La question se pose aujourd’hui. Vous ne pouvez plus participer à une réunion sans que vos interlocuteurs consultent leurs messageries ou SMS. Si vous donnez des cours vous avez le sentiment que les étudiants vous écoutent d’une seule oreille, leur regard fixé alternativement sur vous et sur leur smartphone. C’est à se demander comment nous faisions avant l’irruption des outils numériques dans nos vies. C’est encore pire du côté des enfants qui sont des proies faciles car littéralement fascinés par les écrans et ce qu’ils y découvrent. Mais pourquoi ?
« La révolution digitale que nous vivons aujourd’hui peut être comparée à deux autres moments cruciaux dans l’histoire de l’humanité : l’invention de l’écriture, il y a 6000 ans et l’invention de l’imprimerie typographique par Gutenberg. Platon considérait l’écriture comme une menace pour la mémoire humaine, tandis que les moines s’inquiétaient de voir disparaître leur fonction de copistes. Nous savons aujourd’hui que les craintes des contemporains de ces inventions étaient fondées » nous précise le site the Conversation
Addiction à l’écran, comme à une drogue
L’utilisation des smartphones chez les adolescents est parfois comparée à l’addiction aux drogues. Bon nombre d’enquêtes, partout dans le monde, tendent à montrer que toute une génération a grandi constamment connectée, vérifiant son portable jusqu’à 75 fois par jour. Ces « digital natives » comme on les nomme, seraient, d’après une récente étude italienne, moins autonomes et moins heureux que leurs prédécesseurs. Ils vivent de nouvelles formes d’anxiété sociale dénommées FOMO (« Fear Of Missing Out » ou « peur de manquer un événement ou une nouvelle importante ») ou « vamping » (une pratique qui consiste à échanger des textos jusque tard dans la nuit.
Une crise silencieuse se développe au cœur même de notre société. Elle touche ceux qui devraient être les plus enthousiastes face à l’avenir, ceux qui sont censés incarner l’espoir et le renouveau : nos adolescents. La santé mentale de la génération Z, ces jeunes nés entre la fin des années 1990 et le début des années 2010, est aujourd’hui au centre d’une préoccupation grandissante, non seulement pour les parents et les éducateurs, mais aussi pour les professionnels de santé et les décideurs politiques.
Une détérioration alarmante
En 2024, les chiffres dressent un tableau inquiétant de la situation. Cela concerne l’ensemble des pays industrialisés. Pour notre pays, l’enquête EnCLASS, publiée en avril 2024, apporte un éclairage plutôt préoccupant. Elle montre que 15% des lycéens et 14% des collégiens présentent un risque élevé de dépression. Les symptômes rapportés par ces jeunes sont variés mais convergent vers un mal-être profond : sentiment de solitude, irritabilité, nervosité, manque d’énergie et difficultés de concentration.
Ces signes sont loin loin d’être anodins. Ils sont les marqueurs d’une souffrance psychologique qui, si elle n’est pas prise en charge, peut avoir des conséquences durables sur le développement et l’avenir de ces adolescents.
Les facteurs en cause : un puzzle complexe
Une question se pose : comment en sommes-nous arrivés là ? Qu’est-ce qui a conduit à une telle détérioration de la santé mentale de nos jeunes ? Les réponses sont multiples et complexes. Elles reflétent la nature intriquée de notre société. On ne peut pas tout imputer à l’adddiction numérique même si elle entre pour une part dans les cause de ces mal-être.
C’est quand même l’un des premiers éléments à prendre en compte. L’environnement numérique dans lequel baignent les adolescents d’aujourd’hui à quelque chose avoir avec cela. Nés à l’ère du smartphone et des réseaux sociaux, ces jeunes sont constamment connectés, exposés à un flux ininterrompu d’informations, d’images et de stimuli.
Certes, cette connectivité offre des opportunités sans précédent en termes d’accès à la connaissance et de communication. Mais elle apporte aussi son lot de difficultés. La pression sociale exercée par les réseaux sociaux, la comparaison constante avec les pairs, et l’exposition à des contenus parfois inappropriés ou anxiogènes contribuent à créer un climat de stress permanent.
