On ne le sait pas forcément, mais le monde associatif français connaît actuellement une évolution significative. Elle reflète les changements sociétaux et les aspirations d’une nouvelle génération de personnes engagées. Une enquête menée par l’IFOP pour Recherches & Solidarités (R&S) en janvier 2023 nous apporte un éclairage sur ces transformations, tout en soulevant des questions importantes sur l’avenir de l’engagement citoyen dans notre pays. Il faut savoir qu’aujourd’hui 19 millions de personnes, soit 36 % de la population des 15 ans et plus « donnent du temps gratuitement pour les autres ou pour contribuer à une cause » selon le baromètre du bénévolat de, de France Bénévolat. Ce sont des chiffres supérieurs à ceux établis par l’enquête de l’IFOP.
Un rebond encourageant post-crise sanitaire
L’année 2023 avait marqué un tournant positif pour le monde associatif. Selon l’IFOP, il a été observé cette année là une hausse de trois points du bénévolat par rapport à 2022, se rapprochant ainsi du niveau pré-pandémique de 24% en 2019. Cette reprise est d’autant plus remarquable qu’elle montre une forme de résilience de l’esprit d’engagement face aux bouleversements sociaux récents.
La parité dans l’engagement bénévole est également une nouvelle encourageante. Alors que la crise sanitaire avait particulièrement affecté la participation des femmes, 2023 voit un retour à l’équilibre, avec un taux d’engagement identique de 23% pour les hommes et les femmes. Cette évolution souligne la capacité de notre société à surmonter les inégalités de genre et à maintenir un engagement citoyen soutenu.
Le rajeunissement du bénévolat : une tendance porteuse d’espoir
J’entends de nombreux responsables associatifs, souvent âgés, qui se plaignent d’un manque d’engagement des jeunes. Ils se trompent : L’un des aspects les plus frappants de cette enquête est l’engagement croissant des jeunes générations. Les moins de 35 ans affichent un taux de participation de 25% en 2023, contre 22% en 2019. Cette tendance est porteuse d’espoir pour l’avenir du bénévolat, car elle indique une prise de conscience et un désir d’action chez les jeunes. Pour autant leurs formes d’engagement sont différentes. Certains par exemple s’engagent pour le climat alors que cette cause semble moins portée par les « baby-boomers », c’est à dire les personnes de plus de 50 ans.
Ces engagements s’inscrivent dans un contexte plus large de quête de sens et d’impact social chez les nouvelles générations. Les jeunes bénévoles cherchent généralement à allier leurs compétences professionnelles à leur engagement associatif, créant ainsi une synergie entre leur vie personnelle et leur contribution à la société. Certains n’hésitent plus à changer de métier pour y trouver du sens. On peut supposer que la perte d’attractivité des métiers de l’aide tels ceux du travail social est un des conséquence de la perte de sens de ces métiers.
L’évolution de l’engagement des seniors
Paradoxalement, alors que les jeunes s’engagent davantage, on observe un repli continu chez les 65 ans et plus. Leur taux de participation est passé de 31% en 2019 à 25% en 2023. Cette baisse soulève des questions importantes sur les facteurs qui poussent cette tranche d’âge, traditionnellement très engagée, à se désengager.
Il est possible que ce recul soit lié à des changements dans les modes de vie des seniors. Souvent, ils ont déjà donné et sont « fatigués ». Ils font aussi face à des préoccupations de santé accrues depuis la pandémie. Il y aurait aussi un décalage entre les formes d’engagement proposées et les aspirations de cette génération. Cette tendance invite à repenser les modalités d’implication des seniors dans le bénévolat, en tenant compte de leurs expériences et de leurs attentes spécifiques.
Peu de bénévoles souhaitent intégrer les instances dirigeantes des associations tels les conseils d’administration, les bureaux avec les fonctions institutionnelles. Là se trouve une grande difficulté. Participer à des instances dirgeantes n’est pas suffisamment perçu comme utile. Cela demande un engagement sur la durée et une constances dans la participation à des réunions alors que la tendance vas plutôt vers de multiples engagements au cas par cas.
Vers un bénévolat plus ponctuel : adaptation nécessaire des associations
En effet, cette enquête révèle une transformation dans la nature même de l’engagement bénévole. La proportion de bénévoles agissant chaque semaine est passée de 10,1% en 2019 à 9,2% en 2023. Cette évolution vers un bénévolat plus ponctuel reflète les changements dans les rythmes de vie et les priorités des Français.
Face à cette tendance, les associations doivent repenser leur fonctionnement et leur gestion des bénévoles. Ce qui est loin d’être évident. Il devient essentiel de proposer des missions flexibles, adaptées aux disponibilités variables des bénévoles, tout en maintenant la cohérence et la continuité des actions menées.
Le management des bénévoles : un sujet délicat à ne pas ignorer
Dans ce contexte d’évolution des formes d’engagement, la question du management – je préfère le terme d’animation des bénévoles – se pose. Elle prend même une grande importance. Les associations doivent développer des stratégies pour attirer, retenir et motiver les personnes qui ont envie de s’engager, mais ont du mal à passer le pas, en tenant compte de leurs aspirations et de leurs contraintes.
L’un des aspects essentiels est de donner du sens à l’engagement des bénévoles. Cela passe par une communication claire sur les objectifs et l’impact des actions menées, mais aussi par une reconnaissance de la contribution de tous les membres actifs de l’association. Celle-ci doit créer un environnement où les bénévoles se sentent valorisés et où leur engagement s’inscrit dans une vision plus large du changement social.
