Livre ouvert : Faut-il se méfier de la police ?

Aucune police d’un pays démocratique n’est autant critiquée par les instances internationales des droits de l’homme que celle de notre pays. Suite éditoriale du documentaire éponyme, les auteurs de ce livre expliquent pourquoi, en donnant la parole à de multiples témoins.

la police contre la rue

Dans un pays comme le nôtre où les manifestations de rue sont une tradition séculaire, convenons que le travail de la police n’est pas facile. Mais, alors que nos voisins de Grande Bretagne et d’Allemagne ont choisi la « gestion des foules », la France opte pour le « maintien de l’ordre ».

Se font face deux impératifs : la préservation de l’ordre public d’un côté et, de l’autre, le droit inaliénable d’expression et de manifestation. Le juste équilibre entre les deux est délicat. Force est de constater que, chez nous, la politique sécuritaire l’emporte, guidée par le fantasme d’une populace émeutière prête à chaque instant à renverser la République. Il faudrait donc lui opposer de la masse et de la dissuasion.

Police d’hier …

 C’est la troisième République qui mit un terme à la répression sanglante des manifestations de rue. C’est à partir de cette période historique que les missions de l’armée et de la police devinrent distinctes. Que les soldats cessèrent de tirer sur la foule. Que, progressivement les forces de l’ordre se spécialisèrent, se professionnalisèrent et s’encasernèrent, se déplaçant sur l’ensemble du territoire en fonction des nécessités. La doctrine qui s’imposa petit à petit est bien celle de la désescalade et du zéro mort.

Cela ne se fit en une seule fois. Se succédèrent des épisodes d’une grande violence (répression meurtrière des 17 octobre 1961 et 8 février 1962) et d’accalmie (politique d’apaisement menée par le préfet Grimaud en mai 1968). En témoigne la création des pelotons de voltigeurs motorisés en 1969, et leur dissolution en 1986, après le meurtre de Malik Oussékine qu’il commirent.

Cette évolution sera percutée par les émeutes de banlieue qui surviennent en 2005 et la récente révolte des gilets jaunes. En décembre 2018, le détachement d’action rapide (DAR) est créé auquel. Lui succède, en mars 2019, la brigade de répression de l’action violente motorisée (BRAV-M). Deux acronymes pour désigner un équipage composé d’un pilote et d’un policier matraqueur.

Police d’aujourd’hui.

Dès lors, c’est une course à l’armement qui s’engage. Les policiers sont dotés d’armes de guerre susceptibles de provoquer de graves lésions, voire de conduire potentiellement à la mort. Pistolets à impulsion électrique, grenades de désencerclement, balles en caoutchouc des LBD participent à la multiplication des mutilations.

Puis, la stratégie de terrain change. Dorénavant, les manifestants font l’objet de charges policières dont l’objectif est non seulement de les disperser, de les briser en petits groupes, mais aussi de les regrouper dans des nasses pour mieux les tabasser.

Alors que les autres pays préservent le choix de la désescalade, la France s’enlise dans une volonté de privilégier l’affrontement et l’escalade. Le fiasco du stade de France le 28 mai 2022 en est l’illustration. Ce n’est plus quelques brebis galeuses qui sont en cause, mais une politique du maintien de l’ordre marquée par la violence décuplée et toujours plus agressive d’une police qui se lâche.

 

 


Cet article fait partie de la rubrique « Livre ouvert »

Il est signé Jacques Trémintin


 Lire aussi :

 

 

  • De la police en démocratie, Sebastian Roché, Ed. Grasset, 2016, 376 p. : Si l’on en croit les autorités politiques et administratives ou les syndicats de policiers : tout va bien. Les forces de l’ordre de notre pays sont exemplaires, n’ont pas à se remettre en cause, la population devant leur faire aveuglément confiance.
  • Flic. Un journaliste a infiltré la police, Valentin Gendrot, Éd. Goutte d’or, 2020, 293 p. : L’infiltration d’un journaliste dans un milieu professionnel n’est pas nouvelle. Cela avait déjà eu lieu dans les prisons, les asiles ou le monde de la précarité. Mais, pas dans la police. Voilà qui est fait.
  • Omerta dans la police. Abus de pouvoir, homophobie, racisme, sexisme, Souid Sihem et Jean-Marie Montali, Le Cherche Midi, 2010, 270 p. : Quand Sihem Souid entre à l’école de police de Draveil, elle est émue en entendant la Marseillaise et frissonne en voyant la levée des couleurs. Mais très vite c’est la, stupéfaction : les pratiques qu’elle découvre sont aux antipodes de la haute opinion qu’elle a du pays des droits de l’homme.
  • Jamel le CRS. Révélations sur la police de Sarkozy, Jamel Bousetta, éditions Duboiris, 2007, 178 p. : « Même si nombre de policiers sont des types extraordinaires » affirme Erik Blondin, secrétaire général du Syndicat de la police nationale, « les actes et propos racistes, les violences illégitimes, l’arrogance et les provocations, les insultes et les menaces envers les citoyens »  non seulement « sont monnaie courante », mais « ces dérives sont couvertes par l’institution » (P.9)
  • Polices et discriminations raciales. Le tabou français, Sophie Body-Gendrot et Catherine Withol De Wenden, Les éditions de l’Atelier, 2003, 190 p. Les policiers en tenue disposent depuis 1986 d’un code de déontologie. On se demande bien pourquoi, puisqu’il n’y a jamais aucun problème.
  • La police hors-la-loi. Des milliers de bavures sans ordonnances depuis 1968, Maurice Rajsfus, Le Cherche Midi Editeur, 1996, 391 p. : L’ouvrage de Maurice Rajsfus, véritable « livre blanc » des bavures policières nous présente sur 390 pages une triste et terrifiante litanie de cette violence au quotidien dont se rendent coupables certains policiers.