N’oublions pas aussi que le système éducatif, censé être un pilier du développement personnel et intellectuel des jeunes, semble parfois exacerber ces problèmes plutôt que de les atténuer. L’accent mis sur la performance individuelle, les évaluations régulières et la compétition pour l’accès aux meilleures filières créent un environnement où le stress devient la norme plutôt que l’exception. L’école est de plus en plus vécue comme un lieu de souffrance, où le harcèlement, la rivalité et les violences sont en hausse. ” explique Marie-Rose Moro, pédopsychiatre et membre du comité scientifique de l’UNICEF France.
Ce phénomène a pour effet pervers de fragiliser les mécanismes de soutien collectif entre élèves. Il accentue le sentiment d’isolement ressenti par de nombreux jeunes, tant à l’école que dans la société en général.
À ces facteurs s’ajoutent les effets persistants de la pandémie de COVID-19. Bien que la phase aiguë de la crise sanitaire soit derrière nous en 2024, l’UNICEF explique que ses répercussions sur la santé mentale des adolescents continuraient de se faire sentir. Les périodes de confinement, l’enseignement à distance, et la rupture brutale des liens sociaux ont laissé des traces profondes.
De nombreux jeunes ont rapporté leurs difficultés à renouer avec une vie sociale « normale ». Ils ont du mal à se projeter dans l’avenir. Un avenir angoissant ne serait-ce que par la perspective de la crise climatique, économique et l’incertitude sur ce que sera demain. Ils ne parviennent pas à retrouver un sentiment de sécurité et de stabilité dans un monde qui leur semble de plus en plus imprévisible.
Une onde de choc au sein des familles : quand la détresse des ados ébranle les foyers
L’impact de cette crise de santé mentale ne se limite pas aux adolescents eux-mêmes. Elle se propage au sein des familles, bouleversant les dynamiques familiales. En 2024, la proportion de jeunes ayant déjà eu des pensées suicidaires atteint 23 %, soit quasiment un jeune sur quatre, révèle une enquête de l’Ifop, publiée le 21 novembre dernier. Sur la tranche plus précise des jeunes adultes (18-24 ans) c’est 13 %, contre 3,3 % selon une étude de Santé publique France qui date de 2014.
Concrètement, cela signifie des matinées « chaotiques » où les parents luttent pour motiver leur enfant à se rendre à l’école. Les repas familiaux sont tendus, et une atmosphère générale d’inquiétude qui imprègne le foyer. Les parents se retrouvent souvent démunis, oscillant entre le désir d’aider leur enfant et la crainte de mal faire. Cette situation crée un stress supplémentaire pour les adultes, qui doivent jongler entre leurs propres responsabilités professionnelles et personnelles, et le besoin accru de soutien et d’attention de leur adolescent en difficulté.
De plus, la détresse psychologique des jeunes peut avoir un effet domino sur les autres membres de la famille. Les frères et sœurs peuvent se sentir négligés ou développer eux-mêmes des symptômes d’anxiété par mimétisme ou en réaction au stress ambiant. Les relations de couple des parents peuvent également être mises à rude épreuve, chacun réagissant différemment à la situation et pouvant avoir des opinions divergentes sur la meilleure façon d’aider leur enfant.
Le spectre du suicide : une réalité qu’il faut regarder
Parmi les données révélées par les études récentes, celles concernant les idées suicidaires chez les adolescents sont particulièrement inquiétantes. L’étude de l’UNICEF France publiée en 2024 révèle qu‘une fille sur quatre au collège déclare avoir déjà eu « envie de mourir« . Ce chiffre, d’une brutalité sans appel, nous montrel’urgence absolue d’agir pour soutenir la santé mentale des jeunes, en particulier des adolescentes.
