La détention des mineurs en France est un sujet sensible qui suscite de nombreuses interrogations et de débats. Bien qu’ils ne représentent qu’une toute petite fraction de la population carcérale, leur situation est particulièrement préoccupante en raison de leur vulnérabilité et des effets potentiellement dévastateurs de l’incarcération sur leur développement.
Un rapport remarquable publié par la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) nous alerte sur cette réalité. Il a été rédigé par Alice Simon du Service de l’évaluation, de la recherche et du contrôle de la Direction de la PJJ. C’est un éclairage vraiment précieux et particulièrement intéressant sur cette réalité carcérale. En effet, il est rare que nous disposions d’éléments précis et de témoignages des jeunes concernés.
Moins de 1% de la population carcérale
Au 1ᵉʳ janvier 2023, 614 mineurs étaient incarcérés dans les prisons françaises. Sur l’ensemble de l’année 2022, ce chiffre s’élevait à 3142, dont 102 étaient des filles. Ces chiffres peuvent sembler faibles en comparaison de la population carcérale totale, mais ils n’en demeurent pas moins significatifs.
Finalement, ces jeunes qui n’ont pas atteint l’âge de la majorité ne représentent que 0,9 % de l’ensemble des détenus. Mais ces situations particulières qui, rappelons-le ne devraient pas exister dans une société qui défend un modèle éducatif, demandent un investissement conséquent. Pourtant, ils ne représentent qu’environ 3 % des jeunes suivis par la Protection judiciaire de la jeunesse.
Une situation préoccupante
Les conditions de vie des mineurs en détention sont loin d’être idéales. Le rapport de la DPJJ met en lumière l’expérience de l’isolement que vivent ces jeunes. Leur enfermement en cellule et la mise en isolement sont des pratiques courantes, souvent justifiées par des raisons de sécurité mais aussi au titre de sanctions.
Cette situation est d’autant plus préoccupante que cette forme d’isolement peut avoir des conséquences graves sur leur santé mentale. Les risques psycho-sociaux et troubles du comportement se développent dans ce contexte. Cette enquête de terrain montre que l’incarcération est une expérience douloureuse pour les mineurs, en raison des conditions matérielles d’existence au quotidien et du sentiment de dévalorisation dont ils font l’expérience. Beaucoup sont déprimés.
147 tentatives de suicide
Les mineurs en détention réagissent à leur manière et supportent plus mal que les adultes les contraintes de l’isolement. Certains développent des troubles mentaux, d’autres, mais ce sont parfois les mêmes, sont confrontés à la violence : En 2021, 305 fiches d’incidents concernant des mineurs détenus ont été transmises à la DPJJ. Parmi elles, 147 étaient relatives à des tentatives de suicide et 108 à des atteintes aux personnes avec violences. « Les privations matérielles, l’isolement, mais aussi les nombreuses vexations imposées (insalubrité, enfermement, fouille, interventions physiques, etc.) leur infligent des blessures symboliques régulières ».
Que faire pour améliorer leur sort ?
Plusieurs mesures pourraient être envisagées. Il faudrait d’abord, réduire le recours à la détention provisoire, qui concerne une grande majorité de ces jeunes. Il faudrait aussi en toute logique améliorer les conditions de l’incarcération en mettant l’accent sur l’éducation et la réinsertion plutôt que sur la punition.
Le rapport met ainsi en évidence plusieurs aspects du travail des éducateurs de la PJJ en milieu carcéral. Ces professionnels ont pour mission d’accompagner les mineurs détenus dans leur parcours éducatif, social et parfois même médical. Ils sont censés être présents de manière continue en détention, mais ce n’est pas toujours le cas malgré une mesure instaurée par la Loi d’orientation et de programmation pour la justice de 2002. Ce n’est pas si évident.
Plusieurs obstacles entravent l’efficacité de leur travail. Le rapport souligne que les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM), bien qu’initialement conçus pour donner plus de place aux activités éducatives, ont été rattrapés par des enjeux de « (re)sécurisation progressive ». Cela limite les temps dédiés aux moments collectifs et aux activités socioéducatives, réduisant ainsi les opportunités pour les éducateurs de la PJJ d’interagir efficacement avec les jeunes qui pourtant en ont besoin.
