Vous connaissez sans doute Jean François Gomez auteur de l’éducation spécialisée notamment si vous lisez ce blog. En 2022, il nous avait parlé du « gai savoir des éducateurs ». En 2024 il avait lancé cet appel à travers un autre livre « Délivrez-nous du management ». Aujourd’hui vient de publier un nouvel ouvrage dont nous parlerons prochainement. Il s’intitule « Rédimer le monde ». Mais avant de parler de ce livre, je propose à votre réflexion son « point de vue » sur notre rapport à l’écriture et le langage professionnel du travail social…
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« Réapprenons à raconter »
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« J’ai passé ma vie professionnelle à explorer les dimensions techniques de nos métiers : le handicap, le deuil, la question de l’argent, le travail d’équipe, les institutions. J’ai formé des générations d’éducateurs à des théories et à des pratiques indispensables. Pourtant, au‑delà de cette technicité, c’est toujours l’écriture, la littérature et les histoires de vie qui m’ont profondément intéressé.
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Ces histoires sont, à mes yeux, essentielles pour comprendre ceux qui souffrent, mais aussi pour que les métiers de l’humain retrouvent leur sens. Elles devraient d’ailleurs être au cœur du travail des sociologues, s’ils veulent vraiment saisir la complexité de nos pratiques. Elles sont trop souvent mal comprises du grand public.
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Je suis frappé de voir combien le langage professionnel s’est refermé sur lui-même. Beaucoup de travailleurs sociaux, absorbés par les concepts ou les discours institutionnels, ont perdu la capacité de raconter. Comme Fernand Deligny le disait si bien, ils ne savent plus raconter d’histoires. J’ajouterai même pas la leur.
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Je suis aussi toujours méfiant face à la fascination qu’exerce encore le discours de la psychanalyse, « et non sa pratique » lorsqu’elle devient un langage clos, autosatisfait. Kafka écrivait que « la littérature est le seul moyen de sortir du cercle des assassins » comme je l’évoque dans mon dernier livre
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J’aime évoquer à ce sujet Saint‑Exupéry : jamais il n’aurait réduit son métier de pilote à la mécanique de son moteur. Pourtant Antoine de Saint-Exupéry, plus qu’un autre était un technicien même un ingénieur prolifique dans le domaine de l’aéronautique, qui a présenté plus de 11 brevets d’invention dont il ne parle jamais dans son œuvre. Il a su parler de l’homme, du lien, de la fraternité du travail. Voilà ce que j’aimerais retrouver dans nos métiers : une parole vivante, universelle, qui relie au lieu d’enfermer.
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Enfin, c’est dans l’écriture qu’il nous faut savoir tenir cette exigence : dire la dimension tragique de notre travail, mais aussi son « gai savoir », sa part de joie et de poésie. On m’a demandé un jour ce que Nietzsche pouvait bien apporter aux éducateurs ; j’ai répondu que ce « gai savoir » venait d’abord des troubadours occitans, porteurs d’une sagesse vive et chantée. C’est de cela dont il s’agit : apprendre à bien dire pour mieux vivre. redonnons à nos mots la force d’une parole humaine qui encore aujourd’hui, se délite trop souvent. »
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Lire aussi
- Jean-François Gomez, Le gai savoir des éducateurs : éloge des « transparents » – Chroniques et récits Collection : Histoire de vie et formation L’Harmmattan, 253 pages, 26 euros
- « Délivrez nous du management ! Monde d’avant et monde d’après dans les métiers de l’humain » éd. Libre & Solidaire 216 pages 17,50€
Photo de la une : l’auteur, Jean-François Gomez devant la maison où Fernand Deligny a vécu, rue du Marais de Lhomme à Lille.
Note : Si, comme Jean-François, vous souhaitez publier une tribune sur un sujet de votre choix dans ma case intitulée « point de vue », n’hésitez pas à me contacter à l’adresse mail suivante : didier[@]dubasque.org (retirez les crochets « [ » et « ] » mis là pour éviter que des robots s’en emparent). J’étudierai avec plaisir votre proposition de texte. Merci à vous.


