Nancy a accueilli pendant deux jours les Journées nationales du travail social, organisées par la Fédération des acteurs de la solidarité (photo). Cet événement a été l’occasion de dévoiler un document qui ne peut que vous intéresser : le Manifeste du travail social. Ce texte, fruit d’une réflexion collective, pose un regard lucide sur l’état actuel du travail social en France et trace des perspectives pour ce secteur essentiel.
Un constat sans concession
Le Manifeste s’ouvre sur un constat sans appel : le travail social, malgré son rôle dans la société, traverse une période très difficile. Il est pointé du doigt plusieurs problématiques qui entravent le sens même du travail. Parmi celles-ci, on trouve la bureaucratisation croissante, l’hyperspécialisation par dispositifs qui fragmente l’accompagnement, la complexité des financements qui alourdit la gestion, les dysfonctionnements des politiques publiques qui impactent directement le terrain, la non-reconnaissance de l’expertise des travailleurs sociaux, la perte de sens ressentie par de nombreux professionnels, et l’invisibilisation des métiers de l’humain.
Le document souligne que ces difficultés ont des conséquences directes sur la qualité de l’accompagnement proposé aux personnes en situation de précarité. Il met en lumière le glissement progressif des représentations du travail social vers l’image d’un professionnel qui ne viendrait que pour administrer des parcours, ce qui est incomplet et incorrect. Le Manifeste rappelle que le travail social va bien au-delà, cherchant à créer du vivre ensemble et à travailler sur une micro-société pour une plus grande société.
Des propositions concrètes pour l’avenir
Face à ce constat, le Manifeste ne se contente pas de déplorer la situation. Il formule des propositions concrètes pour redonner sens et reconnaissance au travail social. L’une des premières propositions est de repenser les organisations pour les rendre plus attractives, notamment en impliquant davantage les salariés dans les processus décisionnels. Cette approche vise à réinvestir le travail pour celles et ceux qui le font, en associant les professionnels à la définition des objectifs et à la coconstruction des décisions.
Une autre proposition majeure concerne le financement du secteur. Le Manifeste appelle à sortir d’un financement court-termiste basé sur les appels à projets, pour privilégier des financements pérennes permettant une vision à long terme. Cette approche vise à renforcer la stabilité des organisations d’un point de vue économique et à freiner le recours au « stop & go », permettant ainsi aux structures de s’engager plus durablement dans leurs actions. Évidemment ce ne sont pas les travailleurs sociaux ni les directions de leurs services qui décident des formes de financement, mais les collectivités territoriales peuvent s’engager dans de nouvelles pratiques sur ce sujet.
Un appel à la reconnaissance sociétale
Le Manifeste insiste sur l’importance essentielle du travail social pour la cohésion de notre société. Il rappelle que sans les travailleurs sociaux, de nombreuses situations humaines dramatiques resteraient sans réponse. Le document pose des questions rhétoriques qui visent à souligner l’importance de nos métiers : qui pour soutenir les mineurs non accompagnés ? Qui pour écouter et accompagner les femmes victimes de violences ? Qui pour aider les personnes en grande précarité dans leurs démarches administratives ? Qui pour maintenir le lien social avec les personnes isolées ?
Ces interrogations donnent à voir la diversité et la complexité des missions assumées par les travailleurs sociaux. Elles soulignent également l’indispensable rôle de ces professionnels dans la construction d’une société plus juste et solidaire. Le Manifeste appelle ainsi à une prise de conscience collective de la valeur du travail social et de son rôle fondamental dans notre tissu social. Notons aussi que ces journées ont eu aussi un effet de redynamisation des professionnel(le)s heureux (ses) de se retrouver réuni(e)s pendant ces deux journées.
Des expériences inspirantes
Le Manifeste ne se contente pas de dresser un tableau théorique. Il s’appuie sur des expériences concrètes menées sur le terrain, qui montrent la voie vers une forme de renouveau du travail social. Parmi ces initiatives, on peut citer le dispositif Pro’Pause à Lille, qui propose un accompagnement social global aux personnes sans domicile à travers des maraudes, un bureau mobile et un lieu de répit.
