Livre Ouvert : Regarder le viol en face « pour que cesse l’intolérable ».

https://dubasque.org/livre-ouvert-regarder-le-viol-en-face-pour-que-cesse-lintolerable

Le viol est un sujet que l’on préfère éviter. Cette question traîne derrière elle trop d’incompréhensions, de malentendus et de préjugés. L’occasion ici de déconstruire toutes ces représentations.

Le viol au dela des idees recues Pour que cee l intolerable

Selon l’OMS, 20 % des femmes seraient victimes de viol dans le monde et 10 % des hommes. Cette effraction dans le corps de l’autre, ce meurtre pas saccage de ce qu’il y a de plus précieux chez chacun(e) constituent l’une des pires violences que l’on puisse infliger à un être humain. Celle qui s’approprie l’intimité, l’intégrité et l’essence de l’autre.

Et pourtant, un sondage réalisé en 2016 est ahurissant. Il révèle que 15% des Français interrogés trouvent le viol acceptable dans certaines circonstances, notamment quand la victime porte des vêtements provocants. Et 31% que celle-ci en est en partie responsable ! On mesure le chemin qui reste à parcourir…

État des lieux

Les racines du viol ne sont pas à chercher du côté d’une soi-disant nature humaine. Non, « la femme » n’est pas tentatrice et ensorceleuse. Pas plus que « l’homme » ne se réduit à une bête en rut toujours prêt à sauter sur l’autre.

Certes, notre société est marquée par l’hypersexualisation des mœurs. Le culte de la performance virile en matière de sexualité encombre encore les représentations masculines. Et il est culturellement admis qu’une attitude sexuellement connotée signifie nécessairement une disponibilité à la relation.

Mais, le viol n’est pas la conséquence d’un désir sexuel qui ne peut être réfréné. Il est le produit de la recherche d’une jouissance autre que génitale. Il est avant tout la manifestation du pouvoir exercé sur le corps d’autrui et de la toute-puissance imposée à un autre choisi pour sa fragilité et sa vulnérabilité.

Adopter les bonnes attitudes

Se promener seul(e) la nuit, suivre un inconnu, porter des vêtements trop sexy, adopter une sexualité active, déposer plainte tardivement… Autant de comportements trop souvent considérés comme « à risque » ou compromettant. L’auteure démonte un par un ces préjugés qui n’ont pour seule fonction que de culpabiliser la victime.

Alors qu’elle doit, au contraire, bénéficier d’une écoute attentive et bienveillante. L’accompagnement doit se déployer avec douceur et empathie. Car son témoignage la fait replonger au cœur du traumatisme vécu, faisant resurgir un cauchemar d’angoisses, de dégout et de terreur.

À l’inverse, bien des réactions sont à proscrire. Cela va des regards dubitatifs aux questions indécentes, des accusations à peine voilées aux plaisanteries grossières. Le ton utilisé, le contenu des propos tenus, le langage non verbal adopté laissent transparaître l’état d’esprit de la personne qui dialogue avec la victime.

Du côté du violeur

Le violeur apparaît dans la plupart des cas parfaitement normal, présentant une intégration sociale tout à fait standard. Il sait exactement ce qu’il fait. Rien ne permet de relativiser son acte. Ni l’emprise de l’alcool ou de la drogue ou la fréquentation de la pornographie, ni la mauvaise interprétation du consentement de la victime ou la déficience mentale.

Seules peut-être les violences subies dans l’enfance peuvent expliquer celles que l’adulte va déployer plus tard. Passer de la soumission subie à la toute-puissance, de la passivité vécue à l’action, de l’être détruit à celui qui détruit, du blessé au sentiment d’indestructibilité, du dominé au dominant… Mais ce n’est pas une fatalité de faire vivre à autrui la destruction qu’on a subie soi-même. La plupart des enfants battus ou violés eux-mêmes ne reproduisent pas leurs traumatismes sur les autres.

