Nous passons de plus en plus de temps devant nos écrans. A l’ordinateur s’ajoutent désormais les smartphones et les tablettes. Le taux d’équipement de la population est important : 80% des Français étaient équipés d’un ordinateur personnel en 2015. 92% disposent d’un téléphone mobile ou d’un smartphone. Les outils numériques façonnent le quotidien de millions de personnes qui sont en permanence à scruter leurs messageries ou les réseaux sociaux. De plus en plus de nos concitoyens vivent « le nez collé » à leurs écrans. Aujourd’hui, plus de 30 millions de Français ont un compte actif sur Facebook. Ils sont un milliard 590 millions dans le monde à utiliser cette plate-forme numérique.
De nouveaux termes sont apparus après que les services hospitaliers qui traitent des addictions aient constaté le phénomène. Ainsi un service spécialisé créé à Nantes comme dans d’autres villes s’intéresse aux dépendances liées à l’utilisation d’Internet et des réseaux sociaux. Le besoin est là.
De nombreuses personnes qu’elles soient ou non intégrées souffrent désormais de « nomophobie ». Ce terme peu connu du grand public décrit une forme de dépendance concernant «toutes les personnes qui donnent l’impression d’abuser de l’usage des nouvelles technologies», c’est-à-dire qui utilisent ces outils dans l’excès au point d’organiser leur vie autour sans vraiment pouvoir s’en passer. Cette attirance prononcée pour les technologies appelée aussi cyberdépendance agit directement sur le quotidien de millions de personnes.
Une dépendance qui a des conséquences.
Beaucoup nos concitoyens, sans vraiment s’en rendre compte, peuvent passer des centaines et parfois des milliers d’heures sur leurs écrans. Cela devient réellement pathologique lorsqu’ils deviennent esclave d’un logiciel, d’une activité numérique, d’un site, d’un jeu vidéo… Une personne est « cyberdépendante » lorsqu’elle ne peut plus s’arrêter d’utiliser son smartphone, sa console, sa tablette, son ordinateur, voire plusieurs de ces objets qu’elle utilise en alternance.
Cela peut devenir une activité à temps plein. Toute la vie personnelle et sociale peut s’organiser autour de cette pratique. L’addiction au numérique se mesure à la perte de liberté du sujet et cela devient tout aussi préoccupant que pour le tabac ou l’alcool. Les effets sont sans doute différents pour la santé mais les conséquences sont souvent les mêmes. Des conflits de couples ont fréquemment pour cause cette dépendance au numérique. De nombreux enfants et adolescents diminuent leurs heures de sommeil pour échanger des messages tard dans la nuit. Ils s’épuisent nerveusement, deviennent irritables sans que les enseignants ou les parents ne mesurent le phénomène qui se traduit généralement par de fortes baisses des résultats scolaires.
D’autres addictions sont très liées à ces pratiques. Ces pratiques sont différentes selon les genres. Ainsi par exemple certaines femmes consultent tous les jours, parfois toutes les heures des sites de rencontres et s’inventent ou espèrent une nouvelle vie. De leur coté, certains hommes, esseulés, peuvent devenir accros aux sites érotiques ou pornographiques. D’autres sont complètement obnubilés par les jeux en ligne que ce soient des paris sportifs ou des jeux de cartes où de l’argent circule. Il y a aussi tous ces jeux « d’aventure » plus ou moins sophistiqués avec des quêtes et des passages de niveau qui ponctuent les efforts des participants. Ils doivent pour cela passer des heures devant leurs écrans et deviennent « addicts » à ces programmes qui mobilisent entièrement leur attention mais aussi leur portefeuille. Pourquoi le font-ils ? Tous ces logiciels apportent leurs lots de récompenses et satisfactions qui génère la dopamine cette hormone du plaisir stimulée aussi avec certaines drogues.
N’oublions pas les enfants et les adolescents : alors qu’ils se construisent leur personnalité, il trouvent sur Internet des réponses aux questions qu’ils se posent. Tout va bien lorsqu’il s’agit d’aller sur des sites officiels prévus pour cela. Mais vous le savez comme moi, Internet est devenu un grand n’importe quoi où le pire côtoie le meilleur. Ainsi la pornographie fait de sérieux ravages chez les enfants. « Il faut cesser de jouer à l’autruche et regarder la réalité en face » précise le Huffington Post….
Le virtuel est devenu bien plus séduisant que le monde réel. L’utilisation d’Internet permet de vivre une autre vie que celle que l’on subit. De nombreuses personnes sans emploi ont noué des liens et des réseaux de relation à travers les sites de jeux où s’agrègent des communautés virtuelles. Cette dimension n’est pas du tout prise en compte et les personnes elles mêmes concernées en parlent peu. Des études nous montrent que le phénomène va aller grandissant : « 93% des jeunes de 9 à 16 ans naviguent sur la toile au moins une fois par semaine et 60% y vont tous les jours ou presque. Ils y passent en moyenne une heure et demi par jour et 50% disent « se sentir plus eux-mêmes » en ligne que dans les relations de face à face (davantage les garçons que les filles, les enfants issus des milieux populaires que supérieurs, et le plus souvent à 13/14 ans). Ainsi, « il est véritablement nécessaire d’encadrer certains usages, notamment ceux ayant un fort impact psychologique ».
Un curieux paradoxe pour les travailleurs sociaux.
Le numérique est en train de devenir un obstacle à l’accès aux droits. Accès aux droits limités pour les plus démunis, ceux qui ne maîtrisent pas les codes de communication informatique ou ne possèdent pas d’ordinateur ni de connexion Internet. Face à ces réalités qui mettent à mal les relations entre les personnes et leurs administrations, les travailleurs sociaux servent de tampons. Ils sont plus mobilisés à tenter de maintenir et ouvrir les droits des personnes en utilisant les outils numériques qui leur sont imposés. Aujourd’hui tout ou presque passe par le réseau. Percevoir le RSA, rechercher un emploi, obtenir la CMU, payer ses impôts ou même ses amendes, ceux qui ne maîtrisent pas les outils numériques sont obligés de se faire aider. Les assistantes sociales de secteur en savent bien quelque chose. Elles passent de plus en plus de temps à aller sur CAFPRO ou sur des plates formes pour gérer les demandes des personnes. Que ce soit le logiciel SI-SIAO pour l’hébergement d’urgence ou la plate-forme EDF ou Engie, elles ne comptent plus le temps passé devant un écran pour simplement obtenir un droit qui n’est accordé que si elles saisissent des données qui leur sont demandées. Et pendant ce temps-là on nous parle « d’usager acteur », censé aller vers sa propre autonomie. Il y a là quelque chose d’assez paradoxal.
Si vous souhaitez aller plus loin sur ce sujet, je ne peux que vous recommander l’excellent numéro de la revue française de service social sur ce sujet. Nous avons tous besoin de nous former et de nous informer sur les enjeux numériques dans la pratique du travail social. Vous pouvez en lire quelques pages ici. Mais je vous recommande surtout de l’acheter car il vous permettra de mieux faire le tour de cette question avec une priorité sur la fracture numérique qui est bien présente et constatée sur le terrain.
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