Les différents cadres conceptuels de la pratique éthique en travail social

[current_page_url]

La réflexion éthique en travail social se pratique de façon nuancée, car elle fait référence à de plusieurs cadres conceptuels. Ces cadres visent à guider les professionnels dans leur pratique quotidienne, tout en tenant compte des dilemmes auxquels ils peuvent être confrontés. Rencontrant régulièrement des professionnels confrontés à de sérieux dilemmes éthique, il m’est apparu utile d’apporter ces quelques éléments conceptuels qui visent à clarifier les positionnements professionnels. C’est le sens de cet article.

La définition du travail social nous rappelle, que la pratique professionnelle s’appuie sur de multiples savoirs. Elle repose sur « des savoirs universitaires en sciences sociales et humaines, sur les savoirs pratiques et théoriques des professionnels du travail social et les savoirs issus de l’expérience des personnes bénéficiant d’un accompagnement social. Celles-ci étant associées à la construction des réponses à leurs besoins ». C’est dire la richesse liée à la diversité des approches que la pratique du travail social est si intéressantes. Toutes les sciences humaines nous intéressent à priori « en tant que travailleur social », quelle que soit notre profession. C’est bien l’humain qui reste au cœur de nos préoccupations.

L’éthique est le champ de réflexion le plus large qui explore les principes moraux et les valeurs qui sous-tendent la pratique. Contrairement à la déontologie, l’éthique n’est pas toujours codifiée et peut varier selon les contextes culturels, sociaux ou individuels. L’éthique englobe des questions plus complexes et nuancées, elle invite à une réflexion approfondie et à un positionnement professionnel éclairé. Mais il est certain que le cadre déontologique est un outil de la réflexion éthique.

C’est aussi pour cela que la réflexion éthique du travailleur social fait, elle aussi, appel à de multiples approches. J’en vois quatre actuellement, mais il est évident qu’il y en a plus.

1er cadre : la déontologie

C’est souvent le point de départ de la réflexion. Il s’agit d’un ensemble de règles ou de principes qui régissent la conduite des travailleurs sociaux. Ces principes peuvent inclure la confidentialité, l’intégrité, la compétence et le respect de la dignité humaine. Ce cadre n’est formalisé que chez les assistant(e)s de service social et c’est fort regrettable. Le code de déontologie de l’ANAS sert fréquemment de base pour l’évaluation éthique des actions à mener.

Ne confondons pas pour autant éthique et déontologie : En travail social, les termes « déontologie » et « éthique » sont généralement utilisés de manière interchangeable, mais ils renvoient en réalité à deux aspects distincts de la réflexion sur la pratique professionnelle.

La déontologie concerne un ensemble de règles et de principes formels qui régissent la conduite des professionnels. Ces règles sont codifiées dans des documents officiels qui établissent des normes minimales de comportement professionnel. La déontologie est donc prescriptive et normative ; elle dicte ce qui doit être fait ou évité dans des situations spécifiques. Le non-respect de ces règles peut entraîner des sanctions professionnelles. ( On l’a vu pour des policiers ou des médecins notamment)

Il faut considérer trois « codes » de déontologie différents actuellement en vigueur.

Historiquement, il y a d’abord le code de déontologie des assistant(e)s de service social, le code de l’ANAS. Il fixe un cadre solide et peut à mon avis servir de référence pour d’autres métiers comme celui d’éducateur spécialisé ou conseillère en économie sociale, familiale. Si les approches méthodologiques de ces métiers sont différentes, les valeurs de ces professions sont très proches.

Vient ensuite le code de déontologie des assistants maternels, assistants familiaux et accueillants familiaux : Ce code a été élaboré par l’UFNAFAAM (Union Fédérale Nationale des Associations d’Assistants Familiaux et Maternels). Il vise à définir des références communes en termes de compétences, d’engagements et de valeurs pour ces trois professions.

Il y a aussi pour toutes les professions du travail social « les références déontologiques pour les pratiques sociales ». Ce n’est pas un code à proprement parler, mais cela y ressemble beaucoup. Elles ont été élaborées par le CNRDE, le Centre National Ressources Déontologie Éthique pour le pratiques sociales.  C’est un texte visant à fournir des « repères déontologiques communs à tous les travailleurs sociaux », au-delà des codes propres à certaines professions.

