À compter d’aujourd’hui, le contenu de la rubrique Lire qu’alimentait Jacques Trémintin dans Lien Social migre vers mon blog. Congédié du célèbre quinzomadaire, il m’a proposé de prendre le relais. J’accueille volontiers ses nouvelles recensions de livres, toutes les semaines.
Chaque mercredi, il proposera son regard sur une publication récente ou plus ancienne. Il est possible de retrouver ses près de 2.300 critiques rédigées depuis 1994 à l’adresse suivante : https://www.tremintin.com/livres
« ParentalitéS, normes et injonctions » de Catherine Sellenet
S’il est un paradigme envahissant ces dernières décennies, c’est bien celui de la parentalité. Il était urgent que quelqu’un se mette à déconstruire ce mot-valise. Et c’est Catherine Sellenet qui s’y est consacré avec la rigueur et le talent qui lui sont propres.
Chaque siècle ébauche le portrait du parent parfait et donne des conseils que le suivant s’empresse de remettre en cause, explique-t-elle. Le XXI ème n’y échappe pas. Cette fois-ci, le modèle choisi dresse le tableau d’un enfant de rêve affublé d’un catalogue de besoins supposés et d’un parent idéalisé devant toujours se montrer disponible et attentif, investi et bienveillant et surtout jamais stressé, ni épuisé. Et c’est dans une dynamique de police des familles que les professionnels contrôlent l’adéquation à ces critères ainsi définis.
Ils soutiennent ceux qui sont en difficulté ; ils aident ceux qui sont dans la précarité ; ils soignent ceux qui rencontrent des problèmes psychologiques ou psychiatriques ; ils surveillent et contrôlent les plus dangereux… En fait, ils accompagnent tous les parents, puisque tout un chacun semble potentiellement à risque ! Tous doivent être responsabilisés et alphabétisés, à grands coups de recettes éloignées de la vraie vie et de l’aventure imprévisible qu’est l’éducation d’un enfant. Tâche d’autant plus aléatoire, quand le foyer ne bénéficie pas d’un logement adapté, d’un travail stable ou de ressources suffisantes.
Sous le feu de la critique de l’auteure, les travaux de la commission sur les « 1000 premiers jours » (qui ne questionnent jamais les conditions de vie et s’adressent aux parents les plus aisés), les réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents (REAAP qui ciblent en priorité les familles monoparentales) et ce coaching (qui fonctionne dans une logique descendante)…
Autant de stratégies pour inculquer la bonne attitude à adopter, là où les réponses à un même problème sont diverses et plurielles. Catherine Sellenet passe en revue les problématiques trop souvent ignorées : la place des pères, la répercussion du divorce chez les enfants, la proclamation d’une coparentalité après la séparation qui reste à construire.
Au final, ce livre est un appel salutaire à la vigilance face à l’explosion du marché du conseil qui cultive les certitudes, en excluant tout questionnement, tout doute et toute hésitation. Il est une invitation à la prudence tant les compétences parentales restent des notions fragiles, construites socialement à un moment donné de l’évolution des sociétés et à partir des normes culturelles du moment.
- « ParentalitéS, normes et injonctions » Catherine Sellenet, Éd. L’Harmattan, 2023, (260 p. – 27 €)
Lire aussi sur le site de Jacques Trémintin :
- La visite à domicile et ses déclinaisons , Sellenet Catherine, Éd. L’Harmattan, 2021, 228 p. Depuis la fin de l’époque de l’internat tout-puissant, la visite à domicile a pris de plus en plus d’importance dans le travail social…Créé le 28 février 20233.
- La nouvelle autorité parentale et les actions de soutien à la parentalité, Verdier Pierre et Sellenet Catherine, Ed. Berger Levrault, 2013, 272 p. Un livre écrit par deux auteurs, au fait de leur talent, ne peut qu’être accueilli avec grand intérêt.
- Loin des yeux, loin du cœur? Maintenir les liens parents-enfants dans la séparation Sellenet Catherine, Belin, 2010, 427 p. État des lieux, réflexion théorique, manuel d’application, outil de travail, cet ouvrage de Catherine Sellenet est un peu tout cela à la fois.
- Les visites médiatisées pour les familles séparées Sellenet Catherine (sous la coordination), L’Harmattan, 2010, 224 p. C’est sur décision judiciaire, qu’un parent bénéficie d’un droit de visite médiatisée.
- Souffrances dans l’adoption. Pistes pour accompagner les adoptés et les adoptants Sellenet Catherine, Editions De Boeck, 2009, 213 p. Cet ouvrage de Catherine Sellenet résonnerait-il comme un coup de tonnerre dans un ciel serein ?
- La parentalité décryptée. Pertinence et dérives d’un concept Sellenet Catherine, L’Harmattan, 2007, 188 p. Confier des mots-valises à des spécialistes des sciences humaines et ils vous les décoderont, en démêlant les confusions, abus et autres dérives.
