Livre ouvert : « Après l’abolition »

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L’abolition de l’esclavage a-t-elle été synonyme d’émancipation ? L’historien américain Kris Manjapra le conteste.

couv apres l abolitionPendant 500 ans, un asservissement fondé sur la race a nié l’humanité des peuples africains. Entre 12 et 20 millions de femmes, d’hommes et d’enfants arrachés à leur continent furent engloutis dans le ventre des bateaux qui les déportaient. Ils perdirent leur nom, leur prénom et leurs liens familiaux et furent soumis au travail forcé.

Au XIXème siècle, le Danemark fut le premier pays occidental à abolir l’esclavage en 1794 et le Brésil le dernier, en 1888. L’auteur détaille les modalités de cette « libération », en rappelant les conditions dans lesquelles elle s’est concrétisée. Toutes ont été conditionnées à des systèmes d’indemnisation. Mais si cette prévenance s’imposa partout, ce ne fut jamais pour dédommager les victimes, mais ceux qui les avaient transformés en simples marchandises. Les droits des esclavagistes ont toujours été préservés.

Après avoir supprimé l’esclavage en 1834, le gouvernement britannique convoqua aussitôt un comité central d’arbitrage. Celui-ci décida de mettre le contribuable britannique à contribution pour indemniser les propriétaires. Jusqu’en 2015 l’État leur versera 27 millions de livres de l’époque, soit 200 milliards de livres actuelles.

Après avoir aboli l’esclavage une première fois en 1794, Napoléon le rétablit en 1802. La France l’abrogera définitivement en 1848. Elle fera néanmoins le choix, elle aussi, d’indemniser les anciens esclavagistes lésés par l’interdiction de la traite d’êtres humains. Ils recevront ainsi 126 millions de Francs de l’époque, soit 170 milliards de dollars actuels.

Haïti fut le seul pays qui connut une révolte victorieuse des esclaves réussissant à renverser le régime qui les opprimait. Sa première constitution, adoptée en 1805, qualifiait explicitement les esclavagistes de criminels, interdisant à jamais le commerce d’êtres humains. Mais Haïti fut contraint à un boycott international.

Pour racheter sa liberté, elle dut payer à la France son ancienne puissance occupante, 150 millions de Francs. Pour faire face à sa « dette », le pays s’endetta auprès de banques françaises, contractant des prêts qu’il ne finira de rembourser qu’à la fin des années 1940. Soit, un total équivalent à 37 milliards de dollars actuels !

Les Etats-Unis se sont construits sur le massacre des peuples indiens, mais aussi sur l’exploitation des esclaves. La fondation de la nouvelle nation, en 1776, se fit sur la base de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme qui ne remit jamais en cause l’asservissement des populations déportées d’Afrique. Et pour cause, la plupart de ses législateurs en exploitaient. Chacun des esclaves fut même comptabilisé comme 3/5 d’habitant, pour mesurer la représentation proportionnelle du poids de chaque Etat au congrès fédéral !

Pendant la guerre de sécession (1861-1865) qui déboucha en 1963 sur l’abolition de l’esclavage, il fut promis à chaque esclave libéré « 40 arpents et une mule ». La promesse de cette indemnisation prélevée sur les possessions des anciens esclavagistes ne fut jamais tenue. A la place, furent votées les lois Jim Crow instituant un régime de ségrégation raciale entre Blancs et Noirs dans les écoles, les transports, les lieux publics et limitant fortement les droits civiques des Afro-Américains. Il faudra attendre le 29 mars 2022 pour que la pratique des lynchages, responsable jusqu’en 1950 du massacre de plus 4 000 noirs, soit assimilée à un crime fédéral.

Une évaluation des compensations financières a été calculée en 1963, aux USA. Elle se monte à 500 milles milliards de dollars. Pour ce qui est de la seule Haïti, notre pays devrait lui rendre 21,7 milliards ! « Les abolitions ont regardé l’avenir avec les yeux des esclavagistes », conclue l’auteur. S’ouvre alors devant nous un insondable abîme : celui d’une terrifiante mémoire et d’une réparation à trouver !

 


 

Cet article fait partie de la rubrique « Livre ouvert »

Il est signé Jacques Trémintin

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Photo : Kris Manjapra capture d’écran vidéo YouTube

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