Cette statistique ne peut être ignorée ou minimisée. Elle représente des milliers de jeunes vies en danger, des potentiels brisés avant même d’avoir pu s’épanouir. Le suicide est devenu l’une des principales causes de mortalité chez les adolescents dans de nombreux pays développés, une réalité qui défie notre compréhension et remet en question les fondements mêmes de nos sociétés.
Les raisons qui poussent un jeune à envisager le suicide sont là aussi multiples et complexes. Elles peuvent inclure des facteurs tels que la dépression, l’anxiété chronique, le harcèlement scolaire ou en ligne, des traumatismes non résolus, ou un sentiment profond d’inadéquation et d’isolement. Dans un monde qui valorise souvent l’apparence et la réussite immédiate, de nombreux adolescents se sentent incapables de répondre aux attentes. Des attentes qui peuvent venir de leur famille, de leurs pairs, ou de la société en général. Ils sont aussi nombreux à comparer leur image sur les réseaux sociaux face à des modèles inatteignables.
La prévention du suicide chez les jeunes nécessite une approche multidimensionnelle. Elle implique non seulement le système de santé, mais aussi l’éducation, les médias, et la société dans son ensemble. Je pense qu’il existe un véritable tabou qui entoure la santé mentale et le suicide. Il nous faut nous mobliser et encourager les jeunes à parler de leurs difficultés. Les adultes qui les entourent devraient être formés à reconnaître les signes de détresse et à y répondre de manière appropriée.
Les travailleurs sociaux sont un maillon indispensable dans la chaîne de prévention.
Face à cette détérioration alarmante qui ne peut que nous inquiétéer, les travailleurs sociaux restent des acteurs essentiels dans la lutte contre cette crise silencieuse. Leur rôle, trop souvent méconnu, s’avère pourtant déterminant pour apporter un soutien global et personnalisé aux jeunes en difficulté.
Je pense plus particulièrement aux assistantes sociales scolaires. Elles se trouvent en première ligne pour détecter et prévenir les problèmes de santé mentale chez les jeunes. Leur présence au sein des établissements scolaires est loin d’être acquis. On leur préfère les infirmières. Pourtant loin de médicaliser les symptômes des jeunes, elles sont celles qui sont au plus près des réalités quotidiennes des adolescents et de leurs familles.
Elles jouent un rôle central dans la prévention. Ainsi par exemple, elles peuvent organiser des actions de sensibilisation collectives sur des thématiques variées telles que les violences, le harcèlement, les addictions aux écrans ou encore les relations filles/garçons.
Le bureau de l’assistante sociale constitue un espace privilégié où tous les sujets peuvent être abordés : sexualité, relations amicales, précarité, conflits avec les parents, envies suicidaires, et rêves d’enfants. Cette professionnelle de l’écoute aide le jeune à identifier ses émotions et ses besoins, participant ainsi à préserver sa dignité et à le reconnaître comme individu à part entière.
Un rôle de médiation et de coordination
Au Québec dans l’Ontario, il y a des travailleurs sociaux judiciaires spécialisés auprès des jeunes ayant des troubles de santé mentale. Ils interviennent dans le cadre de la médiation entre les différents acteurs impliqués dans la prise en charge des adolescents en difficulté. Ils établissent des liens efficaces entre les jeunes, le tribunal pour adolescents et les ressources du milieu de vie du jeune dans les secteurs de la santé mentale pour la jeunesse. Cette coordination permet d’élaborer des plans de services répondant aux besoins spécifiques de chaque jeune].
Faut il rappeler aussi que des travailleurs sociaux sont formés à l’approche systémique ? Ces professionnel(le)s sont capables d’analyser ce qui dysfonctionne dans l’environnement du jeune et de repérer les leviers d’action possibles. Ils accompagnent non seulement l’adolescent, mais aussi ses parents dans la compréhension des enjeux de leur situation. Ils contribuent ainsi à préserver la sécurité affective du jeune et ses relations familiales.
