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Livre ouvert : Être directeur de MECS

couv maison denfantsDans le prolongement de son premier essai, François Ruiz nous donne à nouveau à voir l’arrière-cuisine du fonctionnement d’une maison d’enfants à caractère social médaille, en décrivant le vécu de son Directeur.

De sa longue expérience, l’auteur retire trois piliers pour faire vivre cette fonction. S’appuyer, tout d’abord, sur un projet éducatif seul à même de fédérer autour d’une identité d’établissement, de valeurs et de pratiques communes, de tracer un itinéraire et de donner le cap. Promesse sécurisante et structurante qui permet d’arriver à bon port, avec un idéal partagé.

Le travail d’équipe, ensuite, qui ne se réduit pas au nombre de ses membres, mais doit intégrer la coordination entre chacun d’entre eux. Et l’auteur de décliner les rôles respectifs des secrétaires, maîtresses de maison, psychologues ou chef de service. Toutes et tous remplissent des fonctions qui, pour essentielles au bon fonctionnement de l’ensemble qu’elles soient, ne peuvent se confondre les unes avec les autres, tout en se complétant.

La recherche d’alliance avec les usagers, encore, est d’autant plus incontournable. Et ce, pour une raison imparable : ce service public de la maison d’enfants à caractère social est d’autant plus paradoxal que ceux qui le fréquentent ne souhaitent pas l’utiliser pour 90 % d’entre eux. D’où le travail avec les familles et la recherche d’un minimum d’adhésion chez les mineurs.

Fort de ce triptyque, François Ruiz nous projette dans une succession de ces flashbacks remontant à sa mémoire. Depuis le vol de voiture par Kamel dont la sanction était justement de la nettoyer, jusqu’au retour précipité d’un transfert organisé dans un camping, en passant par les différentes négociations avec son association employeuse autour des réorganisations et créations de services.

L’évolution du secteur de la protection de l’enfance, dont il fut longtemps un acteur créatif et exigeant, le conduit à en regretter bien des dérives. Avec notamment cette mode des recommandations de « bonnes pratiques » qui présentent le risque de tuer toute originalité, au nom d’un discours consensuel, lisse, propre et sans saveur, excluant une prise de risque limitée au maximum.

Mais aussi ce métier de directeur qui devient de plus en plus administratif et gestionnaire, éloigné du terrain, des professionnels et des enfants. Sans oublier les besoins de ces enfants qui sont de moins en moins pris en compte par le haut de la pyramide, les désidératas du sommet s’imposant à la base dans une logique de plus en plus hors sol.

Il reste à lire et relire ces expériences vécues, d’autant plus précieuses qu’elles disparaissent du quotidien au fur et à mesure que les vieilles générations le quittent.

 


Cet article fait partie de la rubrique « Livre ouvert »

Il est signé Jacques Trémintin


Lire aussi :

 

  • Il était un éducateur, François RUIZ, Éd. Les Impliqués, 2021, 276 p., On lira avec intérêt cette chronique d’un parcours de quarante ans au cœur des institutions accueillant des enfants placés qui risque de devenir rare, alors que les postes de responsabilité sont de plus en plus confiés à des personnes inexpérimentées face aux usagers.
  • Les MECS au cœur des évolutions de la protection de l’enfance. Travailler avec l’impossible, Martial CHENUT et Laurent VIALLEIX (sous la direction), Éd. érès, 2018, 402 p. Voilà un ouvrage éclectique, proposant diverses portes d’entrée pour comprendre ce que sont les maisons d’enfants à caractère social (MECS), à travers leur histoire, le travail éducatif qui s’y déploie, la clinique qui est au cœur de leur raison d’être, leur management, la formation de leurs professionnels, mais aussi leur avenir.
  • Être directrice d’un établissement médico-social, Audrenne HENKE, Ed. L’Harmattan, 2018, 164 p. Avec un tel titre, on pourrait s’attendre à un écrit décrivant des fonctions opérationnelles de gestion de budget et de réponses aux injonctions des administrations de tutelle. Ce n’est pas le genre de l’auteur. Éducatrice spécialisée pendant vingt ans, Audrenne Henke l’est restée de la pointe des cheveux jusqu’au bout de doigts !
  • Ballades d’un rêveur solidaire, Serge HEUGHEBAERT, Ed. Slatkine, 2020, 459 p. Ce récit, nos directeurs comptables d’aujourd’hui auront du mal à rédiger, sauf à faire une compilation des évaluations de démarches qualité et autres protocoles accumulés tout au long de leur carrière. Serge Heughebaert appartient à ces espèces en voie de disparition qui n’ont cessé de sortir des sentiers battus et d’innover, mettant toute en œuvre pour éviter de s’enfermer dans l’institutionnel.

