Stratégie nationale de lutte contre les maltraitances 2024 : Quels moyens pour protéger les adultes vulnérables ?

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Le gouvernement a récemment dévoilé sa nouvelle stratégie nationale de lutte contre les maltraitances pour la période 2024-2027. Ce plan qui se veut ambitieux, vise à renforcer la protection des adultes vulnérables et à améliorer les mécanismes de signalement et de traitement des cas de maltraitance avérés. Voici une analyse synthétique de ce rapport, ses constats, et les mesures proposées.

De quoi parle-t-on ?

Le rapport se concentre principalement sur les maltraitances subies par les adultes vulnérables. Cela concerne notamment les personnes âgées et les personnes en situation de handicap. Ces maltraitances peuvent prendre diverses formes. Il y a les abus physiques, psychologiques, financiers, ainsi que la négligence et l’abandon.

Une des problématiques porte sur le fait que les victimes dénoncent encore trop peu les faits de maltraitance qu’ils subissent. Elles renoncent souvent en raison de la peur, de la dépendance ou du manque de moyens pour signaler ces abus. Un autre frein est que nombre de ces violences sont d’ordre intrafamilial. Il est difficile par exemple pour une personne âgée de dénoncer ses enfants lorsque ceux-ci les dépouillent ou abusent de leur hospitalité.

Ce type de violence touche tous les milieux. Particulièrement lorsque les personnes maltraitées disposent de ressources financières. Certains membres de la famille, le voisinage ou encore les aidants rémunérés peuvent souhaiter s’en accaparer, en faisant appel à la générosité des personnes qui ne sont plus en capacité de dire non.

Une réalité alarmante

Les signalements de maltraitance sont encore trop rares, en grande partie à cause de la complexité des démarches et de la peur des représailles. Les victimes, sont très souvent isolées et dépendantes. Elles hésitent ou pire, ne veulent pas dénoncer leurs agresseurs, ce qui complique l’intervention des autorités.

De plus, la coordination entre les différents acteurs du secteur médico-social est citée comme étant insuffisante. Cela rend les réponses inefficaces et fragmentées. Cette situation est d’autant plus préoccupante que les maltraitances institutionnelles, bien que moins visibles, sont tout aussi destructrices.

Plusieurs mesures annoncées

Face à ce constat, la stratégie nationale propose plusieurs mesures concrètes. Tout d’abord, elle vise à renforcer les droits des personnes vulnérables, en améliorant l’information et la participation des résidents des établissements médico-sociaux. Il est essentiel de libérer la parole des victimes et de leur offrir des moyens adaptés pour exprimer leurs besoins et signaler les abus.

La mise en place de cellules locales dédiées au recueil, à l’évaluation et au traitement des signalements est une avancée majeure. Ces cellules, véritables points d’entrée uniques, ont pour ambition de centraliser les alertes et d’assurer un suivi rigoureux des cas de maltraitance.

La stratégie insiste également sur la nécessité de renforcer la prévention et la formation des professionnels au contact des personnes vulnérables. Il est impératif de développer une culture de la bientraitance, où le respect et la dignité des personnes sont au cœur des pratiques. Cela passe par des actions de sensibilisation, la lutte contre les stigmatisations et la promotion de l’intergénérationnel.

Trop de professionnels de l’aide à domicile manquent de formation suffisante. Leur formation continue est incontournable pour garantir une prise en charge respectueuse et adaptée des personnes âgées et des personnes en situation de handicap.

Enfin, la stratégie prévoit des mesures pour faciliter le parcours judiciaire des victimes. Il s’agit  de rendre la justice plus accessible et de sensibiliser les professionnels du droit aux spécificités des maltraitances subies par les adultes vulnérables. La mise en place d’un suivi indépendant et d’un comité de pilotage, présidé par la ministre des Personnes âgées et des Personnes handicapées, Fadila Khattabi, témoigne de la volonté du gouvernement de s’assurer que les actions entreprises sont à la hauteur des ambitions affichées.

Un plan qui se heurte à des limites

La stratégie nationale, bien qu’ambitieuse et nécessaire, présente de réelles faiblesses qui pourraient entraver son efficacité. L’un des aspects les plus préoccupants est l’absence de détails clairs sur le financement. Les sources de financement ne sont pas explicitement mentionnées. Valérie Benotti, vice-présidente de l’Unapei, a souligné que « lutter contre la maltraitance nécessite des moyens en plus ». Sans un budget clairement défini et alloué, il est difficile de voir comment les mesures proposées pourront être mises en œuvre de manière efficace et durable.

