Didier Dubasque
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Le travail social face à la crise sanitaire (1) : un rapport du Haut Conseil du Travail Social essentiel à diffuser

Le Haut conseil du travail social (HCTS) a rendu son avis relatif à l’impact de la crise sanitaire de la COVID-19 sur les organisations et les pratiques professionnelles des travailleurs sociaux. Il avait été saisi par six ministres en octobre 2020. Ce rapport vient d’être mis en ligne sur le site du HCTS

Marie-Paule COLS, ancienne vice-présidente du HCTS (elle siège actuellement en qualité de personnalité qualifiée)  a coordonné ce rapport et pour tout dire, en a rédigé la majeure partie. Elle s’est pour cela  appuyé sur l’audition de nombreux acteurs du travail social (associations professionnelles de travailleurs sociaux, organisations syndicales, employeurs, grandes associations de solidarité, organismes de formation, personnes accompagnées, ministères, élus locaux, universitaires), mais aussi sur les travaux des comités locaux du travail social, sur les groupes de travail thématiques et les conclusions de la commission éthique et déontologie du haut conseil. Le tableau qui suit présente les acteurs qui ont été auditionnés. Ce travail a été aussi rendu possible grâce à l’engagement de l’ANSA l’Agence Nouvelle des Solidarités Actives qui a largement participé aux auditions et à la synthèse de ce qui en a été retenu.

HCTS groupes auditionnes

Outre les auditions, il a aussi été recueilli des contributions écrites, (Comités locaux du travail social, ANAS… ). Il propose là une vision assez complète sur ce qui s’est passé pour les services sociaux et éducatifs mais aussi pour la population la plus en difficulté, celle qui finalement s’est trouvée « hors champ » des décisions prises par les autorités. Il est à noter aussi un travail de recension d’articles et d’écrits conduit par le bureau des professions sociale de la DGCS, la Direction Générale de la Cohésion Sociale. Ce travail a permis d’intégrer dans le rapport une vision internationale des pratiques de travail social.

Ce rapport très documenté avec de multiples exemples se présente en 2 grandes parties. La première est un rapport général  qui concerne l’ensemble des acteurs du travail social alors que la seconde propose de se pencher sur ce qui s’est passé au regard des différentes politiques publiques. En effet, 6 ministres l’ayant commandité, il est apparu nécessaire au groupe de travail de présenter à chacun les éléments que le concerne directement.

Il est difficile,  de résumer ce qui ressort spécifiquement du rapport tant les champs d’investigations sont nombreux.  Mais voici quelques éléments relevant des constats qui me paraissent importants.

  • Les témoignages des acteurs sociaux convergent pour indiquer que la première urgence à laquelle ils ont dû faire face fut l’urgence alimentaire
  • Les ruptures de scolarité ont provoqué des décrochages scolaires
  • L’alerte donnée par les médecins psychiatres, les psychologues et les travailleurs sociaux a concerné l’impact psychologique du confinement sur la population.
  • Les établissements assurant l’hébergement d’enfants ou d’adultes n’ayant pas de famille ou de domiciliation ont continué à les accueillir, mais la plupart des autres établissements, en particulier dans le champ du médico-social, thérapeutique ou éducatif, ont fermé leur accueil.

Des effets positifs mais aussi d’autres indésirables

Le rapport constate certains aspects positifs relevés au cours de cette crise

  • Une simplification des circuits de décisions et moins de contraintes bureaucratiques
  • Un apaisement des tensions notamment du côté des enfants
  • Une plus grande marge d’initiative laissée aux professionnels recentrés sur leurs cœurs de métier

Mais il y a eu aussi des effets indésirables, voire parfois négatifs

  • la fermeture d’établissements ont mis en grande difficulté les aidants familiaux
  • certaines personnes accompagnées se sont senties « abandonnée » et peu prises en considération

une partie du rapport s’intéresse aux acteurs publics du pilotage qui ont été mis au défi de la coopération. Très clairement les décisions ont été « descendantes » mais là où les collaborations préexistaient, les échanges ont été plus fluides et négociés.

Par contre, chacun étant préoccupé par son champ de compétence prioritaire, certains ont travaillés isolés des autres en ayant le sentiment qu’ils étaient les seuls à agir. « La tendance penche plutôt vers le constat d’un pilotage qui a révélé de forts cloisonnements, des consignes floues, parfois contradictoires entre ARS et Conseils Départementaux, notamment en raison de clivages entre logiques sanitaires et logiques sociales ou médico-sociales ». Des exemples sont donnés sur des directives contradictoires reçues des instances nationales et régionales.

L’articulation entre le sanitaire et le social n’a pas fonctionné correctement. Finalement « entre cadrage » et flottement, les organisations de travail se sont tant bien que mal adapté à la situation qui, rappelons-le, était tout à fait nouvelle.

Ce rapport se penche aussi en détail sur les contributions des travailleurs sociaux en soulignant leur réactivité et capacité d’intervention avec les mouvements associatifs et citoyens.  Même si La coopération entre les travailleurs sociaux et les bénévoles n’est pas un fait récent, ce travail a été amplifié par la crise, car il fallait bien trouver des solutions concrètes pour aider les plus exclus.