L’auteur émet bien des doutes quant à la curabilité des pires des agresseurs commettant des crimes sexuels : ceux qui sont atteints de psychopathie. Parce qu’ils consacrent toute leur vie à la satisfaction de leurs seuls désirs. Parce qu’ils n’accordent aucune valeur à leur victime. Parce que leur absence de remords et de culpabilité, leur égocentrisme et leur absence de contrôle du comportement mettent en échec les tentatives de thérapie.

Elle préconise bien plutôt de promouvoir la prévention. Dès le plus jeune âge, il est essentiel développer l’empathie, d’éduquer à identifier le malaise vécu par autrui, d’amplifier la capacité à se mettre en lien. Mais aussi d’identifier le plus tôt possible les jeunes victimes de mauvais traitements afin d’éviter la reproduction de la frustration, de l’humiliation, des atteintes au narcissisme subies.

 


Cet article fait partie de la rubrique « Livre ouvert »

Il est signé Jacques Trémintin


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Bonus

Avancée ou stagnation dans la lutte contre les agressions sexuelles sur mineur(e)s ?

(article publié dans Lien Social n°1238 du 01 novembre 2018)

Beaucoup de polémiques à propos d’une loi saluée pour certaines de ses avancées et vilipendée pour ses manques. Qu’en est-il ?

Deux affaires récentes ont particulièrement ému l’opinion publique, poussant le législateur au vote de la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Le 7 novembre 2017, un homme accusé du viol d’une fillette de 11 ans était acquitté par la Cour d’assises de Meaux, la preuve n’ayant pas été rapportée que l’enfant avait été contraint ( !). Le 13 février 2018, le tribunal de Pontoise demandait une instruction complémentaire au parquet, celui-ci n’ayant retenu que la qualification d’atteintes sexuelles contre un homme ayant eu des rapports avec une enfant là aussi de 11 ans. Comment comprendre ces décisions au premier abord aberrantes ?

Que dit la loi ?

Selon l’article 222-22 du code pénal, « constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise, autre que le viol. ». Toutes les atteintes sexuelles (baiser, caresses, attouchements) « sont punies de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende » (article 222-27). Pour qu’une agression sexuelle soit considérée comme un viol, il faut une pénétration imposée sur la personne d’autrui ne maîtrisant pas son corps : « par violence, contrainte, menace ou surprise » (article 222-23). La loi fut longtemps la même, que la victime soit majeure ou mineure. En 1992, conscient de la nature fragile et vulnérable de l’enfant, le législateur décide de renforcer sa protection en fixant une limite d’âge à la liberté sexuelle. L’article 227-25 affirme : « le fait, par un majeur, d’exercer sans violence, contrainte, menace ni surprise une atteinte sexuelle sur la personne d’un mineur de 15 ans est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende ». C’est le fondement de ce qu’on désigne comme la « majorité sexuelle ». Il n’y a pas là, à proprement parler, une autorisation, mais un âge -quinze ans- en dessous duquel il y a interdiction de tous rapports sexuels entre un majeur et mineur (mais pas entre deux mineurs) et pénalisation de l’acte s’il se produit. La loi distingue donc entre d’un côté le crime de viol jugé par la Cour d’assise (qui peut condamner de 15 ans à 20 ans de réclusion)  et de l’autre les délits respectivement d’agression sexuelle et d’atteinte sexuelle sur mineur de moins de quinze ans, l’un et l’autre étant jugés par le tribunal correctionnel (qui peut condamner jusqu’à 5 ans d’emprisonnement). Si un agresseur ne peut être convaincu de viol sur un mineur de moins de quinze ans, parce qu’on ne peut prouver qu’il a agi par violence, contrainte, menace ou surprise, il ne peut qu’être renvoyé vers un tribunal correctionnel, puisqu’il tombe sous le coup de l’interdiction de toute relation sexuelle en dessous de cet âge. Cette correctionnalisation des crimes ne relève pas forcément d’une minimisation de la gravité des faits. Procédure plus simple, plus rapide, au résultat moins incertain explique Michel Huyette (1), elle est parfois conseillée par les avocats de la victime argumentant sur les risques d’un délai bien plus long du procès d’assises et d’une condamnation plus aléatoire, puisqu’il est tenu par la recherche d’éléments de preuve. Dans les situations de Meaux et de Pontoise, qui ont tant scandalisé l’opinion publique, c’est bien de cette répartition dont il a été question. Les débats qui s’en sont suivis se sont enflammés, plaçant les travaux préparatoires de la loi du 3 août sous les feux de la critique de nombre d’associations de défense de l’enfance. Que peut-on dire des apports et des manques de cette loi ?