Complexité et coordination

La stratégie repose sur une coordination accrue entre divers acteurs. Tous les plans de dimension sociale, quels qu’ils soient, revendiquent cette nécessité.  Les acteurs ici sont nombreux et sont déjà très mobilisés dans de multiples domaines, tous jugés prioritaires. Cela concerne les agences régionales de santé (ARS), les Départements, les forces de l’ordre, et l’ensemble des professionnels du secteur médico-social. Cela correspond à une multiplicité d’acteurs et d’intervenant peu simple à coordonner.

Cette complexité pourrait devenir un obstacle si les rôles et responsabilités ne sont pas clairement définis. Si la communication entre les différentes entités n’est pas fluide, cela devient difficilement gérable sur le terrain. Or aujourd’hui encore, sans donnée de moyens suffisants, le gouvernement ressort toujours le même reproche. Cette fois-ci de la part d’Aurore Bergé dont la parole n’est pas toujours la plus pertinente. La fugace ancienne ministre des Solidarités expliquait en 2023 que « les nombreux acteurs impliqués ne se parlent pas suffisamment ». Un argument un peu court qui fait porter la responsabilité de l’action sur les acteurs de terrain et dédouane les décideurs.

Pour quelle formation ?

Le plan inclut des initiatives de formation pour les forces de l’ordre et les professionnels sanitaires et sociaux.  Il reste à voir si ces formations seront suffisamment approfondies et régulières pour avoir un impact significatif. La formation continue est cruciale pour garantir que les professionnels restent informés des meilleures pratiques et des nouvelles législations, mais cela nécessite également des ressources et un engagement à long terme.

Or peut-on considérer que la mise en place d’un kit de formation en ligne déjà existant soit suffisant ? Peut-il vraiment aborder les situations complexes et incertaines ? Plus intéressant,  La stratégie prévoit de sensibiliser et de former les directeurs d’établissement et les professionnels du secteur social, médico-social et du soin à la prévention des maltraitances. Cela inclut l’intervention des personnes accompagnées dans les formations initiales et continues des travailleurs sociaux et médico-sociaux. Il sera nécessaire à l’avenir  d’inscrire ces interventions dans le dossier d’agrément des établissements de formation au travail social. C’est une couche supplémentaire dans les dossiers d’agréments déjà bien chargés.

Des contrôles à venir

Le plan prévoit des contrôles renforcés dans les établissements médico-sociaux. Il est annoncé des visites inopinées pour s’assurer du respect des normes de bientraitance. Cependant, l’efficacité de ces contrôles dépendra de leur rigueur et de leur fréquence. Des critiques ont été émises concernant la véritable nature « inopinée » de ces inspections. De plus, la capacité des Agences Régionales de Santé à mener ces contrôles de manière exhaustive et régulière reste une question ouverte.

Pour quel parcours judiciaire ?

Faciliter le parcours judiciaire des victimes est un objectif louable, mais la réalité est souvent plus complexe. Les victimes de maltraitance, en particulier les personnes âgées et handicapées, peuvent rencontrer des obstacles significatifs pour accéder à la justice, y compris des barrières physiques, psychologiques et financières.

La simplification des démarches judiciaires et l’accompagnement des victimes nécessitent des ressources considérables. Là aussi, il faut une volonté politique forte et des moyens dans les tribunaux. Il y a de quoi rester dubitatif quand on connait la charge de travail des magistrats dans toutes les juridictions, avec des dossiers tous aussi prioritaires les uns que les autres,

En résumé

Bien que la stratégie nationale de lutte contre les maltraitances soit un pas dans la bonne direction, elle présente des faiblesses notables. Cela concerne notamment le financement, la coordination, la formation, les contrôles et l’accessibilité judiciaire. Pour que ce plan soit véritablement efficace, il serait nécessaire que le gouvernement clarifie les sources de financement, et les moyens concrets à mettre en œuvre pour renforcer la coordination entre les acteurs, assurer des formations continues et rigoureuses, et faciliter l’accès à la justice pour les victimes. Sans ces éléments, la mise en œuvre de la stratégie risque de rester partielle et insuffisante.

 


Sources :

 


Photo avatarandreas sur Freepik

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