Un travailleur social peut-il agir et penser comme un chat ?

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J’ai apprécié le petit livre de Stéphane Garnier intitulé « Agir et penser comme un chat » et me suis amusé à comparer les qualités et attitudes de ce félin à celles attendues ou développées par les travailleurs sociaux. Je m’appuie pour cela sur ma connaissance des collègues assistantes sociales (j’en suis aussi), éducateurs et conseillères ESF. Alors comment les attitudes du chat nous en apprend un peu plus sur nous ? Sommes-nous en quelque sorte des chats au travail ? Et si ce n’est pas le cas, devrions-nous en adopter le comportement ?

Cet ouvrage « Agir et penser comme un chat » est composé de têtes de chapitres qui caractérisent le chat. À vous de vérifier si ces affirmations vous concernent :

  • Le chat est libre : libre d’aller et venir et de faire ce qui lui fait plaisir ! Le travailleur social n’est pas vraiment libre mais il cultive une liberté intérieure et se doit de garder sa liberté dans ses évaluations et ne pas se laisser influencer par les autres. Cette liberté-là est un peu différente certes, mais elle est précieuse
  • Le chat est Charismatique : sa discrétion et sa personnalité nous obligent à tourner la tête à chaque fois qu’il se promène. Ce n’est pas vraiment le cas pour le travailleur social qui sait se faire oublier au point de manquer de reconnaissance. Je ne crois pas que nous pouvons dire que le charisme est une de nos caractéristiques même si parfois nous sommes parfois pris en exemple.
  • Le chat est Calme (la plupart du temps) : Observons le chat. Est-il stressé ? Pas vraiment. Il dégage une forme de nonchalance, mais réagit vivement s’il se sent menacé. « Si le chat est stressé, c’est vers le maitre qu’il faut se tourner ». Le travailleur social se doit de rester calme face aux personnes stressées qu’il rencontre. Pas besoin d’en rajouter une couche, il fait souvent « éponge » et se veut apaisant et rassurant car cela fait partie de son job. Difficile de le rester : le stress circule et il lui est demandé de savoir l’évacuer
  • Le chat sait s’imposer : Comme me disait une collègue « parfois j’ai l’impression d’habiter chez lui. Quand je rentre, il me regarde surpris de me voir arriver et parfois je le dérange, même s’il vient vers moi ensuite ». Les travailleurs sociaux ne savent parfois pas suffisamment s’imposer et tout le monde a un avis sur ce qu’ils font ou devraient faire. Savoir s’imposer calmement grâce à sa compétence et son expertise est un véritable enjeu. Les travailleurs sociaux ne sont pas que des figurants, loin de là.
  • Le chat est un vieux sage : celui-ci par son attitude ressemble parfois à un bonze. Il contemple le monde qui l’entoure et ne se dépense pas inutilement. Il ne se laisse pas envahir par des choses qu’il n’a pas choisies de traiter. En travail social, la sagesse vient souvent de l’expérience. Vous en avez vu tellement que parfois plus rien ne vous étonne. Quand on n’est pas expérimenté, on a tendance à s’agiter dans tous les sens ! On se calme assez vite d’ailleurs après en avoir pris plein la figure si on en fait trop.  Cela ne veut pas dire que les situations ne vous intéressent pas, mais généralement le travailleur social ne s’embarrasse pas avec le dernier truc à la mode. Il attend de voir ce que cela donne. Il ne parle pas plus qu’il ne faut et tente d’aller à l’essentiel. De toute manière, il n’en n’a pas vraiment le choix au regard de ses conditions de travail.
  • Le chat pense à lui avant tout : ce n’est pas du tout le cas du travailleur social. Tout au contraire son attention est en permanence centrée sur les autres. Il s’efface littéralement pour permettre à son interlocuteur de s’exprimer. Parfois il se protège trop peu et trouve même des excuses à celui qui le critique ou pire l’insulte ou le menace. Bref cette façon de penser à soi avant tout n’est pas du tout dans le registre des pratiques que j’ai pu percevoir dans nos professions.
  • La chat s’accepte tel qu’il est : il  ne se pose pas de questions métaphysiques sur ce qu’il est, ce qu’il devrait être ou pas. Il est tout simplement dans sa vie de chat. Les humains sont beaucoup plus complexes et contradictoires. Ils ont une tendance à chercher à justifier leurs actes, juger ceux qui ne pensent pas comme eux, ou s’interroger sur ce qu’ils auraient dû faire ou dire. La culture du doute est une des caractéristiques du travailleur social. Il n’a pas de certitudes et s’interroge fréquemment sur son positionnement professionnel. Mais j’ai aussi rencontré des travailleurs sociaux qui ne doutent pas un instant de leur mission : aider les personnes, les aider à évoluer et à trouver leurs propres solutions. Ces professionnel(le)s là savent argumenter quand leur employeur cherche à leur faire faire autre chose que ce pour qui ils sont missionnés. Et là, c’est quand même une bonne chose.
  • Le chat est fier et a confiance en lui. Il sait se pavaner : à quelques exceptions près j’ai peu fréquenté de travailleurs sociaux qui se déclarent fier(e)s de leur travail ou de leur profession. Nous restons souvent discrets sur notre métier quand il s’agit d’en parler ailleurs. Nos homologues anglo-saxons, eux n’hésitent pas : ils se déclarent  » proud to be a social worker  » (fier d’être travailleur social). Ils en ont même fait une campagne en vendant des tee-shirts et des oreillers avec ce slogan !
  • Le chat est au centre le l’attention : Dans la maison il ne dit rien, mais il se promène d’une telle façon que vous ne pouvez pas ne pas le voir ! Il sait imposer sa présence et se rend visible. Je ne vois pas trop les travailleurs sociaux au centre de l’attention. Ils ont plus appris à s’effacer et à travailler dans une (relative) discrétion pour que l’on s’intéresse particulièrement à eux. C’est quand on a besoin d’eux que l’on s’y intéresse. N’est-ce pas chers amis élus ?
  • Le chat est hermétique au jugement. Quoi que vous pensiez de lui, il n’en n’a strictement rien à faire et continue son bonhomme de chemin. Nous devrions parfois suivre cet exemple. Nous sommes en effet souvent déstabilisé(e)s par le jugement d’autrui, les remises en cause et le doute instillé. Certes nous doutons souvent, mais que la vie serait plus simple si étions sur ce sujet comme des chats !
  • Le chat est curieux par nature. Eh bien nous, nous le sommes par culture. Le désir de comprendre, de donner sens et d’agir avec logique et cohérence nous conduit à chercher à en savoir un peu plus. Ce n’est pas systématiquement un défaut si cette curiosité s »accompagne du désir de comprendre et d’agir pour le bien de nos concitoyens
  • Le chat est in-dé-pen-dant : ceux qui en doutent recevront vite un coup de griffe. Il ne va pas chercher la ba-balle que vous lancez devant lui afin qu’il vous la rapporte. Il vous regarde d’un air dédaigneux et vous fait vite comprendre qu’il n’est pas réceptif aux ordres. Il y aurait beaucoup à écrire sur l’indépendance du travailleur social. Celle-ci est toute relative. Une forme d’indépendance reste essentielle : celle qui consiste à rédiger ses écrits sans être dicté par qui que ce soit. Le travailleur social engage fréquemment sa responsabilité. Pour cela il est nécessaire qu’il puisse se positionner en toute indépendance même si parfois cela n’est pas facile.
  • Le chat sait déléguer, en fait il sait se faire servir ! Il me semble que les travailleurs sociaux font un peu le contraire. Ils servent même à beaucoup de  choses. Par exemple, ils peuvent être d’excellent bouc émissaires dès qu’un problème survient. « Je suis allé voir l’assistante sociale, mais elle n’a rien fait » ou encore « je n’ai pas de réponse à ça, allez donc voir une assistante sociale ». Beaucoup nous délèguent du travail et nous envoient les personnes quand elles ne savent plus comment faire  avec.
  • Mais le chat ne sait pas travailler en équipe ! Il ne s’inscrit pas dans ce que l’on peut nommer « l’intelligence collective » et la co-construction. Heureusement pour nous, sinon il serait terriblement efficace ! C’est au moins un avantage que nous les humains avons sur ce félin : coopérer et partager…