- Les pères en débat. Regards croisés sur la condition paternelle en France et à l’étranger Sous la direction de Catherine Sellenet, érès, 2007, 190 p. La figure du paterfamilias détenteur d’une autorité sécurisante et structurante laisse à certains beaucoup de nostalgie…
- Les pères vont bien! Comment les hommes affirment et assument aujourd’hui leur paternité. On nous le serine depuis quelques temps déjà : les pères ne seraient plus ce qu’ils étaient. L’image de leur carence hante les discours ambiants. Catherine Sellenet, Flammarion, 2005, 256 p.
- L’enfance en danger. Ils n’ont rien vu? Catherine Sellenet, édition Belin, 2006, 236 p. La protection de l’enfance aurait-elle fait faillite ? Entre les accusations de Maurice Berger et les affaires tant d’Outreau que d’Angers, on peut se poser des questions.
- Les assistantes maternelles. De la garde à l’accueil éducatif, Catherine Sellenet, L’Harmattan, 2006, 194 p. Dans un pays marqué par la pénurie des moyens de garde pour les enfants de moins de trois ans, le métier d’assistante maternelle a un bel avenir devant lui.
- Avoir mal et faire mal Catherine Sellenet, Hommes et perspectives, 2001, 200 p. La violence interroge tous nos repères, et notamment la frontière entre ce qui est permis et ce qui est interdit, entre l’acceptable et le condamnable,
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Bonus :
Catherine Sellenet maître de conférence en psycho-sociologie à la faculté de Nantes.
DD : Vous expliquez que l‘exercice de la parentalité peut se décliner sur 4 axes. Le quatrième axe porte sur les effets des interventions des travailleurs sociaux…
CS : Oui, en effet. On s’est rendu compte en prenant l’ensemble des situations que parfois les interventions des travailleurs sociaux venaient finalement entraver cette parentalité sur l’un ou l’autre des axes. Il faut tenir compte de nos interventions et voir quels impacts elles peuvent avoir. Soit elles sont soutenantes, soit elles sont disqualifiantes, elles peuvent ne pas avoir d’impact mais la plupart du temps elles ont un effet quand même.
DD : Il est difficile pour les travailleurs sociaux de s’observer ou d’analyser leurs propres actes et de les intégrer dans la réflexion…
CS : C’est vrai, c’est un effort de distanciation qu’il faut faire avec les événements. Il s’agit d’être en capacité d’observer comment les parents ont réagi par rapport à l’acte que l’on a posé. On le fait peu dans la pratique professionnelle mais je pense que c’est absolument incontournable.
DD : Il faudrait que les travailleurs sociaux intègrent dans leur pratique la réflexion sur l’impact de leurs actes professionnels ?
CS : Tout à fait, sur ce plan-là, c’est une question qu’ils devraient se poser. Il y a beaucoup d’études qui le montrent, notamment des études canadiennes. Par exemple, il y est observé le positionnement de l’enfant par rapport aux interventions des éducateurs. Si on donne à un enfant tel ou tel message à transmettre, il ne sera pas un interlocuteur passif. Il ne transmettra pas le message textuellement, Il y mettra une intonation, il ajoutera des commentaires et tout cela va préparer l’entretien futur qu’aura l’éducateur avec ses parents. Prenez par exemple un instituteur. Vous savez, il y a des cahiers de liaison. L’enfant va emmener ce cahier pour les parents mais il va y mettre sa tonalité, ses commentaires, son interprétation. Quand ensuite le parent viendra au rendez-vous avec l’enseignant, il n’y viendra pas « blanc ». Il emmène avec lui un imaginaire, des idées préconçues en se disant ça va se passer de telle et telle manière. Tout cela introduit des biais et il faut savoir à qui on s ‘adresse.
DD : Et les travailleurs sociaux sont pris dans cette problématique ?
CS : Bien sûr les éducateurs sont eux-mêmes partie prenante de cette problématique. Leurs interventions étayent ou court-circuitent la parentalité. Prenons un simple exemple, celui de la scolarité. Le fait de proposer à l’assistante maternelle d’effectuer le suivi lors des réunions avec l’institutrice, de solliciter la famille de l’enfant ou d’être soi-même le seul représentant de l’enfant n’est pas un choix anodin. C’est un choix qui engage les représentations que l’on a du rôle de l’autorité parentale, de son exercice.
DD : De quelle parentalité parle-t-on quand un enfant se partage entre sa famille de naissance, la famille d’accueil et un service à travers l’intervention d’un éducateur ?
CS : C’est de la parentalité partagée. Mais actuellement, il n’y a pas de méthode d’observation d’analyse de cette parentalité partagée. Elle est à mettre en place et je crois que les services évoluent sur ce plan-là. Ainsi l’exercice de la parentalité partagée justifie le repérage des zones fragiles, celles qui sont investies par les parents et de la nécessité ou pas de mettre en place des relais dans les zones non investies par ceux-ci.
DD : Vos préconisations ?
CS : Je crois que dans un premier temps il y a une formation à mettre en place qui est la formation à l’observation (ex. Pikler, Loczy ). Elle est très peu pratiquée en France, beaucoup plus dans d’autres pays. Il est vrai que les éducateurs manquent d’outils d’observation pour être plus pertinents, moins en difficulté .
Photo en une : Catherine Sellenet sur son site de présentation.