2ᵉ cadre : les droits de l’Homme

Ce cadre des droits de l’Homme met l’accent sur la dignité, l’égalité et le respect mutuel entre les individus, indépendamment de leur statut social, de leur origine ethnique ou de leur orientation sexuelle. Ce cadre est particulièrement utile pour aborder des questions complexes comme la discrimination, l’inégalité et l’injustice sociale. Cette approche  est essentielle pour les travailleurs sociaux, dont la mission première est d’accompagner les personnes les plus vulnérables de notre société.

Concrètement, cela se traduit par le respect de principes tels que l’égalité de traitement, le droit à l’autonomie et à l’épanouissement personnel, ou encore la protection contre toute forme de discrimination. En effet, nos interventions doivent viser à permettre aux personnes accompagnées d’exercer pleinement leurs droits, et non à les en priver »
Cette approche éthique basée sur les droits humains implique également de la part des travailleurs sociaux une posture d’empowerment, visant à renforcer le « pouvoir d’agir » des personnes accompagnées. Il ne s’agit pas de se substituer à eux, mais bien de les aider à devenir acteurs de leur propre vie.

Au-delà de la relation d’aide individuelle, cette éthique du travail social ancrée dans les droits humains se traduit aussi par un engagement collectif en faveur du changement social.  Nous avons un rôle à jouer pour dénoncer les injustices et les atteintes aux droits.  Il se trouve que les Droits de l’Homme sont malmenés un peu partout sur la planète. Pire dans notre débat national, certains n’hésitent pas à le disqualifier. Ils accusent celles et ceux qui font référence aux droits de l’homme d’être des « droits de l’hommiste » une façon de dégrader cette vision notamment lors des questions abordant le droit des étrangers et du droit d’asile.

3ᵉ cadre « Le care »

Le care, ou de l’éthique du soin, met l’accent sur les relations interpersonnelles et la responsabilité envers autrui. Il valorise l’empathie, la compassion et le souci du bien-être d’autrui, et il est souvent utilisé dans des contextes où une relation de soin est établie. Cette pensée du care s’accorde bien dans le travail des services éducatifs et sociaux de protection de l’enfance ou dans ceux qui interviennent auprès des personnes âgées. Ce cadre  est fondé sur l’idée que les êtres humains sont interdépendants et que les relations humaines sont au cœur de la pratique du travail social. Le concept d’éthique du « care » met l’accent sur la prise en charge des personnes vulnérables et dépendantes, telles que les enfants, les personnes âgées, les personnes handicapées et les personnes malades. Les travailleurs sociaux qui adoptent ce cadre éthique considèrent que leur rôle principal est de prendre soin des autres, de répondre à leurs besoins et de promouvoir leur bien-être.

Il repose sur plusieurs principes clés. Tout d’abord, la valeur de la relation est centrale dans ce cadre éthique. Les travailleurs sociaux doivent établir des relations de confiance et de respect avec les usagers, en étant attentifs à leurs besoins et à leurs préoccupations. Ensuite, l’attention aux besoins des autres est pris en considération. Les travailleurs sociaux sont sensibles aux besoins physiques, émotionnels et sociaux des clients, et travailler à répondre à ces besoins de manière appropriée.

L’éthique du « care » est souvent associée à une approche féministe de la pratique du travail social. Les femmes ont traditionnellement été responsables de la prise en charge des autres dans la sphère privée, et l’éthique du « care » reconnaît la valeur de ce travail et le rôle important que les femmes ont joué dans la pratique du travail social. Cependant, le « care » ne se limite pas aux femmes ou aux rôles traditionnellement féminins. Tous les travailleurs sociaux peuvent adopter ce cadre éthique, en reconnaissant l’importance des relations humaines et en travaillant à promouvoir le bien-être des personnes accompagnées.

En utilisant le concept d’éthique du « care » dans le champ du travail social, les travailleurs sociaux peuvent aider à promouvoir une approche plus centrée sur la personne et plus attentive aux besoins de chacun. Cette approche peut aider à renforcer la confiance et la collaboration entre les travailleurs sociaux et les clients, et à promouvoir des résultats positifs pour les personnes vulnérables et dépendantes.

