Pourquoi faut-il lutter contre les inégalités ? La règle des 80/20 selon Vilfredo Pareto

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Nous nous posons parfois des questions sur les origines des inégalités. Après avoir lu ce qu’écrit un célèbre blogueur américain qui publie régulièrement des articles de vulgarisation sur le comportement humain, cela me parait désormais un peu plus clair. James Clear  nous explique sur son blog une règle bien connue des économistes. Son nom est le « principe de Pareto ».  Cela nous vaut l’histoire suivante :

Vers la fin du XIXe siècle – personne ne sait vraiment quand – un homme du nom de Vilfredo Pareto fit une découverte en observant les légumes de son jardin : il a remarqué qu’un très petit nombre de cosses de pois produisaient la majorité des pois alors que d’autres en produisaient très peu. Pareto était un mathématicien, mais aussi un sociologue. Il a travaillé comme économiste et l’une de ses contributions durables a été de faire reconnaitre l’économie comme  une science enracinée dans des chiffres et des faits précis. Contrairement à de nombreux économistes de l’époque, les papiers et les livres de Pareto étaient remplis d’équations. Et les petits pois de son jardin ont eu pour conséquence de mettre son cerveau mathématique en mouvement.

Le principe de Pareto

Et si cette distribution inégale des pois constatée dans son jardin était présente dans d’autres domaines de la vie ? C’est la question que s’est aussitôt posé Vilfredo Pareto alors qu’en tant qu’économiste il étudiait la richesse dans divers pays. Comme il était italien, il a commencé par analyser la répartition de la richesse en Italie. À sa grande surprise, il a découvert qu’environ 20% de la population possédait environ 80% des terres en Italie. Semblable aux cosses de pois dans son jardin, la plupart des ressources étaient contrôlées par une minorité de personnes.

Pareto a poursuivi son analyse dans d’autres pays et un modèle a commencé à émerger. Par exemple, après avoir examiné les registres britanniques de l’impôt sur le revenu, il a constaté qu’approximativement 30% de la population de Grande-Bretagne gagnait environ 70% du revenu total. En poursuivant ses recherches, Pareto découvrit que les chiffres n’étaient jamais tout à fait les mêmes, mais que la tendance était remarquablement constante. La majorité des profits semblait toujours rapporter à un petit pourcentage de personnes. Cette idée selon laquelle un petit nombre de choses représentent la majorité des résultats est connue sous le nom de principe de Pareto ou, plus communément, de règle des 80/20.

Dans les décennies qui suivirent, le travail de Pareto devint pratiquement un évangile pour les économistes. Une fois qu’il a ouvert les yeux du monde sur cette idée, les gens ont commencé à la voir partout. Et la règle des 80/20 est plus répandue que jamais auparavant. une règle bien pratique qui permettait aussi de justifier les inégalités comme étant « naturelles ».

L’inégalité, partout même dans les forêts d’Amazonie

James Clear nous donne un exemple dans le milieu naturel : La forêt amazonienne est l’un des écosystèmes les plus diversifiés de la planète. Les scientifiques ont répertorié environ 16 000 espèces d’arbres différentes en Amazonie. Malgré ce niveau de diversité remarquable, les chercheurs ont découvert qu’il existe environ 227 espèces d’arbres «hyper dominantes» qui constituent près de la moitié de la forêt tropicale. Seulement 1,4% des espèces d’arbres représentent 50% des arbres d’Amazonie.

Mais pourquoi?

Imaginez deux plantes poussant côte à côte. Chaque jour, Elles seront en compétition pour la lumière du soleil et le sol. Si une plante peut pousser un peu plus vite que l’autre, elle peut s’étirer plus haut, capter plus de soleil et absorber plus de pluie. Le lendemain, cette énergie supplémentaire permet à la plante de pousser encore plus. Cette tendance se poursuit jusqu’à ce que la plante la plus forte rassemble l’autre et prenne la part du lion de la lumière du soleil, du sol et des nutriments.  À partir de cette position avantageuse, la plante gagnante a une meilleure capacité de dissémination et de reproduction des graines, ce qui confère à l’espèce une empreinte encore plus grande pour la génération suivante. Ce processus se répète encore et encore jusqu’à ce que les plantes légèrement meilleures que la concurrence dominent toute la forêt.

Les scientifiques qualifient cet effet d ‘«avantage cumulatif». Ce qui commence par un petit avantage augmente avec le temps. Au début, une plante n’a besoin que d’un léger avantage pour se démarquer de la concurrence et envahir toute la forêt. Mais depuis, l’homme passant par là,  la forêt amazonienne est en sursis, car qu’y-a-t-il de plus dominant que l’homme ? Voilà où je veux en venir…

Quelque chose de semblable se passe dans nos vies : les gagnants prennent tous les bénéfices (Winners take all effects)

Comme les plantes dans la forêt tropicale humide, les humains sont souvent en compétition pour obtenir les mêmes ressources. Les hommes et femmes politiques se disputent les mêmes votes. Les auteurs se disputent la même place au sommet de la liste des best-sellers. Les athlètes se disputent la même médaille d’or. Les entreprises se font concurrence pour le même client potentiel. Les émissions de télévision sont en concurrence pour la même heure de votre attention.

les gagnants bénéficient toujours de récompenses extrêmement démesurées alors qu’à l’origine la différence entre les options proposées peuvent être extrêmement mince.  Et c’est là une source des inégalités. On le voit pour les grands groupes du numérique. Il existe des centaines de milliers d’applications et seuls les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) emportent la mise. Nous suivons sans réfléchir ceux qui « ont gagnés » (les Winners) et laissons de côté les « perdants » (looser) alors que ce qu’ils proposent peut être tout autant intéressant efficace et utile.

