L’argent manque-t-il ou est-il inégalement distribué ? Les auteurs de cet essai crèvent l’abcès et donnent à voir le hold-up du siècle !
De 10 milliards d’euros en 2024, 20 en 2025 … À l’heure où l’on ne parle que d’économies pour ne pas aggraver les déficits budgétaires, le « pognon de dingue » (Macron) que coûtent les aides sociales et l’assurance maladie, les postes de fonctionnaires et les services publics sont pointés du doigt, comme principal responsable et coupable de tous nos malheurs.
Curieusement, la masse considérable d’aides financières attribuées aux entreprises n’est jamais évoquée. Ces aides se montaient à 65 milliards en 2007. La crise de 2008 les booste à 110 milliards. Le Crédit impôt pour la compétition et l’emploi (CICE) instauré par le Président Hollande et pérennisé par Emmanuel Macron fait monter l’addition à 150 milliards.
Et la spirale infernale est bien loin de s’être interrompue. Plus de deux mille formes d’aides s’ajoutent les unes aux autres, pour un montant qui friserait aujourd’hui les 170 milliards. Le robinet de l’argent public ouvert au monde de l’entreprise lucrative s’est transformé en chute du Niagara.
Toujours plus de restrictions pour les services publics qui répondent aux besoins essentiels de l’ensemble de la population (santé, éducation, sécurité …) et toujours plus d’argent public pour soutenir les entreprises. Entre 2007 et 2018, les aides sociales ont progressé trois fois moins vite que celles accordées aux entreprises. Il ne s’agit plus tant de subventions verticales directes que d’aide indirectes horizontales. Tous ces abattements, exonérations de charges sociales, taux réduits, déductions diverses, crédits d’impôts, etc. représentent aujourd’hui 5,6 % du PIB contre 3,5 % en 2007.
Comment expliquer ces choix économiques et surtout politiques ? Plusieurs conceptions les justifient. Il y a d’abord la valorisation de l’entrepreneur privé présenté comme le seul créateur de richesse et le rabaissement parallèle des services publics au rang de charges qui pèsent sur la compétitivité de nos entreprises, freinant leur innovation, leur rentabilité et leurs exportations sur le marché mondial.
Quand, en 2019, 45 milliards furent consacrés aux demandeurs d’emploi, 75 l’ont été pour soulager les entreprises du coût du travail. Mais non, décidément, ce sont les chômeurs qui pèsent le plus lourd dans le partage de la richesse ! Satisfaire les exigences du secteur privé est devenu la seule voie possible pour favoriser la prospérité et la croissance, choix plébiscité par les gouvernements de droite, de gauche et du centre. Et de préférence, en cédant au lobbying massif des plus grosses entreprises, elles qui bénéficient de 70 % des aides et de 90 % de leurs montants.
Pour faire avaler la pilule, c’est, ensuite, le mythe de la création d’emploi qui est agité. Les 19 milliards du CICE auront permis d’en créer ou d’en sauvegarder… 100.000 ! Ce qui représente 190.000 euros par emploi. Il est difficile d’imaginer que tout cet argent ait servi uniquement à combattre le chômage, alors que dans le même temps des plans de licenciement ont été appliqués dans dix des quatorze plus grands groupes qui en ont bénéficié. Aussi, est-il possible de transformer la formule de Bruno Lemaire, notre ancien ministre de l’Économie : « les dividendes d’hier sont les investissements d’aujourd‘hui et les emplois de demain » en l’inversant : « les suppressions d’emplois d’hier sont les profits d’aujourd’hui et les dividendes de demain ».
Cette politique est marquée par la confiance aveugle accordée aux partenaires économiques qui se voient attribuer beaucoup d’aides sans aucune contrepartie, ni vérifications de leur utilisation. On est loin de la chasse aux fraudeurs des aides sociales qu’il s’agit de débusquer chez tout bénéficiaire, soupçonné de s’installer dans l’assistanat, alors même qu’une véritable addiction aux aides s’est emparée du monde de l’entreprise.
Enfin, vient la légende du ruissellement prétendant que l’enrichissement au sommet se déverserait, par simple effet de la pesanteur, vers les couches inférieures de la société. Certes, les bénéfices des entreprises du CAC-40 ont augmenté de 35 % en 2021, leur permettant à la fois de racheter leurs actions (ce qui en augmente la valeur) et d’augmenter de 40% les dividendes entre 2021 et 2023 (ils absorbaient 35 % des bénéfices pendant les Trente glorieuses contre 80 % aujourd’hui).
Effectivement, la richesse des milliardaires français s’est accrue de 236 milliards durant les dix-huit premiers mois de la pandémie. Sans doute, les revenus des patrons des groupes du CAC-40 ont augmenté de 29 % entre 2019 et 2022. Mais, au bas de l’échelle, on n’a pas vu grand-chose arriver, au cours de la même période.
Nous avons hérité de l’après-guerre d’un Welfare State, cet État providence qui protège les plus vulnérables, en redistribuant les ressources. Progressivement, il est en train de laisser la place au Corporate State (cet État qui se met au service des profits des entreprises privées) concluent les auteurs.
- Un pognon de dingue, mais pour qui ? L’argent magique de la pandémie, Maxime Combres, Olivier Petit Jean, Éd. Seuil 2022, 189 p.
Cet article fait partie de la rubrique « Livre ouvert »
Il est signé Jacques Trémintin
Lire aussi :
- Pourquoi les riches posent problème? 20 idées reçues sur les inégalités, Philippe RICHARD, Éd. Max Milo, 222, 112 p., Ah, ces riches qui font la prospérité de notre pays en créant des emplois. Il n’y a que les jaloux pour les dénigrer ! Le discours est bien codé, les idées reçues bien ancrées, les plaidoiries bien rodées. Et pourtant, il est aisé de les déconstruire. Ce que nous propose méthodiquement Philippe Richard, Docteur en économie.
- Ce que les riches pensent des pauvres, Serge Paugam, Bruno Cousin, Camila Giorgetti, Éd. Seuil, 2017, 347 p., En partant d’une étude sur les beaux quartiers de Sao Paulo, Delhi et Paris, les auteurs ont cherché à identifier le regard que portent les riches sur les pauvres.
- La violence des riches. Chronique d’une immense casse sociale, Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlet, Ed. Zones, 2013, 252 p., On ne pourrait rien contre la mondialisation, notre pays devrait en finir avec les charges sociales qui pèsent sur la compétitivité des entreprises, les avantages sociaux constitueraient un frein au développement économique, etc. ? Les auteurs en doutent fortement !
- Le temps des riches. Anatomie d’une sécession, Thierry Pech, Seuil, 2011, 178 p., La richesse constitue à la fois un puissant idéal d’accomplissement personnel, faisant rêver ceux qui en sont dépourvus, et une scandaleuse négation de l’égalité.
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