Chaque expérience présentée est accompagnée d’un contact. Il vous permet le cas échéant d’interpeler les initiateurs et initiatrices de ces projets afin qu’ils puissent vous inspirer dans vos projets.
Une autre expérience inspirante est l’expérimentation d’une gouvernance partagée au sein des établissements d’hébergement de la Fondation de l’Armée du Salut. Cette approche vise à impliquer davantage les salariés dans les prises de décision, notamment à travers la mise en place de cercles de parole et d’écoute. Ces espaces permettent aux salariés de dialoguer, d’écouter l’autre et de partager des difficultés rencontrées au travail, enrichissant ainsi la qualité relationnelle entre les équipes et avec la direction.
Autre initiative, le programme Coach Emploi, déployé dans plusieurs territoires, est également mis en avant comme une initiative prometteuse. Ce programme repense l’accompagnement vers l’emploi des personnes en situation de précarité, en s’inspirant de la méthode IPS (Individual Placement & Support) qui met l’accent sur le principe de « placer puis former » plutôt que sur les prérequis ou les freins à l’accès à l’emploi. Cette approche est mise en avant par plusieurs associations : Trajet (Nantes), LAHSO (Lyon) et La Sauvegarde du Nord (Lille).
Des témoignages de travailleurs sociaux avec des constats assez accablants
« Ton injonction institutionnelle, c’est d’être derrière ton ordi à faire des démarches numériques, et ne pas être à côté, dans la salle, avec les personnes. Et en même temps, qui va la remplir, cette demande SIAO ? Au lieu de faire du collectif, du quotidien, tu fais de l’administratif. Et pourtant t’es venue au travail social pour le lien avec les personnes. » explique une éducatrice spécialisée
Un autre travailleur social va dans le même sens : « Leur objectif, c’est de quantifier. Le travailleur social est le maillon entre tous les autres services, il bouche les trous, répond à la demande, l’urgence, fait le lien, et à la fin de journée, il n’a rien à présenter dans ce qui lui est demandé de rapporter. »
Avec cette question qui interpelle : « Comment on rend compte de la main qu’on tient de celui qui est en train de mourir ? »
Un appel à l’action
L’action, ce fut hier aussi avec la mobilisation des 400.000 pour la protection des enfants en danger en France. Des manifestations ont eu lieu dans tous les départements. Les revendications du collectif, dont l’Uniopss est partie prenante, s’articulaient autour de quatre urgences :
- Mettre fin aux “listes d’attente”
- Réinvestir dans le soutien aux familles en difficulté
- Reconnaître et remédier au déclassement des travailleurs sociaux
- Assurer un accompagnement des jeunes majeurs sortants de l’aide sociale à l’enfance
Bien évidemment, tous les enfants doivent être protégés. Les professionnels et les associations qui les accompagnent méritent d’être mieux reconnu.
Comme pour les journées de Nancy qui viennent de s’écouler, cette manifestation a aussi été un appel à l’action. Il invite l’ensemble des acteurs du secteur – professionnels, institutions, pouvoirs publics et société civile – à se mobiliser pour redonner au travail social la place et les moyens qu’il mérite. Il ne faut pas baisser a garde ni se décourager.
Le manifeste, présenté lors des Journées nationales du travail social, n’est pas suffisant à lui seul pour remobilliser notre secteur plutôt « démoralisé ». Mais il a le grand avantage de poser les bases d’une réflexion collective en montrant tout ce que les travailleurs sociaux peuvent faire à la condition qu’il leur soit donné des moyens. En tout cas, ils sont prêts à des changements concrets dans leurs pratiques si les politiques publiques prennent la mesure des actions à engager.
Il reste maintenant à transformer ces propositions. Nous ne pouvons plus attendre que les pouvoirs publics se mobilisent pour que les choses changent vraiment. Les prochains mois seront sans doute déterminants pour voir comment ce manifeste sera reçu et mis en œuvre par les différents acteurs du secteur. Outil de com vite oublié ou document qui pourra vous permettre d’aller plus loin ? à vous aussi d’en décider.
Photos de Manif : UNIOPSS compte LinkedIn compte de son président Daniel Goldberg
Photo en Une : Fédération des Acteurs de la Solidarité
Photo du congrès dans le texte : Audrey Gueniche