Ce principe du 80/20 semble se développer partout : si une route est légèrement plus pratique que l’autre, alors plus de gens vont l’emprunter et plus d’entreprises vont probablement s’installer à proximité. À mesure que de plus en plus d’entreprises sont au bord de cette route, les gens ont de plus en plus de raisons de l’utiliser, ce qui génère encore plus de trafic. Bientôt, vous vous retrouvez avec un dicton du type « 20% des routes reçoivent 80% du trafic ».  Autre exemple : imaginez deux femmes nageant aux Jeux olympiques. L’une d’elles pourrait être 1/100e de seconde plus rapide que l’autre, mais elle remporte seule la médaille d’or. Dix entreprises pourraient présenter un client potentiel, mais une seule d’entre elles gagnera le projet. Il suffit d’être un tout petit peu meilleur que la concurrence pour obtenir toute la récompense. C’est la même chose si vous postulez pour un nouvel emploi. Deux cents candidats peuvent concourir pour le même poste, mais le fait d’être très légèrement supérieur à celui des autres candidats vous permet de gagner l’intégralité du poste. Il y a un gagnant pour 199 perdants.

Au fil du temps, ceux qui sont légèrement meilleurs obtiennent la majorité des bénéfices. Ceux qui sont à peine un peu moins bien se retrouvent avec presque rien. Cette idée est parfois appelée l’effet Matthew, qui, selon James Clear, fait référence à un passage de la Bible qui dit: «Tous ceux qui possèdent possèderont plus, et ils seront dans l’abondance, mais  on enlèvera à ceux qui n’ont rien, »

Revenons maintenant à la question posée au début de cet article. Pourquoi quelques personnes, équipes et organisations bénéficient-elles de l’essentiel des avantages de la vie ?

La règle du 1%

A force de profiter sans cesse, les 20 % deviennent les 1% et cela s’explique aisément. La règle des 1% stipule qu’au fil du temps, la majorité des récompenses dans un domaine donné s’accumulent pour les personnes, les équipes et les organisations qui conservent un avantage de 1% sur les alternatives. Vous n’avez pas besoin d’être deux fois meilleur pour obtenir deux fois les résultats. Vous avez juste besoin de faire très légèrement mieux. James Clear conclue là son exposé. Mais je pense qu’il faut aller plus loin et je me permet de conclure différemment son propos.

Une grande cause : agir contre les inégalités

Si les inégalités de croissance sont considérées comme « naturelles » ou du moins répondant au principe Pareto, il nous faut donc agir pour remédier à cela car l’homme et la femme sont des êtres de passions mais aussi de raison. Lutter contre ces inégalités est un combat de toutes les époques. Il ne faut pas baisser les bras, il faut choisir son camp. Les 99% acceptent aujourd’hui la domination et les bénéfices des 1% car ils s’imaginent que ceux qui ont réussi selon le principe de Pareto ont une plus grande valeur qu’eux. Or ces personnes ont eu peut être tout simplement plus d’intuition et ont sans doute profité des acquis de leurs aïeuls. Une certitude : ils ne partagent pas.

C’est pourquoi la lutte contre les inégalités même si elle est difficile et sans cesse renouvelée reste une grande cause qui est une caractéristique de notre humanité

 

2 mots sur Vilfredo Pareto (wikipedia) : Pareto (15 juillet 1848 – 19 août 1923) a apporté de nombreuses contributions importantes dans l’étude de la distribution du revenu et dans l’analyse des choix individuels. Il introduisit le concept de l’efficacité et aida le développement du champ de la microéconomie avec des idées telles que la courbe d’indifférence. Il est l’auteur d’une étude du socialisme dans son ouvrage « Les Systèmes socialistes ». Il critique tout au long de son œuvre la faiblesse des élites en fin de règne qui cause leur perte. Mais  les fascistes italiens (Mussolini) se sont réclamés de Pareto, mort en 1923 et on dit souvent de lui qu’il justifie les régimes autoritaires. Or Pareto semble préférer un régime fort et libéral c’est-à-dire capable de faire respecter les libertés.

cet article est inspiré et traduit de celui de James Clear « The 1 Percent Rule: Why a Few People Get Most of the Rewards »

 

Photo : wikipedia

note : j’avais publié initialement cet article le 20 décembre 2018

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