Fausses nouvelles, mésinformations, infox… Les spéculations portant sur le lointain passé de l’espèce humaine ne se limitent pas à de cocasses canulars. Elles peuvent aussi cacher de plus sombres desseins.
Déjà présentes dans la littérature, les théories les plus farfelues ont trouvé dans la toile un formidable incubateur. Tricheries, manipulations, erreurs, spéculations, détournements de textes, interprétations arbitraires… Les illustrations de ces élucubrations sont légion.
Certains ont transformé la curiosité d’amateurs de sensationnel en un filon lucratif. À l’image de ces crânes de cristal mayas, aztèques, olmèques, voire tibétains fabriqués à la chaine par des faussaires et vendus à prix d’or sur le marché. Ou de ces « Pierres d’Ica » produites par milliers pour satisfaire le chaland !
D’autres ont voulu se moquer de la crédulité publique. À l’image du corps de ce géant enterré à Cardiff, dont la découverte en 1865 fit sensation. Jusqu’à ce que Georges Bull, à l’origine de cette farce montée de toute pièce, révèle la supercherie peu de temps après.
Sans compter sur ce savant russe prétendant avoir trouvé la plus ancienne carte géographique du monde. Elle aurait été gravée sur une pierre datant… de plusieurs millions d’années. Pierre qu’il s’empressa de ne jamais faire expertiser !
Manipuler
Accumuler tant d’âneries forcerait l’admiration. Au lecteur de réagir par l’indifférence, la moquerie ou la critique face à des faits utilisés pour illustrer un récit explicite ou suggéré sous forme d’interrogations. Pourtant, l’auteur y voit aussi le prétexte à un argumentaire au service d’objectifs bien moins naïfs.
Des traces de pas humains côtoyant ceux de dinosaures ? La découverte de squelettes des géants décrits par la Bible ? Identification des traces de l’arche de Noë au sommet du mont ? À n’en pas douter, voilà autant de preuves confirmant le calcul de l’archevêque James Usher fixant précisément la création du monde au 23 octobre 4004 avant JC à 18h.00 . Une aubaine pour les créationnistes faisant de l’ancien testament un livre d’histoire.
Rechercher les sources du mythe de l’Atlantide ? Tentatives pour identifier le contient Mû ? Traces d’anciennes civilisations massacrées par les hordes d’amérindiens ? Une aubaine pour des suprématistes voulant démontrer que la race blanche aryenne est bien fondatrice de la culture humaine.
Bas-relief de Palenque représentant des astronautes ? Tertres américains construits pas des géants ? Traces de Nacza identifiées comme pistes d’atterrissage pour les extra-terrestres ? Occasion rêvée pour les racistes de déposséder les peuples autochtones de leur patrimoine historique, en attribuant leur civilisation à des sources extérieures.
Contrecarrer
L’incroyant qui argumente ne peut persuader le croyant que sa vérité n’est qu’une illusion. La démarche consistant à isoler des faits pour illustrer une foi intangible ne peut se confondre avec l’élaboration a posteriori d’une théorie destinée à rendre compte d’observations documentées.
Pour autant comment expliquer la facilité avec laquelle nous pouvons identifier des traces supposées d’un passé mystérieux. On peut évoquer le processus par lequel un stimulus vague ou informe finit par être perçu comme organisé, reconnaissable et signifiant : c’est la paréidolie. Ainsi, chacun(e) d’entre nous peut reconnaître dans les nuages, dans les fumées, les écailles de poisson ou les vieux murs des figures familières. Pourquoi pas dans des pierres sculptées par la nature ?
Comme avec le test de la tache de Rorschach, chacun projette ses propres représentations. Une forme qui prend du sens aujourd’hui en avait-elle chez nos ancêtres ? Ce que nous pensons voir apparaître en dit plus long sur nos propres références culturelles que sur celles de leurs auteurs.
Il est impossible de lire exactement les traces préhistoriques sans l’aide de leurs créateurs. En conséquence de quoi, chaque hypothèse doit être émise avec précaution. Les modèles interprétatifs évoluent en permanence au gré des nouvelles découvertes sur le terrain. Plutôt que d’affirmer et de montrer, il faut s’attacher à démontrer.
Le processus de connaissance traitée ici concerne l’archéologie. Mais elle peut être étendue aux sciences humaines en général et à la quête de la compréhension d’autrui en particulier. Une représentation de ce que pense et vit l’autre qui serait le reflet de ses propres modèles culturels, de ses propres modèles théoriques et de ses propres émotions, cela dira sûrement quelque chose au lecteur travailleur social !
Cet article fait partie de la rubrique « Livre ouvert »
Il est signé Jacques Trémintin
Bonus
Savoir déchiffrer
Les complotistes n’ont pas peur du ridicule … sauf à identifier leurs motivations…
Peter McIndoe est complètement dépassé. L’étudiant américain en psychologie ne se doutait pas, en lançant son canular « Birds aren’t real », ce qu’il allait enclencher : tous les oiseaux ont été supprimés et remplacés par des drones permettant à l’État profond de surveiller en permanence ses citoyens, a-t-il lancé sur les réseaux sociaux ! Ils ne sont pas moins de 350.000 abonnés de son compte Instagram à en être persuadés, même après qu’il ait révélé sa supercherie !
On pourrait, bien sûr, se gausser de l’incommensurable bêtise de cette infox. Pourtant, bien des religions regorgent de légendes aussi absurdes rationnellement : Noë décédant à 950 ans, le Christ a ressuscité, l’eau giclait des doigts de Mahomet, le corps de Bouddha lévitait en faisant jaillir de l’eau et du feu, les statues de Dieux hindouistes boivent du lait etc … Pourquoi se moquerait-on plus des uns que des autres ? Mieux vaudrait comprendre le message derrière la croyance en ces « mystères ». Si l’on admet volontiers combien ils expriment la ferveur spirituelle à l’égard d’un être suprême, pourquoi devrait-on invalider la profonde inquiétude existentielle qui fait accuser « le » grand complot mondial d’être responsable de tous les malheurs du monde ? Il serait préférable de remonter à la source plutôt que de se fixer sur l’embouchure, aux causes plutôt qu’aux effets, aux origines plutôt qu’aux conséquences. Rions, mais sachons aussi décrypter.
Dossier
Rumeurs, canulars et théories du complot : comment réagir ?
Il n’est guère d’évènement grave qui ne trouve quasi instantanément, sur la toile, une interprétation bien éloignée de la version officielle. S’appuyant sur d’infimes détails ou d’apparentes contradictions, le complotisme fleurit. La réalité ne serait pas celle qu’on nous présente, on nous cacherait la vérité, nous serions victimes d’une manipulation. Objet d’échanges passionnés entre jeunes rivalisant dans les révélations et le rétablissement de ce qui « s’est vraiment passé » ; interpellation des adultes moqués pour leur naïveté, leur aveuglement et leur manque de perspicacité ; contagion au sein même des équipes d’animation dont certains membres propagent eux-mêmes ces théories… il est temps de prendre un peu de recul et d’apporter un éclairage ne se limitant pas la seule moquerie.
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