour l’avenir des soins ».
Une réponse
Oui travailler en milieu hospitalier est passionnant. Je peux en témoigner.