Avancées et limites

On peut saluer l’extension du périmètre du viol : l’acte de pénétration jusque-là limité au corps de la victime est étendue à celui de l’agresseur s’il se fait pénétrer.

On peut saluer les précisions apportées quant à la notion de « contraintes morales » qui « peuvent résulter de la différence d’âge existant entre la victime et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur la victime, cette autorité de fait pouvant être caractérisée par une différence d’âge significative entre la victime mineure et l’auteur majeur » (article 222-22-2). Quant au substantif « surprise » qui s’appliquait le plus souvent aux cas d’une victime souffrant de maladie mentale, ivre, endormie ou sous l’effet d’une drogue, elle est là aussi précisée : « lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes. »

On peut saluer l’allongement de la liste des circonstances aggravantes. A l’ascendance ou l’autorité de l’auteur et à la vulnérabilité de la victime se rajoutent : la précarité sociale ou économique de celle-ci, l’administration d’une drogue ou la présence d’un mineur témoin des faits.
On peut saluer l’aggravation des peines, en cas d’atteinte sexuelle par un majeur sur un mineur de moins de 15 ans, le quantum passant de 5 à 7 ans de prison et de 75.000 à 100.000 euros d’amende.

On peut saluer l’obligation pour les Assises d’invoquer systématiquement l’infraction d’atteinte sexuelle sur mineur, si l’accusé majeur conteste le viol. Garantie que ne se reproduise pas l’omission du tribunal de Meaux acquittant l’agresseur de l’accusation de viol sans le renvoyer en correctionnelle pour des relations sexuelles interdites par la loi.

On peut saluer l’extension de la notion d’inceste aux relations sexuelles entre majeurs, seules étant concernées jusque-là les relations entre parents mineur et majeur.

Si le report du délai de prescription, à compter de la majorité de la victime de 20 à 30 ans, a été applaudi, on peut s’interroger sur le leurre potentiel que constitue cette mesure. Comment, en effet, réussir à confondre l’agresseur, commente Michel Huyette (1), les éléments de preuves recherchés par les enquêteurs venant à manquer si longtemps après (constats médicaux, indices permettant d’identifier les lieux du crime, confidences faites aux proches, état de la victime après les faits) ? Les associations de protection de l’enfance réclamaient la création d’une « présomption irréfragable » d’absence de consentement. Toute relation sexuelle avec un enfant en dessous d’un âge à définir aurait pu alors relever du viol. Toute preuve contraire étant irrecevable, il n’aurait alors pas été nécessaire de vérifier le consentement du mineur, comme on le fait pour les majeurs. Des juristes avaient dénoncé le risque d’atteinte aux droits fondamentaux de la présomption d’innocence, attentatoire aux principes démocratiques de toute justice, si le mis en cause était considéré comme coupable, avant même que le tribunal puisse en décider. Pour contourner cet obstacle, le projet de loi comportait dans son article 2 un nouveau délit d’« atteinte sexuelle d’un majeur sur mineur par pénétration » puni de 10 ans de prison. Le risque de voir les viols jugés à l’aune de ce seul article et plus du tout comme un crime passible de 15 à 20 ans de réclusion criminelle, provoqua une levée massive de boucliers. Cet article fut finalement supprimé du texte, sans que ne soit créé le crime spécifique de « viol sur mineur » pourtant réclamé. Sans doute faudra-t-il attendre, encore, pour qu’il le soit.

 


Photo : rawpixel.com rawpixel.comsur Freepik

 

 

 

 

 

 

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