C’est une annonce qui réjouira tous les travailleurs sociaux : Paris accueillera en 2028 la Conférence mondiale conjointe sur le travail social, la formation et le développement social. Cet événement marquera le centenaire de nos professions. Il célébrera cent années d’engagement pour la justice sociale, les droits humains et le développement durable. Un retour symbolique aux sources, puisque c’est à Paris que le travail social international est né.
Un événement historique porté par trois organisations internationales
Cette conférence du centenaire sera organisée par l’UNAFORIS (l’Union nationale des acteurs de formation et de recherche en intervention sociale), en partenariat avec trois organisations internationales majeures : L’Association internationale des écoles de travail social (IASSW), le Conseil international du bien-être social (ICSW) et la Fédération internationale des travailleurs sociaux (IFSW). Tous vont unir leurs compétences pour célébrer cette étape « historique ». Ensemble, ces organisations défendent les pratiques de travail social, l’innovation en matière de politiques sociales et une pratique ancrée dans la dignité humaine et la solidarité.
Au cœur de ce projet, vous trouverez aussi un engagement commun envers un « agenda mondial pour le travail social et le développement social ». (je n’ai pas pour autant trouvé de textes récents à ce sujet). C’est en quelque sorte un cadre partagé pour promouvoir la justice sociale, les droits humains et le bien-être durable. Cet agenda s’appuie également sur les principes de la Charte populaire pour un monde éco-social, qui met l’accent sur l’égalité, la durabilité et la responsabilité partagée envers les personnes, mais aussi la planète.
Bon, ceci peut apparaitre un peu langue de bois dit ainsi, mais c’est bien un évènement à saluer. Cela vaut un petit rappel historique
Paris 1928 : un retour aux sources du travail social international
Cette conférence de 2028 à Paris revêt une dimension symbolique particulièrement forte puisqu’elle marque le retour dans la ville où tout a commencé. Du 8 au 13 juillet 1928, Paris accueillait la première Conférence internationale de service social, réunissant 2.481 participants venus de 42 pays. Comme je l’avais déjà évoqué dans un article publié sur ce blog, cette rencontre historique allait poser les fondements du travail social international tel que nous le connaissons aujourd’hui.
La conférence parisienne était organisée en plusieurs sections thématiques, dont l’une consacrée à l’enseignement du service social. Cette deuxième section était présidée par Alice Salomon, figure fondatrice du travail social en Allemagne, entourée de vice-présidents venus du monde entier : la comtesse Balzani de Rome, Mademoiselle de Gourlet de Paris, Porter R. Lee de New York, Elisabeth Macadam de Londres, le Dr J.A. Moltzer d’Amsterdam, Madame Mulle de Bruxelles et Madame Wagner-Beck de Genève. Cette diversité internationale témoignait déjà de l’universalité des enjeux du travail social.
Les débats de cette rencontre furent particulièrement riches et parfois animés. L’une des questions les plus discutées portait sur « l’institution d’une école internationale de service social ». Certains, comme le professeur Paul Fuster de Paris, plaidaient pour la création d’une école basée à Genève, en lien avec le Bureau International du Travail. D’autres, comme Isidore Maus de Bruxelles, exprimaient des réserves, arguant que « le service social doit être conforme aux mœurs du pays » et qu’une école unique risquait d’imposer une vision uniformisée. Ces échanges révèlent combien, dès l’origine, le travail social international a su conjuguer universalité des valeurs et respect des particularités culturelles.

C’est de ces débats passionnés qu’est née l’idée de créer une Association internationale des écoles de service social. Sur proposition du Dr Moltzer d’Amsterdam, reprise par Alice Salomon, il fut décidé de constituer un comité provisoire chargé d’écrire à toutes les écoles de service social pour leur proposer d’adhérer à cette nouvelle organisation. Cent onze écoles furent contactées, quarante-six acceptèrent d’être membres fondateurs. La première réunion de cette association eut lieu à Berlin en 1929, présidée par Alice Salomon. C’était la naissance de l’Association Internationale des Écoles de Service Social (IASSW), toujours active aujourd’hui.
Les statuts provisoires du Secrétariat permanent international des travailleurs sociaux ont été votés le 13 juillet 1932 lors de la deuxième conférence internationale du travail social qui s’est tenue à Francfort-sur-le-Main. Des représentants de Belgique, Tchécoslovaquie, France, Allemagne, Grande-Bretagne, Suède, Suisse et États-Unis fondaient ainsi l’International Permanent Secretary of Social Workers (IPSSW), ancêtre de l’actuelle Fédération internationale des travailleurs sociaux (IFSW).
L’histoire de ces organisations naissantes a été marquée par les tourments du XXe siècle. Le premier siège de l’IPSSW était à Berlin, mais a dû être transféré à Genève lors de l’arrivée d’Hitler au pouvoir, puis à Prague en 1934. Entre 1938 et 1946, le secrétariat ne put fonctionner en raison de l’occupation allemande. Alice Salomon elle-même, pourtant figure incontournable du travail social international, fut contrainte à l’exil en 1937 en raison de ses origines juives. Ce n’est qu’en 1956 que la Fédération internationale des travailleurs sociaux (IFSW) fut créée à Munich, succédant définitivement à l’IPSSW.
