Alors que les Jeux Olympiques de Paris 2024 sont terminés et que les Jeux Paralympiques débutent, la question du déplacement des sans-abri de la capitale vers d’autres régions de France continue de susciter une vive polémique. Le collectif « Le Revers de la médaille », composé de plus de 90 associations, dont Médecins du monde et Emmaüs, rappelle qu’environ 12.545 personnes en situation de précarité ont été expulsées de leurs lieux de vie en Île-de-France entre avril 2023 et mai 2024. Cette opération est décrite par le collectif comme un « nettoyage social ». Elle vise à rendre la ville plus attrayante pour les touristes et les caméras du monde entier. Et puis n’oublions pas non plus que 3000 étudiants ont, quant à eux, été contraints de libérer leurs logements.
Si l’on va à la recherche d’une définition, le terme « nettoyage social » désigne des pratiques visant à éliminer de l’espace public des membres de la société considérés comme « indésirables ». Ces pratiques peuvent cibler les sans-abri, les délinquants et criminels, les enfants des rues, les personnes âgées, et d’autres groupes marginalisés. L’objectif est souvent de rendre un lieu plus attrayant en éloignant ceux qui pourraient être perçus comme nuisibles à son image. Cette pratique a surtout été dénoncée dans des pays d’Amérique latine tels la Colombie et le Guatémala.
Les autorités en France, quant à elles, réfutent ce terme et toute corrélation entre les évacuations des sans-domicile et la tenue des Jeux Olympiques. Elles affirment que ces opérations s’inscrivent dans une politique d’hébergement d’urgence visant à répartir l’effort sur l’ensemble du territoire national. Cependant, les chiffres montrent une nette accélération des expulsions qui a eu lieu à l’approche de l’événement sportif, ce qui laisse planer le doute réel et sérieux sur les véritables motivations derrière ces actions.
Des solutions d’hébergement temporaires et insuffisantes
Pour pallier le manque de logements d’urgence en Île-de-France, les autorités ont mis en place des « sas d’accueil temporaires » dans plusieurs régions françaises. Ces structures, d’une capacité limitée, ont accueilli les personnes évacuées pour une durée maximale de trois semaines. Toutefois, le dispositif est loin d’être une solution pérenne. En effet, sur les 6.000 personnes qui avaient été prises en charge en 2023, un peu moins de 4.000 (3958) avaient été orientées vers ces sas. En outre, la majorité d’entre elles s’étaient retrouvées à nouveau sans abri à leur sortie.
Cette approche est vivement critiquée par les associations, qui dénoncent un simple déplacement du problème plutôt qu’une véritable résolution. Le maire d’Orléans, par exemple, s’est insurgé contre l’arrivée massive de sans-abri dans sa ville, soulignant l’inefficacité de cette politique. De plus, les solutions d’hébergement proposées sont souvent temporaires et ne répondent pas aux besoins spécifiques des personnes déplacées, renforçant ainsi leur précarité.
Un problème structurel et croissant
Le sans-abrisme à Paris ne date pas d’hier, mais il a été exacerbé à l’occasion des préparatifs des Jeux Olympiques. Selon la Fondation Abbé Pierre, la France compte environ 330.000 personnes sans domicile fixe, un chiffre en constante augmentation. La saturation des centres d’hébergement d’urgence, combinée à la réticence des hôteliers parisiens à accueillir des sans-abri en raison de l’afflux de touristes attendu, a considérablement compliqué la situation.
Les critiques ont fusé de toutes parts du côté des humanitaires et du secteur associatif. Il a été pointé du doigt l’absence de solutions structurelles pour répondre à cette crise. Les associations ont appelé en vain à une action concertée et urgente pour créer des solutions d’hébergement pérennes et adaptées aux besoins des personnes les plus vulnérables. Elles continuent de réclamer notamment la création de 20.000 places d’hébergement sur l’ensemble du territoire national, dont au moins 7.000 en Île-de-France.
