Les dimensions cachées de la pauvreté : tout est lié, rien n’est figé.

[current_page_url]

Vous connaissez sans doute les 3 dimensions de la pauvreté initialement définies par le sociologue Serge Paugam et son équipe de recherche. ( pauvreté intégrée, de marginalité, et celle issue d’un processus de disqualification). Une autre étude publiée en octobre 2019 présente d’autres aspects non contradictoires qui complètent cette analyse.

Il s’agit d’une recherche participative internationale sur les dimensions cachées de la pauvreté, a été menée par ATD Quart Monde et l’Université d’Oxford dans six pays. C’est le fruit d’un travail de plusieurs années entre des personnes en situation de pauvreté, des professionnels et des universitaires au Bangladesh, en Bolivie, en France, en Tanzanie, au Royaume-Uni et aux États-Unis, selon la méthode du Croisement des Savoirs et des pratiques.

Tout est lié, rien n’est figé

La pauvreté est bien plus qu’un simple manque d’argent. D’emblée, ce travail éclaire ce que les indicateurs habituels peinent à mesurer : la dépossession du pouvoir d’agir. Être pauvre, c’est d’abord vivre dans une dépendance souvent humiliée, obligée, contrainte par des choix impossibles et des décisions prises par d’autres. Cette absence de maîtrise sur son propre destin engendre une souffrance diffuse, tapie dans le corps, l’esprit et le cœur. Les personnes l’expriment comme une anxiété permanente, une douleur qui mine l’estime de soi, une fatigue qui accélère l’usure physique, l’exclusion qui accroit la honte. Les travailleurs sociaux ont à prendre en compte cette dimension en priorité. C’est une évidence.

Mais la pauvreté, c’est aussi une lutte quotidienne, une bataille invisible contre les entraves du réel. Loin de la passivité dont on les accuse, les personnes font preuve d’une inventivité extraordinaire. Elles partagent, s’entraident, reconstruisent sans cesse à partir de presque rien. Elles  se battent pour offrir à leurs proches de meilleures perspectives. Pourtant, cette résistance n’efface pas le sentiment d’être maintenu à l’écart, de devoir composer avec un environnement parfois hostile, où le moindre faux pas se paie cher.

Il nous faut avoir en tête que la violence sociale et institutionnelle traverse les existences : le rapport évoque des administrations jugeantes, des services qui enferment plus qu’ils ne libèrent. Ce sont fréquemment le fait d’institutions qui appliquent des règles inadaptées. Dans la rue ou l’école, le regard des autres peut transformer la pauvreté en stigmate.

Trop souvent, la société ne voit pas la richesse et la créativité des personnes pauvres : leur savoir, leur expérience – qu’il s’agisse d’organiser la solidarité, de savoir cultiver même un petit lopin de terre ou de recycler, de créer de la valeur, de prendre soin de leur environnement ou de leur communauté – sont ignorés, invisibilisés.

Cette complexité s’étend aux atteintes matérielles et sociales : travail précaire, revenu insuffisant, privations multiples. Retenons que la pauvreté, c’est ne pas pouvoir répondre aux besoins de ses enfants. C’est devoir choisir entre se nourrir ou se loger ou encore être exclu de certaines pratiques sociales.  L’accès aux soins n’est pas évident, même en France, car nombreux sont celles et ceux qui contrairement à ce que l’on pense, n’ont pas de mutuelle.

L’expérience de la pauvreté est aussi aggravée ou atténuée par cinq éléments « modificateurs »

  • l’identité sociale (avec ses discriminations cumulatives, selon le genre, l’origine ou le handicap),
  • le temps et la durée (cette pauvreté qui s’installe, qui se répète, qui enferme dans le déterminisme social),
  • le lieu de vie (zones urbaines ou rurales où les services font défaut, où la réputation du territoire marginalise),
  • l’environnement et la politique environnementale (pollution, catastrophes naturelles, changements climatiques tels les incendies ou les inondations qui frappent plus durement les plus précaires),
  • les croyances culturelles, qui participent à façonner le regard porté sur les pauvres – entre pitié, idées reçues, rejet et j’en passe.

 

Ce rapport international, né du croisement des vécus et des savoirs, nous offre une approche profondément renouvelée de la définition même de ce qu’est être pauvre aujourd’hui. Il nous engage à regarder autrement l’expérience singulière et collective des personnes qui sont dans une telle situation. Elle appelle à une reconnaissance de leur pouvoir d’agir, à une valorisation de leurs compétences, et surtout à une transformation des pratiques, pour que notre action se construise dans la dignité, le respect et la solidarité.

Derrière les chiffres, la pauvreté découvre des visages, des voix et des histoires, qu’il nous revient d’écouter et d’accueillir avec responsabilité et humilité.

Les  dimensions de la pauvreté

dimensions cachees de la pauvrete
Graphique sur les dimensions de la pauvreté, développé par ATD Quart Monde et l’Université d’Oxford en janvier 2019

Si l’on respecte cette logique, on ne peut continuer à intervenir sur une seule dimension de la pauvreté (par exemple l’accès au droit tel le logement) sans tenir compte des autres dimensions. Or aujourd’hui les politiques publiques sont très sectorielles et ne relient pas entre elles les différents aspects tels qu’ils sont définis dans cette étude. Le travailleur social, tentera lui d’en tenir compte ce qui sera, s’il le fait une approche bien plus efficace et pertinente que ce qui se pratique aujourd’hui

Télécharger ce rapport : Les dimensions cachées de la pauvreté. Recherche participative internationale

 


photo : Pixabay lannyboy89

 

Texte intégralement reformulé depuis une première rédaction le 12 aout 2021

Articles liés :

Une réponse

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.