Un siècle plus tard, ce retour à Paris prend tout son sens. Comme le soulignait Alice Salomon lors de la clôture de la conférence de 1928 : « Le travail social ne peut porter de fruits si nous n’avons pas la paix entre les nations ». Entre 1928 et 2028, la profession aura traversé deux guerres mondiales, connu une expansion mondiale remarquable et fait face à des défis sans précédent. Ce centenaire sera l’occasion de mesurer le chemin parcouru tout en regardant vers l’avenir, fidèle à l’esprit de ces pionniers qui, il y a cent ans, posaient les fondations du travail social international.
Mais revenons maintenant à la conférence internationale de 2028 à Paris… Ce sera à coup sûr un évènement.
« Une invitation à réaffirmer l’éthique et l’engagement critique »
Cette perspective historique est essentielle. Elle nous rappelle que le travail social n’est pas né d’hier, qu’il s’inscrit dans une longue tradition d’engagement pour les personnes les plus vulnérables. Cent ans d’histoire, c’est à la fois peu et beaucoup. Peu au regard de ce qui nous attend avec la multiplication des crises et la croissance de la pauvreté, beaucoup quand on mesure le chemin parcouru depuis la création des premières écoles de service social.

Marcel Jaeger, président d’UNAFORIS, l’association hôte, explique avec fierté que c’est un honneur pour la France d’avoir été invitée à accueillir cette célébration. « Cet événement offre l’occasion de réfléchir aux transformations profondes qui remodèlent actuellement le travail social dans un monde globalisé et incertain, marqué par de nombreuses tensions et conflits ». « C’est aussi un appel à ouvrir l’espace et le temps de l’utopie — une forte invitation à réaffirmer l’éthique, l’engagement et la pensée critique dans le travail social et à défendre une vision du travail social qui comprend les changements du monde sans renoncer à ses valeurs fondamentales : justice, solidarité, altérité et dignité humaine ».
Ces mots résonnent particulièrement dans le contexte actuel où le travail social fait face à de multiples difficultés. Entre crise d’attractivité des métiers, réformes des diplômes contestées et questionnements sur les finalités de nos métiers, cette conférence internationale arrive à point nommé pour rappeler les fondamentaux de nos professions. Ils font écho aux préoccupations actuelles des travailleurs sociaux de terrain. Comment construire des politiques sociales qui répondent vraiment aux besoins des populations ? Comment lutter contre le non-recours aux droits qui touche tant de personnes ? Comment garantir que personne ne soit laissé au bord du chemin dans nos sociétés de plus en plus inégalitaires ?
Ubuntu : notre existence est liée à celle des autres et de la Terre
Joachim Mumba, président de la Fédération Internationale du Travail Social, parle quant à lui de l’unité mondiale de la profession avec une référence philosophique forte : « Ce centenaire nous rappelle que notre existence est liée les uns aux autres et à la Terre qui nous soutient. Guidés par l’esprit d’Ubuntu, nous célébrons 100 ans d’une profession enracinée dans les relations humaines, la solidarité et le soin de notre planète partagée. Alors que nous nous réunissons à Paris, nous honorons notre riche héritage et renouvelons notre engagement collectif à co-créer un avenir juste, compatissant et durable pour tous. »
La référence à Ubuntu — cette philosophie africaine qui affirme « je suis parce que nous sommes » — n’est pas anodine. Elle rappelle que le travail social ne peut se concevoir qu’à travers le lien, la relation, l’interdépendance. Dans un monde de plus en plus individualiste, cette vision collective prend tout son sens. L’évocation de notre lien avec la Terre fait également écho aux enjeux écologiques. Les travaillleurs sociaux doivent pouvoir prendre cette dimension en compte.
Préparer dès maintenant ce rendez-vous historique
Il reste encore quelques années avant 2028, mais il n’est jamais trop tôt pour se préparer à un tel événement. Les organisations professionnelles françaises, les centres de formation, les chercheurs et les praticiens ont tout intérêt à s’emparer dès maintenant de cette opportunité. Comment valoriser l’expérience française du travail social ? Quelles innovations partager avec nos collègues internationaux ? Quelles questions poser à nos homologues étrangers sur leurs pratiques et leurs réflexions ?
Ce centenaire sera l’occasion de rappeler que le travail social est une profession mondiale. Elle est confrontée partout à des enjeux similaires. La précarité, l’exclusion, les inégalités, les discriminations ne connaissent pas de frontières. Les réponses apportées par les travailleurs sociaux dans différents pays peuvent être source d’inspiration et d’apprentissage mutuel.
Rendez-vous donc à Paris en 2028 pour célébrer ensemble cent ans d’une profession indispensable, et surtout pour envisager collectivement son avenir. Parce que si le travail social a cent ans d’histoire, il a surtout un avenir à consolider, au service de la justice sociale, de la dignité humaine pour un monde plus solidaire et durable.
Sources
- Paris accueillera la Conférence mondiale conjointe sur le travail social, l’éducation et le développement social en 2028 : commémorant les 100 ans de la profession de travailleur social | IFSW
- Les temps du social Publication du Groupe de Recherche en Histoire du Service Social Nouvelle série N° 7 | GREHSS
- 1928 ! l’acte de naissance de la première association internationale de travail social