Des médias ont été jusqu’à vérifier la véracité des déclarations de la députée LFI de Paris Danièle Obono. Elle a affirmé que plus de 12.000 personnes ont été « expulsées de leurs abris » sans être relogées de manière adéquate. Cette déclaration a été largement relayée dans les médias et a suscité des discussions sur la véracité des chiffres avancés et sur les actions des autorités locales. Il a été établi que les chiffres donnés par la députée étaient exacts. Son indignation face à ce qu’elle considère comme une gestion inhumaine de la situation des sans-abri était donc légitime, n’en déplaise à celles et ceux qui en doutaient.
Un manque de concertation et des répercussions désolantes
Derrière les chiffres se cachent des histoires humaines souvent tragiques. Omar, un réfugié soudanais, a été évacué de son squat à Vitry-sur-Seine et envoyé dans un sas d’accueil à Orléans. Malgré sa situation régulière en France, il a perdu son emploi et se retrouve à nouveau sans abri après trois semaines passées dans des conditions précaires. Son témoignage nous montre la souffrance et l’incertitude et les difficultés auxquelles sont confrontées les personnes déplacées par ces opérations. Qui s’en est soucié réellement, hormis les associations et les militants ?
Les associations dénoncent également le manque de concertation avec les équipes de maraude et les travailleurs sociaux. Ils sont souvent les mieux placés pour évaluer les besoins des personnes à la rue. Elles plaident pour une approche plus humaine et respectueuse, qui prenne en compte le choix des individus de rester dans leur ville d’origine. On en a été loin jusqu’à présent.
Une pratique d’éloignement sous le feu des critiques internationales
La gestion des sans-abri à Paris attire aussi l’attention de la communauté internationale. Le Rapporteur spécial de l’ONU sur le logement convenable a interpellé la France sur le sort des groupes marginalisés. Il a comparé les expulsions à celles observées lors de précédents méga-événements dans d’autres pays. Cette critique rappelle à l’exécutif l’importance de respecter les droits humains, même dans le cadre de préparatifs pour un événement mondial.
Ce déplacement forcé des sans-abri hors de Paris a aussi attiré l’attention de la presse internationale. Plusieurs articles ont été publiés sur ce sujet, pointant du doigt les pratiques controversées des autorités. Aux États-Unis, The New York Times a rapporté que le gouvernement français a transporté des milliers de sans-abri, notamment des immigrants, hors de Paris avant les Jeux Olympiques. Il a donné la parole à des personnes concernées. De même, en Grande-Bretagne, The Guardian a couvert le sujet, décrivant le déplacement de milliers de sans-abri de la région parisienne comme une forme de « nettoyage social ».
Même France 24, parole de la France à l’étranger a publié dans sa version anglaise un article accusant les autorités françaises de « nettoyage social » des migrants et sans-abri. Elle a souligné les critiques internationales et locales à l’encontre de ces pratiques. Ces articles montrent que le sujet a suscité une attention et une critique internationale, qui n’a pas provoqué de réaction. L’exécutif a fait le dos rond, préférant entièrement surfer sur la vague positive de la « magie des jeux ».
On aurait préféré mieux. Car oui, en effet, il y a bien eu un « nettoyage social ». La façon de le mettre en œuvre n’excuse en rien cette réalité.
Sources :
- JO 2024 : le coup de gueule du maire d’Orléans après l’arrivée de sans-abris | L’Union
- France Is Busing Homeless Immigrants Out of Paris Before the Olympics | The New York Times
- Homeless people removed from Paris before Olympics | The Guardian
- Jeux de Paris 2024 : un collectif dénonce l’expulsion de plus de 12 000 sans-abris en Île-de-France | France Bleu
- Île-de-France : avant les JO de Paris 2024, l’évacuation des sans-abri s’amplifie | France 24
- Vrai ou faux : plus de 12 000 sans-abri ont-ils été évacués d’Île-de-France pour les JO, sans pour la plupart être relogés, comme le dit Danièle Obono ? | France Info
- France : l’expulsion des sans-abri pour les JO de Paris interpelle sur les solutions d’hébergement | Anadolu Agency
Photo : nicolas michaud Paris 2024 Place du Trocadéro-et-du-11-Novembre. Certains droits réservés