L’importance de la formation et de l’accompagnement
Pour répondre aux attentes des bénévoles, notamment des plus jeunes, il est essentiel de mettre en place des programmes de formation et d’accompagnement. Ces initiatives permettent non seulement de développer leurs compétences, mais aussi de renforcer leur sentiment d’appartenance et leur motivation.
Les associations ne doivent pas s’inspirer des pratiques de gestion des ressources humaines du secteur privé. Elles ne font pas la preuve de leur efficacité en termes de bien-être et de sens. Cela peut inclure des entretiens réguliers, des demandes d’avis au sein de l’association, ou encore des modifications dans la façon de gérer le quotidien.
Que peuvent les travailleurs sociaux pour dynamiser le bénévolat ?
Ils peuvent beaucoup ! Les travailleurs sociaux peuvent avoir un rôle à jouer. L’une des premières actions qu’ils peuvent entreprendre est de valoriser l’engagement bénévole auprès des différents publics qu’ils accompagnent. Certains mettent en place des actions collectives qui posent les prémices favorables à un engagement associatif ultérieur. Il mettent en avant les multiples avantages du bénévolat, tant pour la société que pour les individus eux-mêmes. Ils peuvent susciter des désirs de s’engager pour des causes qui correspondent aux problématiques qui intéressent leurs publics. Cette valorisation passe par la communication sur les bénéfices personnels du bénévolat, tels que le développement de compétences, l’épanouissement personnel et le renforcement du lien social.
Les travailleurs sociaux peuvent également jouer un rôle clé dans la facilitation de l’intégration des bénévoles au sein des structures associatives. En mettant en place des processus d’accueil et d’accompagnement adaptés, ils peuvent aider à créer un environnement propice à l’engagement durable. Cela peut se traduire par la proposition de projets flexibles et diversifiés, correspondant aux aspirations des différents profils de bénévoles, notamment les plus jeunes.
Le développement des compétences des bénévoles est un autre axe sur lequel les travailleurs sociaux peuvent intervenir. En organisant des formations adaptées aux à leurs besoins, ils contribuent à la montée en compétences des personnes engagées. Cette approche permet non seulement de renforcer l’efficacité des actions menées, mais aussi de réassurer les publics qui doutent de leurs compétences alors qu’elles en ont. Ce pratique peut leur apporter des opportunités d’apprentissage et de développement personnel.
L’amélioration de la gouvernance associative est également un levier important sur lequel les travailleurs sociaux peuvent agir. En promouvant des modèles de gouvernance participative et en clarifiant les rôles respectifs des bénévoles et des salariés au sein des structures, ils contribuent à créer un cadre propice à l’engagement et à la prise de responsabilités[4].
Pour autant il ne faut pas s’égarer. Il ne s’agit en aucun cas de pallier au manque de professionnels et instaurer dans les structures associatives des « faisant fonction » non diplômés. Ce serait alors un détournement de la fonction même du bénévolat, à l’image de ce qui se passe pour les allocataires du RSA engagés dans un bénévolat forcé ou sous condition de retrait de la la prestations.
Il s’agit de mettre en œuvre différentes actions, toutes portées par une éthique de consentement éclairé. Les travailleurs sociaux peuvent ainsi contribuer significativement à la dynamisation du bénévolat dans notre pays. Leur expertise et leur position privilégiée au sein des structures sociales en font des acteurs pertinents pour favoriser un engagement citoyen porteur de sens. .
Conclusion : allons-nous vers un nouveau modèle de bénévolat ?
L’évolution du bénévolat en France reflète les mutations profondes de notre société. Si le taux global d’engagement se maintient, les formes et les motivations du bénévolat se transforment. Les associations sont appelées à s’adapter à ces changements, en proposant des modes d’engagement plus flexibles et en accordant une attention particulière au sens et à la valorisation de l’action bénévole.
L’enjeu pour l’avenir sera de concilier l’engagement croissant des jeunes avec le maintien de la participation des seniors. Cela oblige à répondre aux aspirations de chaque génération. C’est en relevant cet enjeu que le bénévolat pourra continuer à jouer son rôle essentiel dans la cohésion sociale et la vitalité de notre démocratie.
Dans ce contexte, le rôle des travailleurs sociaux reste essentiel. En tant que professionnels de l’aide et de l’accompagnement, vous pouvez être un pont entre les associations et les bénévoles potentiels, en identifiant les besoins et les opportunités d’engagement. Votre expertise dans la compréhension des dynamiques sociales et votre capacité à créer du lien font de vous des acteurs efficaces pour favoriser un bénévolat porteur de sens.
L’avenir du bénévolat en France dépendra de notre capacité collective à innover dans les formes d’engagement, à valoriser la diversité des contributions, et à maintenir vivace l’esprit de solidarité qui est au cœur de notre société. C’est une façon de lutter contre l’individualisme et de favoriser les logiques de solidarié et de tolérance. C’est un enjeu passionnant qui nous invite tous, citoyens, associations et professionnels du travail social, à repenser notre rapport à l’engagement et à la citoyenneté active.
Sources :
- Les chiffres clés du bénévolat | Associatheque.fr
- Les nouveaux profils du bénévolat se confirment | Chorum.fr
- Le bénévolat associatif en 2023 | Associations.gouv.fr
- L’engagement bénévole, entre cohésion sociale et vitalité démocratique | Le CESE
- « La France et les Bénévoles en 2023 : Mutations et valorisation du bénévolat » | COREG Centre Val de Loire
- Développer le bénévolat des personnes en situation de handicap | handicap.gouv.fr
- Les Français et le bénévolat en 2023 – Enquête IFOP | francegenerosites.org