La créativité, cette faculté humaine si précieuse et mystérieuse, se trouve aujourd’hui confrontée au développement fulgurant de l’intelligence artificielle générative (IA). La question de son impact sur notre créativité suscite de vifs débats. Loin d’être anodine, cette interrogation touche au cœur même de ce qui fait notre humanité : notre capacité à innover, à imaginer, à créer. Plongeons dans ce sujet en nous appuyant sur des études récentes et des réflexions issues de notre logique. En fait, la réponse à la question posée en titre de cet article est : oui et non à la fois. Comment cela est-il possible ? En voici la raison.
L’IA peut être une aide précieuse pour les moins créatifs
La première réponse est positive. Une étude menée par Anil R. Doshi et Olivier P. Hauser (2024) apporte un éclairage intéressant sur la question. Elle s’appuie sur une expérience, consistant à faire écrire des mini-histoires à des participants avec ou sans l’aide de chat GPT-4. Le résultat est sans appel. Les personnes qui manquent d’imagination et sont les moins créatives ont vu leur production s’améliorer significativement grâce aux suggestions de l’IA.
Leurs histoires gagnaient en créativité et en profondeur, expliquent les chercheurs. Ils ont ainsi démontré ainsi le potentiel de l’IA comme outil d’amplification de la créativité pour certaines personnes. Super direz-vous ? Pas vraiment et voici pourquoi.
Un obstacle potentiel pour les plus créatifs
Cependant, la même étude met en lumière le revers de la médaille. Pour les participants naturellement plus créatifs, l’utilisation de l’IA n’apportait aucune amélioration notable. Pire encore, elles ont bridé leur créativité innée, les poussant vers des idées plus conventionnelles et moins originales.
L’un des dangers majeurs pour les créatifs talentueux réside dans la possible érosion de leur intuition artistique. En s’appuyant trop fortement sur les suggestions de l’IA, ils risquent de négliger leurs propres impulsions créatives, souvent plus audacieuses et novatrices. Ce phénomène peut conduire à un « apprentissage privatif », où la dépendance à l’outil technologique affaiblit progressivement la capacité à générer des idées originales de manière autonome.
Les créatifs les plus talentueux se distinguent généralement par leur habileté à produire des œuvres uniques, porteuses d’une signature reconnaissable. L’utilisation excessive de l’IA peut contribuer à diluer cette singularité, en poussant l’artiste vers des créations plus consensuelles et moins personnelles. Cette homogénéisation risque d’appauvrir le paysage artistique, en réduisant la diversité des voix et des perspectives
Le piège de la facilité
L’IA offre des solutions rapides et apparemment efficaces, ce qui peut être tentant même pour les personnes créatives les plus douées. Cependant, cette facilité apparente peut devenir un piège. Le recours à l’IA encourage une forme de paresse créative. Les créateurs peuvent être tentés de se contenter de résultats « acceptables » générés par l’IA, au détriment d’un véritable travail d’exploration et d’innovation personnelle.
Voilà qui est ennuyeux. Finalement, pourrions-nous avoir d’un côté des créatifs sans IA qui seraient rattrapés par des non-créatifs qui font appel à l’IA ? Ce n’est pas si simple.
Vers un risque d’homogénéisation de la créativité
C’est l’un des effets pervers de l’utilisation massive de l’IA dans les processus créatifs : l’homogénéisation des idées puis des écrits. Anil R. Doshi et Olivier P. Hauser soulignent que les histoires produites avec l’aide de l’IA tendent à se ressembler davantage. Cette observation soulève une question : en cherchant à augmenter la créativité individuelle, ne risquons-nous pas de sacrifier la diversité et l’originalité collective ?
Ce phénomène d’homogénéisation pourrait s’expliquer par la tendance de l’IA à proposer des idées « évidentes » ou « attendues ». Comme le soulignent les auteurs de l’étude, les modèles de langage larges ont tendance à produire des suggestions convenues. Il manque cette étincelle d’originalité propre à la créativité humaine.
Notre confiance excessive en l’IA est un piège pour la créativité
Une autre étude signée Rebecca Marrone, David Cropley, and Kelsey Medeiros (2024) nous donne à voir un phénomène que je trouve inquiétant : notre tendance à accorder une confiance excessive aux productions de l’Intelligence artificielle. Lorsque des participants à une expérience ont été exposés à des listes de mots peu créatives supposément générées par ChatGPT, leur propre créativité s’en est trouvée affectée négativement. En revanche, face aux mêmes listes mais cette fois ci attribuées à des humains, ces mêmes personnes sont parvenues à maintenir leur niveau de créativité de façon positive.
Cela conduit à penser qu’une forme de « révérence envers l’IA » peut conduire à une forme d’auto-censure créative. En considérant les productions de l’IA comme supérieures ou indépassables, nous risquons de brider notre propre potentiel créatif, renonçant à explorer des pistes originales par peur de ne pas être à la hauteur de la machine. C’est ce que nous expliquent les chercheurs.
Mais que comprendre de tout cela ?
Face à ces constats, il apparait nécessaire d’avoir une approche équilibrée de l’utilisation de l’IA dans tout processus créatif. Les chercheurs proposent une méthode intéressante : ils nous invitent à ne jamais utiliser l’IA pour le brainstorming initial, mais d’y faire appel pour approfondir et articuler des idées déjà existantes. Cette approche permettrait de conserver l’étincelle créative humaine tout en bénéficiant de la puissance de traitement de l’IA.
Une autre étude indique que plus nous comprenons le fonctionnement des algorithmes, plus nous sommes capables d’en percevoir les limites et les biais potentiels. Cette compréhension nous permet d’utiliser l’IA de manière plus judicieuse, en lui faisant confiance pour des tâches à faible enjeu tout en restant critiques pour les décisions importantes.
En conclusion, l’IA possède indéniablement le potentiel d’augmenter notre créativité, particulièrement si vous vous sentez généralement peu créatifs. Cependant, elle présente également des risques importants d’homogénéisation des idées qui pourraient, à terme, appauvrir notre paysage créatif collectif.
L’enjeu réside donc dans notre capacité à utiliser l’IA comme un outil d’amplification de notre créativité, tout en préservant ce qui fait l’unicité et la richesse de l’imagination humaine. Pour y parvenir, l’éducation et la compréhension des mécanismes de l’IA semblent être des clés essentielles. Elles nous permettent de tirer le meilleur de cette technologie sans sacrifier notre propre façon de penser et d’écrire. Et ça, c’est essentiel.
Source :
- Generative AI enhances individual creativity but reduces the collective diversity of novel content (L’IA générative améliore la créativité individuelle mais réduit la diversité collective du nouveau contenu) | Science Advance
- How Does Narrow AI Impact Human Creativity ? | Taylor and Francis online