Un manque de moyens évident
Malgré leur rôle essentiel, les travailleurs sociaux sont confrontés à plusieurs défis. Le manque de moyens et d’effectifs les contraint souvent à n’intervenir que dans l’urgence, au détriment d’un travail de prévention plus approfondi.
Le Conseil National de la Protection de l’Enfance appelle à la mise en œuvre d’un plan Marshall face aux 30.000 postes de travailleurs sociaux vacants, soulignant la nécessité d’un effort financier massif et durable. Il n’empêche, faire appel à l’expertise des travailleurs sociaux spécialisé dans l’accompagnement des adolescents est une évidence. Les éducateurs connaissent bien leurs réalités.
Pour répondre efficacement à la crise de santé mentale des jeunes, il est essentiel de renforcer la place des travailleurs sociaux dans une approche intégrée. Une approche qui implique tous les acteurs concernés. Cela passe par une meilleure coordination entre les secteurs social, sanitaire et éducatif, ainsi que par une formation continue des professionnels aux enjeux spécifiques de la santé mentale des adolescents.
Les travailleurs sociaux occupent une position stratégique dans la lutte contre la crise silencieuse de la santé mentale des jeunes. Leur expertise, leur capacité d’écoute et leur approche globale en font des acteurs incontournables. Ils sont capables d’apporter des réponses adaptées aux besoins des adolescents en souffrance. Renforcer leur rôle et leurs moyens d’action est une nécessité urgente pour construire une société plus attentive au bien-être psychologique de sa jeunesse.
Le rôle des parents : entre vigilance et bienveillance
Toujours dans ce contexte de crise, il serait incorrect de ne pas aborder le rôle des parents. Ils sont en première ligne pour détecter les signes de détresse chez leurs adolescents et pour leur apporter le soutien dont ils ont besoin. Cependant, de nombreux parents se sentent complètement démunis face à la complexité des enjeux de santé psychologique de leurs enfants.
Pour répondre à ce besoin, il existe des programmes de formation et de soutien aux parents. Ces initiatives visent à donner aux adultes les clés pour comprendre ce à quoi font face leurs adolescents. Cela leur apporte des pistes pour communiquer efficacement avec eux sur des sujets sensibles, et pour savoir quand et comment chercher de l’aide professionnelle.
L’un des messages clés de ces programmes est l’importance de créer un environnement familial ouvert et bienveillant. Cela peut permettr aux adolescents de se sentir en sécurité pour exprimer leurs émotions et leurs préoccupations. Cela implique souvent pour les parents de remettre en question leurs propres attitudes et croyances sur la santé mentale, et d’apprendre à écouter sans juger. Ce qui n’est pas une mince affaire.
Les parents sont également encouragés à être attentifs à leur propre bien-être mental. En prenant soin d’eux-mêmes, ils sont mieux équipés pour soutenir leurs enfants et servent de modèles positifs en matière de gestion du stress et des émotions.
Vers une société plus consciente et active
La crise de santé mentale que traversent nos adolescents est un signal d’alarme pour l’ensemble de la société. Elle nous oblige à remettre en question nos priorités, nos modes de vie, et la manière dont nous préparons les jeunes générations à affronter un monde en constante mutation..
En conclusion, la santé mentale de nos adolescents n’est pas un problème isolé. elle est le reflet d’une société en crise et en perte de sens. Les chiffres alarmants que nous observons doivent vraiment nous mobiliser quelle que soit la place que nous occupons. Ces jeunes sont les adultes de demain. Ne l’oublions pas.
Sources :
- Quelle est la situation actuelle du bien-être mental des jeunes en France ? | Étude Mentalo
- Dépression, idées suicidaires : l’inquiétante dégradation de la santé mentale des jeunes | L’Express
- Détresse psychologique des jeunes en France : il faut les aider | UNICEF
- Santé mentale des adolescents : se dégrade selon nouvelle étude | Mutualistes
- La santé sociale des jeunes : un enjeu majeur | Café Pédagogique
- Objectifs de service MSESC : Services de justice pour la jeunesse | Ontario
sans oublier…
photo : bruce mars pexels.com