4ème cadre : La justice sociale

Ce cadre est fondé sur l’idée que tous les membres de la société ont droit à un traitement équitable et juste, et que les travailleurs sociaux ont un rôle important à jouer pour promouvoir l’équité et la justice pour les personnes et les familles qu’ils servent. Il comprend plusieurs éléments constitutifs. Tout d’abord, l’équité distributive exige que les ressources et les avantages sociaux soient répartis de manière équitable entre les membres de la société. Les travailleurs sociaux doivent veiller à ce que les usagers aient accès aux ressources dont ils ont besoin pour satisfaire leurs besoins fondamentaux, tels que la nourriture, le logement et les soins de santé, l’éducation.

Vient ensuite, l’équité procédurale. Elle demande  que les décisions soient prises de manière juste et équitable, en suivant des procédures transparentes et impartiales. Les travailleurs sociaux doivent s’assurer que les personnes aidées sont impliquées dans les décisions qui les concernent, et qu’elles ont accès à des procédures d’appel et de révision.

L’équité interactionnelle est un autre élément important du cadre de la justice dans le champ du travail social. Les travailleurs sociaux doivent traiter les clients avec empathie et et évitent bien évidemment les préjugés et la discrimination. Les usagers doivent être traités avec respect et dignité dans toutes leurs interactions avec les services sociaux.

La justice réparatrice est également un élément du cadre de la justice dans le champ du travail social. Les travailleurs sociaux  aident les personnes lésées à obtenir réparation pour les préjudices subis, par exemple en les aidant à accéder à des services juridiques ou à des aides de compensation.

Enfin, la justice sociale exige que les structures sociales et économiques soient organisées de manière à promouvoir l’égalité et la justice pour tous. Les travailleurs sociaux doivent s’engager dans des actions collectives pour lutter contre les inégalités sociales et promouvoir la justice sociale.

En résumé

Voici quatre cadres conceptuels de la réflexion éthique en travail social que je propose à votre réflexion :

  1. Le cadre déontologique : ce cadre se réfère aux règles et devoirs professionnels qui régissent la pratique du travail social. Il s’appuie sur des codes de déontologie et des chartes éthiques qui définissent les valeurs, les principes et les normes de la profession.
  2. Le cadre des droits de l’homme : ce cadre se réfère aux droits fondamentaux de la personne humaine, tels que définis dans les textes internationaux et nationaux. Il s’appuie sur les principes de dignité, de liberté, d’égalité et de non-discrimination.
  3. Le cadre du « care » (prendre soin) : ce cadre se réfère à l’éthique du care, qui met l’accent sur la relation d’aide et la prise en compte des besoins et des vulnérabilités des personnes. Il s’appuie sur les valeurs de bienveillance, d’empathie, de respect et de responsabilité.
  4. Le cadre de la justice sociale : ce cadre se réfère à l’éthique de la justice sociale, qui vise à promouvoir l’égalité des chances et la réduction des inégalités sociales. Il s’appuie sur les valeurs de solidarité, d’équité et de justice distributive.

 

Chacun de ces cadres offre des outils conceptuels qui aident les travailleurs sociaux à naviguer dans le paysage éthique complexe de leur profession. Ils ne sont pas mutuellement exclusifs et sont souvent utilisés de manière complémentaire pour aborder les questions éthiques de manière globale et la plus complète qui soit.

 


Sources (sélection)

 


Photo : avatarfreepik

Note : j’avais publié cet article le 20/12/2023 mais je l’avais effacé par erreur un mois après. Je viens de le retrouver dans mes brouilllons. C’est pourquoi je l’ai programmé à nouveau aujourd’hui pour qu’il redevienne accessible pour tous?

Articles liés :

4 réponses

  1. Excellent article, merci pour ce partage qui donne envie d’approfondir le sujet par cette entrée thématique. J’apprécie beaucoup ce cadre posé qui exige de garder à l’esprit une vue d’ensemble et qui pourtant distingue bien les éléments d’un puzzle subtil où tout s’interconnecte ! très instructif !

  2. Voir également l’ouvrage « Ethique des pratiques et déontologie des travailleurs sociaux » Rapport du CSTS paru aux éditions ENSP en 2001. On y trouve, entre autres choses, une définition proposée par Paul Ricoeur « l’éthique est la visée de la vie bonne dans des institutions justes »
    Elle est donc un questionnement de nos pratiques confrontées aux contradictions du réel.

  3. Un grand merci pour ce panorama des fondements de l action…sociale qui imprègne des vies d acteurs et de bénéficiaires, de citoyens !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.