 


Bonus

La police est-elle légitime ?

Des policiers s’adonnent au profilage ethnique en contrôlant respectivement dix fois et cinq fois plus les hommes de peau noire et ceux perçus comme arabe que des hommes blancs. Mais, dans le même temps, des policiers ont participé au vaste coup de filet international de fin 2023 permettant de sauver 149 personnes étrangères des griffes des trafiquants et d’arrêter 281 personnes, soupçonnées de traite d’êtres humains.

En 2022, des policiers ont causé la mort de 39 personnes au cours de leurs interventions. Mais, 38 d’entre eux ont perdu la vie au cours de leur mission.

Régulièrement, des policiers se mettent en danger pour sauver des citoyens sur le point de se suicider. Mais alors que le taux de suicide moyen en France est de 14 pour 100 000 habitants, celui qui atteint leurs rangs est de 29 pour 100 000 agents.

Des policiers répriment violemment certaines manifestations, chargeant indifféremment les foules, et cherchant à les coincer dans des nasses, pour mieux les tabasser. Mais, parallèlement, des policiers sécurisent aussi le cheminement de bien d’autres regroupements de rue, en collaboration étroite avec leurs organisateurs, protégeant parfois même le défilé contre les menaces de confrontations violentes de la part de contre-manifestants d’extrême droite.

Des policiers commettent des agressions illégitimes régulièrement documentées et attestées. Mais, des policiers interviennent tout aussi souvent, sinon plus, pour neutraliser d’une manière musclée des auteurs de violences conjugales et familiales.

Des policiers sont responsables de bavures sanglantes blessant gravement ou mortellement des citoyens qui ne les mettaient pas en danger. Mais des policiers abattent aussi des terroristes qui viennent eux-mêmes de commettre des crimes et entendent continuer.

Entre 2013 et 2017, 23 000 condamnations pour outrage à agent ont été prononcées par la justice. Entre 2005 et 2015, 89 cas de violences policières illégitimes ont pu être alléguées par l’ACAT (ONG chrétienne de défense des droits de l’homme). Un seul cas a donné lieu à une condamnation à de la prison ferme pour le policier incriminé.

Entre 1940 et 1944, la police et la gendarmerie françaises se sont mises au service de l’occupant nazi, lui servant de bras armé pour ficher, arrêter et faire déporter plus de 75 000 juifs. Mais, près de 1 200 policiers sont entrés dans la résistance, 700 étant déportés et 177 perdants la vie lors du combat pour libérer Paris au mois d’août 1944.

Y a-t-il de la place pour une nuance entre « tout le monde déteste la police » hurlé par certains manifestants et « il n’y a pas de violences policières » répété à l’envi par tous les ministres de l’Intérieur successifs ?

Les forces de l’ordre se voient déléguer le monopole de la force pour faire régner l’ordre public. Et il faut continuer à le leur confier, au risque de voir tout-un chacun se faire justice soi-même. Reste à définir si l’usage qui en est fait est légitime ou non.

On ne peut faire confiance en la corporation policière qui fait régulièrement corps pour défendre l’indéfendable, certains de ses membres n’hésitant pas à mentir, falsifier et frauder pour y parvenir.

On ne peut faire totale confiance en un parquet qui tient les forces de l’ordre sous son autorité directe et qui classe massivement sans suite les plaintes déposées par leurs victimes.

On ne peut faire confiance en une autorité politique si dépendante d’une police chargée de sa sécurité. Seule une instance judiciaire indépendante en charge de cette mission pourrait traiter des violences et autres bavures policières, en relaxant ou en condamnant les accusés, au regard des faits, des actes et des paroles tombant sous le coup de la loi.

 

Jacques Trémintin

 


Photo : Kristoffer Trolle  French Anti Riot/Terror Police, Paris 2017 Certains droits réservés

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