Livre ouvert : « Pardonner »

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couv pardonnerIl n’est pas donné à tout le monde perdre son père, après qu’il ait été retrouvé mort dans un bois, avec trois balles dans le dos. Ce n’est pas là le début d’un polar, mais le témoignage d’un fait réel, dont l’objet central n’est pas du tout une enquête policière.

Certes l’auteure prend le temps de nous situer les circonstances du crime et de sa résolution. C’est la fille de la victime qui nous en fait le récit. Elle décrit le chagrin, la colère et le sentiment de vengeance qui l’assaillirent, elle, autant que ses proches. Si la première émotion ne quittera jamais Anaïs Gletty, les deux dernières finirent par s’estomper. Et c’est là le thème de ce beau livre.

Il était toujours jovial et blagueur, bienveillant et affectueux avec sa famille, ce père disparu dans de si terribles circonstances. Celle qui l’abattit était sa proche collaboratrice dans l’entreprise qu’il dirigeait : Betina partageait une relation amoureuse clandestine avec lui. L’enquête de gendarmerie piétina, explorant toutes les pistes : rôdeur, créancier, famille… Jusqu’à ce que la coupable aille se dénoncer.

Son procès dura trois jours. Elle y apparut frêle et fragile, baissant constamment la tête. Elle n’arriva jamais à expliquer l’énigme de ses motivations. La peine fut à la hauteur de son acte : elle fut condamnée à 18 ans de réclusion criminelle. Ce fait divers se termina avec le sentiment partagé que justice avait été faite. La suite ne manque pourtant pas d’étonner.

Quand Betina demanda le pardon à la famille de celui qu’elle avait assassiné, personne ne put la lui accorder. Pourtant, avec le temps, un besoin irrépressible émergea chez Anaïs Gletty : rencontrer la meurtrière de son père. Sa quête apparut incompréhensible pour ses proches. Comme au procureur d’ailleurs, qui lui refusa sa demande de parloir. Elle-même eut du mal à se l’expliquer. C’était pour elle la seule façon de trouver enfin l’apaisement.

Il lui faudra quatre ans de réflexion et d’hésitation, avant d’entamer un échange épistolaire avec la meurtrière de son père. De part et d’autre, c’est un déferlement d’émotions qui se traduisit dans leurs lettres, mais aussi un grand soulagement. Le 2 juillet 2021, Bettina sortit de prison avec un statut de libération conditionnelle. Sous bracelet électronique, elle avait pourtant interdiction de rencontrer les parties civiles.

Le 15 août 2014, trois jours après la fin du procès, le législateur avait voté une loi sur la justice restaurative. C’est la voie que ces deux femmes allaient emprunter, pour réussir à se rencontrer. Le protocole qui leur fut imposé, s’avéra des plus stricts. Pour chacune d’entre elles, trois rencontres préparatrices furent organisées avec deux animatrices de médiation.

L’une et l’autre durent répondre à bien des questions pour motiver leur demandes réciproques et surtout la conscientiser. Ce que je veux dire ou ne pas dire ? Ce que je veux entendre ou ne pas entendre ? Quelle place l’autre a-telle dans ma vie et qu’elle est celle que j’ai dans la sienne ? Qu’est-ce que l’autre peut ressentir ? Comment réagir, en cas de forte émotion d’un côté comme de l’autre ? Par quel mot vais-je commencer ? Autant d’interrogations permettant de déblayer le terrain.

Le jour du face-à-face tant attendu, les yeux dans les yeux, se déroula le 7 juin 2023. Il revient au lecteur de découvrir la teneur de cet échange peu commun, contre-intuitif et pour tout dire des plus singuliers. On atteint là l’acmé de la justice restaurative.

Si le magnifique film « Je verrai toujours vos visages » en est une belle illustration, il ne s’agit alors que de la rencontre d’agresseurs avec des victimes, sans rapports directs les uns avec les autres.

Là, il s’agit du croisement d’une meurtrière et de sa victime secondaire. À l’encontre de la légitimité de la vengeance se déploie ici la vertu du pardon. Non pas un pardon attendu et demandé, mais accordé et consenti. Se plonger dans ce livre, c’est accéder à la compréhension cette paix intérieure, de cet apaisement et de cette quiétude que n’offrent ni la colère, ni la haine ou le ressentiment.

« Je verrai toujours vos visages » film réalisée par Jeanne Hery en 2023 :

 

 


Cet article fait partie de la rubrique « Livre ouvert »

Il est signé Jacques Trémintin

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Photo : La Commère 43 : Dans « Pardonner », Anaïs Gletty raconte sa rencontre avec la meurtrière de son père

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