« Des pratiques professionnelles percutées »

Il a fallu renouer avec le cœur de métier dans une logique du « prendre soin ». « La mise à distance obligée par le principe du confinement a engendré de l’inquiétude chez beaucoup d’intervenants sociaux ». Il  est listé une série d’initiatives prises par les travailleurs sociaux. Or ce qui ressort en premier, c’est le sentiment d’avoir retrouvé le sens du métier et la raison d’être de l’engagement professionnel

« Si l’État n’évalue le travail social qu’au travers des remontées statistiques, ça ne lui permet pas d’évaluer la performance du travail social et ça décale les travailleurs sociaux de l’objet même de leur travail. Il faut revenir à l’essentiel. Les travailleurs sociaux ont retrouvé la qualité de la relation… » a précisé dans ce rapport le représentant de l’ANDASS qui a été auditionné.

Une petite histoire de clés

L’une des conditions de la simplification de l’écosystème bureaucratique est la confiance précise le rapport. La confiance a été un élément déterminant à l’exemple de ce que nous a dit Ferdinand une personne accompagnée auditionnée :  « Dans le CHRS où je vis, chacun a sa chambre, et quand on sort, on doit laisser la clé à l’agent d’accueil, on n’a pas le droit de sortir en emportant sa clé. Mais quand le COVID est arrivé, il ne fallait plus que l’agent d’accueil touche nos clés, alors on nous a demandé de la garder … et depuis chacun sort et garde sa clé ! aucune clé n’a été perdue ! » Pourquoi ne pas continuer ainsi ?

Un fait majeur nouveau aura été l’accompagnement à distance. Même si « on n’éduque pas à distance », la distance physique n’a pas supprimé la proximité relationnelle. Des accompagnements sociaux ont pu être maintenus malgré certaines impossibilités de rencontres physiques. Certes, le travail à distance ne peut pas tout et ne retire pas la nécessité de se rencontrer physiquement, mais la pratique a permis d’identifier l’intérêt et les limites d’une telle pratique

la crise les outils numériques et de multiples aspects abordés

Il est aussi indiqué que la crise a été un accélérateur de l’usage des outils numériques. Ici aussi, on a pu entendre des témoignages de situations très hétérogènes. Certains services, institutions, collectivités avaient déjà engagé de longue date des plans d’équipement et de formation des travailleurs sociaux, d’autres en revanche se sont trouvés face à leur manque d’anticipation. En tout cas les travailleurs sociaux ne sont pas « en retard sur ce sujet » comme certains ont tendance à le faire croire. Ils s’interroge aussi sur la dépendance que ces outils provoquent notamment sur l’accès aux droits.

Beaucoup d’autres aspects sont abordés dans ce rapport. Parmi eux retenons :

  • L’« aller vers » : ce mode d’intervention a été conforté et renforcé
  • Les encadrements intermédiaires ont été des maillons essentiels
  • Les principes éthiques de précaution et de réalité, ont permis de d’intervenir avec responsabilité

Le temps des émotions et de la réflexion, mais aussi de la blessure due à un manque de reconnaissance

Il faut aussi le reconnaitre, la perception de « confusion et de malaise » a été  exprimée par un grand nombre de travailleurs sociaux à propos des modalités de travail qui ont été fluctuantes et percutées  au fil des consignes. Il y a eu aussi un fort sentiment de malaise ressenti face aux inégalités accrues et face à une certaine impuissance liée à la distance.

Mais cette période a aussi été perçue comme intéressante et porteuse d’espoir, notamment en raison du sentiment d’utilité ressenti dans le caractère indispensable de la mission concrétisé par une nouvelle qualité dans la relation aux personnes, la satisfaction d’avoir pu être réactif et créatif.

Le temps de la réflexion pendant l’action est abordé à travers un témoignage :  celui d’un cadre d’ESAT (Établissement et service d’aide par le travail), à propos du travail conduit pendant et après le confinement : beaucoup « ont pris conscience de l’importance du lien social. Ils sont plus heureux de venir au travail et ont apprécié le soutien de l’équipe » précise-t-il du côté des aspects positifs.

Mais que dire du manque de reconnaissance du travail engagé sur le terrain ?

Il y a eu, précise le rapport, à déplorer un réel manque de reconnaissance du travail engagé : « l’absence de parole publique sur leur présence [des travailleurs sociaux] sur le terrain et l’oubli de leur action au quotidien pendant le confinement ont été perçus comme un manque de reconnaissance et une blessure par tous les acteurs qui ont su s’adapter et rester engagés auprès des plus fragiles, malgré les conditions très incertaines du début du confinement ».

Une valorisation et une reconnaissance du travail social sont toujours attendues. Ce message en direction des ministres sera-t-il un jour entendu ? Restera-t-il un vœu pieux ? En tout cas ce rapport se termine par une série de propositions que je me proposerai de décliner dans un futur article. En effet la richesse de ce rapport auquel j’ai eu l’honneur de participer mérite que l’on y revienne.

Il me parait essentiel aussi que les travailleurs sociaux et toutes les personnes concernées par l’action sociale et la solidarité nationale  prennent connaissance de ce rapport. Ils pourront y puiser des éléments qui leur permette de comprendre mais aussi de valoriser ce travail « dans l’ombre » qui a été méconnu et sous estimé. Notons aussi que ce rapport se lit facilement sans formules « alambiquées », ce qui en fait aussi l’attrait.

 

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Note : Ayant participé au groupe de travail sur ce rapport, je ne peux prétendre à l’impartialité. Mais je peux témoigner de l’énorme travail qu’il a représenté au regard des délais très courts qui avaient été donnés. (la saisine datant du 6 octobre 2020)

 

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