 


Bonus

Bienvenue en MECS !

En sortant de la salle obscure, je me suis interrogé : que peut ressentir un spectateur néophyte, après cette immersion de près de deux heures au cœur d’une maison d’enfants à caractère social (MECS), véritable protagoniste central du film « Placés » ?

D’une brusquerie dérangeante, ces mômes qui crèvent l’écran ne provoquent-ils pas, au final, la même empathie et la même congruence que celles qui s’emparent très vite de beaucoup de professionnels d’internat éducatif ? La réponse à cette question est sans doute à rechercher dans ce trouble que provoque ce public, dès qu’on s’en approche.  Car, derrière tant de provocations, de tapage et de railleries percent la détresse, la fragilité et la souffrance. On ne peut qu’être touché par cette humanité violentée qui en émane.

Le film de Nessim Chikhaoui est d’une authenticité et d’une précision singulières qui tranchent avec les idées reçues et les préjugés caricaturaux si souvent véhiculés par les médias. Rien d’étonnant à cela, puisque le réalisateur a exercé pendant dix ans comme éducateur spécialisé en MECS. Le cinéaste met en scène son vécu professionnel : et cela sonne juste ! Bien-sûr, le scénario est un concentré de situations qui, pour être parfois poussées à l’extrême, n’ont pourtant rien d’exceptionnelles.

Le « vrai » quotidien des MECS n’est pas fait que de ces crises, de ces éclats de voix et de ces tensions. La banalité, les petits-riens, les instants ordinaires peuplent aussi l’essentiel de leur espace-temps. Mais, tout cela ne suffirait pas à retenir l’attention du spectateur. De ce condensé, on retiendra quelques personnages. Corinne, la maîtresse de maison qui n’est sans doute pas très performante quant à la règlementation HSCCP, mais qui veille avec une bienveillance toute maternelle sur « ses enfants ». Marc, le Directeur qui doit résoudre tous les problèmes à la fois, en évitant de se laisser submerger. Une équipe éducative riche d’émotions, de postures et caractères divers, véhiculant autant de problématiques que n’importe quel autre collectif de travail. Et puis tous ces ados qui n’ont pas terminé de gérer un passé douloureux, qu’il leur faut déjà se confronter à un avenir improbable …  Avec en exergue, Emma si proche de ses 18 ans, qui mesure la menace qui pèse sur elle : se retrouver à la rue … comme tant de jeunes majeurs à qui l’Aide sociale à l’enfance signifie la fin brutale de tout accompagnement. L’adolescente vit à nouveau le traumatisme qui l’a poursuivie toute sa vie : à nouveau abandonnée (mais cette fois-ci par des éducateurs ravagés par la culpabilité), après l’avoir été par sa mère et par sa famille d’accueil !

C’est tout ce petit monde, qu’Elias découvre. Il n’est que de passage. Il fait partie de ces personnels « faisant fonction », sans formation qualifiante préalable. Son adaptation est rapide. C’est vrai que plonger dans un tel tourbillon peut provoquer, à l’extrême, deux types de réactions opposées : soit s’enfuir en courant très vite, soit être pris dans les rets d’un attachement addictif.

Les scènes se succèdent, pleines d’humour et de colère, de tendresse et d’orage, de bonheur et de désespoir. Elles émeuvent et elles font rire. Elles révoltent et elles font peur. Elles enflamment et elles donnent le vertige. Elles suscitent la grâce et elles créent le malaise. Tout ce qui se vit successivement et parfois en même temps se niche au cœur de cette aventure improbable qu’est l’accueil d’enfants en MECS.

Bel hommage à une profession par trop invisible, notable reconnaissance d’une protection de l’enfance si souvent décriée, incomparable témoignage sur la réalité contradictoire des placements. Si, bien sûr, personne ne pourra prétendre que les maisons d’enfants à caractère social, ce n’est que cela … on peut affirmer sans être contredit que c’est aussi cela.


Photo : avatar freepik

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