Je m’arrête avec ces caractéristiques décrites dans ce livre ( jusqu’à la page 56 ) il y en a beaucoup d’autre et je vous propose de conclure avec celle qui se trouve page 143 la toute dernière et pour cause :

  • Le chat a toujours le dernier mot : je ne peux que vous souhaiter de l’avoir au travail même si je suis aussi bien convaincu que cela n’est pas du tout facile !

Nous pourrions ajouter comme le précise Françoise Rouast :  Il est possible de faire alliance avec son chat dès lors que la confiance existe. Cette recherche d’alliance est indispensable dans notre activité professionnelle. Elle nous oblige à la patience, au calme, à l’observation d’autrui. Certes, il existe un lien de dépendance pour le chat vis-à-vis de l’humain, car c’est l’humain qui lui apporte sa nourriture (entre autre). Ce type de lien, par contre, n’a pas à exister dans notre champ professionnel. Il faut rester vigilant à ce qu’il ne s’installe pas. L’humain a également une part d’autorité décisionnelle : c’est lui qui décide quand aller chez le vétérinaire et le chat aura beau dire « non », il ira quand même ! Cet aspect va peut-être à l’encontre de nos valeurs professionnelles. Fort heureusement nous ne nous trompons pas de postures et c’est bien là toute notre intelligence humaine et professionnelle !

En conclusion,  il me semble bien que nous gagnerions parfois à nous comporter  comme ces petits félins, qui ne se laissent pas marcher sur les pieds : essayez et vous verrez !

Note : pendant les vacances, je vous propose une rediffusion de certains articles « réactualisés » : celui-ci avait été initialement publié en  septembre 2017

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