Voilà une ode à la lecture qu’il est difficile de négliger. Certes, le propos est catégorique et péremptoire. Pourtant, l’auteur affirme vulgariser les principaux savoirs scientifiques accumulés depuis cinquante ans. Autant de références qui ne demandent qu’à être contestées.
Michel Desmurget s’était déjà fait connaître, en 2011, pour ses essais au vitriol. Contre la télévision (TV lobotomie. La vérité scientifique sur les effets de la télévision), puis en 2020 contre le numérique (La fabrique du crétin digital). Le voilà, en 2023, qui élève la lecture au rang du meilleur support n’ayant jamais existé, pour construire l’intelligence de l’enfant, en l’aidant à structurer sa pensée et à organiser son développement.
Fichtre ! Quels sont donc les arguments déployés pour faire de cette pratique la championne toutes catégories de l’éducation ? La lecture permet d’engranger sans s’en rendre compte une quantité infinie de richesses lexicales et syntaxiques, affirme l’auteur. Elle favorise la cognition sociale, en offrant une multitude de descriptions complexes. Elle renforce les compétences émotionnelles en confrontant à un répertoire de sentiments d’une diversité sans limite. Elle promeut l’empathie, en proposant une projection dans des situations contextuelles détaillées et impliquantes.
Ce que la lecture apporte ne peut être remplacé par rien d’autre. Et, en tout cas, pas par les écrans que l’auteur continue à maudire, les accusant de fracasser l’intelligence des enfants. Et de déplorer la perte du combat des loisirs, avec des préados passant dix fois plus de temps sur leurs écrans récréatifs que dans les livres (les ados ? C’est quatorze fois !). Le temps libre consacré à la lecture, entre 12 et 17 ans, a fondu, passant de 21 % en 1955 à 5 % en 1995. On ose imaginer la proportion 30 ans après !
Certaines statistiques semblent pourtant rassurantes, notamment celles qui comptabilisent jusqu’à 80% des 7-25 ans qui affirment lire… Mais, ce n’est pas parce que les enfants/jeunes adultes prétendent aimer la lecture, affirme l’auteur, qu’ils le font avec des livres. Et de se demander quels sont les supports privilégiés : magazines ? Bandes dessinées ? Mangas ? Sans compter la capacité de compréhension se réduisant à un exercice de déchiffrage et de communication pragmatique.
En réalité, la France comporte 9 % de lecteurs avancés, 21% de lecteurs compétents, 27 % de lecteurs basiques et 44 % de lecteurs faibles. L’une des raisons à cet état des lieux tient sans doute dans une réalité récurrente : l’apprentissage de la lecture n’est pas un art facile. Le cerveau humain n’est pas programmé pour cela. La maîtrise qu’impose l’assimilation du code écrit nécessite des réaménagements neurologiques d’une grande complexité. Une fois façonné, notre système cérébral fonctionne à notre insu. Encore faut-il y parvenir.
C’est pourquoi, créer un lecteur demande des années d’entraînement patient et assidu. La confrontation au monde de l’écrit est longue et laborieuse, avant de pouvoir réussir non seulement à capturer les lettres, puis les mots, mais aussi -et surtout- pour parvenir à les décoder et accéder à leur signification, en réussissant à les interpréter.
Lire à l’enfant, lire avec l’enfant, faire lire l’enfant. Telle est la seule bonne formule obsédante et sans fin que Michel Desmurget répète et répète encore. Plus l’enfant lit, plus il apprend à lire. Plus il apprend à lire, plus il fluidifie sa lecture et plus il développe et automatise ses facultés de décodage. Plus il réussit à accélérer son rythme de lecture et à décoder ce qu’il lit, plus il accroît ses capacités à saisir le sens d’un énoncé. L’effet est cumulatif. Chaque progrès prend appui sur les socles installés précédemment.
Pour autant, il ne faut pas que la lecture devienne une corvée qui ne ferait que décourager. Cela doit rester un plaisir. Chaque parent trouvera sa propre méthode pour plonger son enfant dans l’univers magique de l’écriture. En utilisant l’environnement fourmillant d’inscriptions qui ne demandent qu’à être décodées, dès les premiers babillements, par exemple ; en racontant des histoires aux non-lecteurs ; en proposant des lectures partagées jusqu’à l’âge du collège ; en soutenant, encourageant et plébiscitant les livres à tous les âges … et en limitant au maximum les temps d’écran.
Convaincu ? Pour le savoir, il ne reste plus au lecteur que la lecture de cet ouvrage de plus de 400 pages, passionnant, fourmillant de résultats d’études, d’analyses et d’enquêtes.
- Faites-les lire ! Pour en finir avec le crétin digital, Michel Desmurget Éd. du Seuil, 414 p., 2023
Interview de l’auteur par par Pascal Thuot de la Librairie Mille Pages :
Cet article fait partie de la rubrique « Livre ouvert »
Il est signé Jacques Trémintin
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Photo : Michel Desmurget (capture d’écran de l’interview vidéo de la Librairie MillePages