Le rapport souligne que le manque de communication concernant la santé des mineurs limite l’efficacité des éducateurs de la PJJ dans leur travail d’accompagnement. Par exemple, les éducateurs ne sont pas tenus au courant si les jeunes détenus prennent l’intégralité de leur traitement médical. Cette absence d’information peut non seulement mettre en danger la santé des mineurs, mais aussi ouvrir la porte à un éventuel trafic de médicaments au sein de l’établissement.
Un suivi psychologique régulier pourrait aider à prévenir les risques de troubles mentaux et de comportements auto-destructeurs. Les effets de l’incarcération sont toutefois fortement contrastés selon les mineurs, à la fois en fonction de leurs conditions d’incarcération, de leurs caractéristiques sociales, de leurs trajectoires antérieures ou encore de la durée de leur détention.
Que disent les jeunes de leurs relations sociales en prison ?
Leurs paroles révèlent une réalité troublante sur ce qui se construit dans les relations sociales des jeunes détenus. Une vérité crue qui mérite d’être entendue. Le rapport de la PJJ regorge de témoignages pris sur le vif. Cela nous plonge dans les réalités de ces jeunes. Le simple fait de les écouter apporte une meilleure compréhension de ce qu’ils vivent
« C’est malsain de se faire des amis ici »
Nassim, 16 ans, détenu à l’EPM Epsilon, résume la complexité des relations en prison : « C’est pas des amis, genre des gens avec qui j’fais ma peine, mais c’est pas des amis non plus ». Siham, également âgée de 16 ans, ajoute : « Des connaissances, voilà, après c’est pas des amis tu vois c’que j’veux te dire ? Moi, mes amis, ils sont pas ici. » Ces jeunes ne voient pas leurs codétenus comme des amis, mais plutôt comme des « connaissances » ou des « amis de prison ».
La défiance est la norme
Adrien, 16 ans, est plus explicite sur la question de la confiance : « Nan, moi j’fais confiance à personne ici. » Cette méfiance est partagée par d’autres, comme Mounir, 13 ans, qui dit : « Ici il ne faut pas trop faire confiance ». Jess, 15 ans, renchérit : « Aux mineurs, il faut vraiment faire gaffe à ce que tu dis parce que tu rentres seul, tu ressors seul hein ». La méfiance est donc la règle, et la confiance l’exception. Les relations qui préexistent à la détention semblent avoir une valeur particulière. Comme le dit Victor, 15 ans : « J’connais personne qui s’fait des amis ici, wallah. […] c’est malsain de se faire des amis ici ».
Nassim met en lumière un autre aspect des relations en détention : « Des fois ils prennent la confiance. Y t’parlent comme si c’était, on était des amis d’toujours et tout, ça, nan ! » Cette prise de confiance non sollicitée est perçue comme une intrusion dans leur espace personnel, ce qui est mal vu en détention. L’autre est celui dont il faut se méfier. Il n’est pas sûr que ce mode de communication basé sur la défiance permanente aide à la réinsertion. Comment ces jeunes peuvent-ils apprendre à avoir confiance aux autres en en l’avenir dans une société où la défiance est de mise ?
Même si on en parle peu, la détention des mineurs en France est un sujet qui mérite une attention particulière. Les conditions de vie en prison, les problèmes rencontrés et les obstacles à lever pour améliorer leur sort sont autant de questions qui appellent à une réflexion et à des actions concrètes. Ce rapport de la DPJJ, que personnellement, je trouve remarquable, apporte une base solide qui permet de mieux comprendre ce à quoi sont confrontés ces jeunes.
Il est clair que beaucoup reste à faire pour garantir le bien-être et leur avenir, car contrairement à ce que continuent de penser certains, la punition ne résout rien.
- Lire et télécharger : Les effets de l’enfermement sur les mineurs détenus, Alice Simon Septembre 2023
Photo : Dall E Chat GPT