La ministre des Solidarité invente un nouveau concept : le soutien à la parentalité par la sanction

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Aurore Bergé fait fort ! Lors d’une interview accordée à La Tribune Dimanche, la ministre des Solidarités a confirmé la mise en place de travaux d’intérêt général destinés aux parents défaillants, ainsi que la création d’une commission sur la parentalité. Ces initiatives, qui s’inscrivent dans une démarche de réponse aux troubles sociaux récents, visent à aborder de front les problématiques actuelles liées à l’éducation et au rôle des parents.

La ministre des Solidarités manie un double langage : d’un côté, elle explique que « les parents ne peuvent pas être les oubliés de nos politiques publiques. Nous avons besoin d’eux, nous devons faire avec eux ». Et de l’autre elle annonce « des travaux d’intérêt général pour les parents défaillants, le paiement d’une contribution financière pour les parents d’enfants coupables de dégradations auprès d’une association de victimes et une amende pour les parents ne se présentant pas aux audiences qui concernent leurs enfants ». Dans son viseur, les pères absents qui laissent les femmes assumer seules l’éducation de leurs enfants.

Aider et punir « en même temps »

Faut-il rappeler qu’une famille sur quatre est une famille monoparentale ? C’est-à-dire constituée d’un parent ou d’une personne qui assume seul la charge d’au moins un enfant privé de l’aide d’un ou de ses deux parents. 25% de ces familles doivent, si l’on comprend cette politique publique (qui n’en est pas une), sont tout autant concernées par l’aide que par les sanctions.

Ce « en même temps » est assez surprenant. Comment s’appuyer sur des parents lorsque ceux-ci sont pointés du doigt, blâmés  et sanctionnés alors qu’ils rencontrent des difficultés éducatives ? À quoi va servir la commission nationale sur la parentalité coprésidée par le pédopsychiatre Serge Hefez et la spécialiste de la jeunesse Hélène Roques alors que la ministre indique s’engager dans un tour de France sur ce sujet, sans attendre les résultats et préconisations de la commission ?

La feuille de route de la commission doit « concerner les options permettant d’épauler les parents dépassés, de dénouer les conflits familiaux, de prendre en charge la violence et les dépendances des jeunes ». Vaste programme qui a du sens dans le champ de la prévention. Oui, mais voilà, ces travaux sont présentés par Aurore Bergé comme étant directement en lien avec les émeutes survenues après la mort de Nahel M., le 27 juin dernier à Nanterre. Et surtout, il s’accompagne d’un discours répressif et menaçant en direction des familles concernées.

L’aide contrainte, une solution qui n’a pas besoin de l’action éducative

Nous savons en travail social que l’aide accompagné de la menace de sanction n’est rien d’autre qu’une aide contrainte. Jusqu’à présent, cette forme d’aide était utilisée au nom de la protection de l’enfance avec cette menace pour les parents de se voir retirer leurs enfants. Puis est venu l’aide contrainte à l’intention des allocataires des minima sociaux. Qu’ils soient d’accord ou pas, leurs maigres revenus, provenant du RSA, ne peuvent être perçus que sous condition : Pour être aidé, le demandeur qui, rappellons-le, n’a pas de moyens de subsistance lui permettant de vivre, doit signer un contrat d’engagement réciproque, qu’il le souhaite ou non. Il va donc l’accepter.

Il est clair que l’aide contrainte fausse la relation d’aide. La famille aidée de la sorte va agir par crainte de se voir sanctionnée. Elle ne va pas agir parce qu’elle pense que c’est important pour elle. Elle va agir ou faire semblant d’agir selon la représentation qu’elle a de l’attente du professionnel susceptible d’être à l’origine de la « punition ». Cela crée un dialogue impossible où tout est lisse.

Michelle Becquemin, docteur en sociologie, maître de conférences en sciences de l’éducation, l’a très clairement expliqué : « L’aide contrainte revêt actuellement une forte acuité en raison de l’évolution des politiques publiques en direction des enfants, des jeunes et des familles qui traversent des difficultés de tous ordres. En effet, au cours des deux dernières décennies, une disjonction s’est produite dans la façon de considérer les problèmes de ces populations. Il y a, d’un côté, une focalisation sur un public « victimisé » (les enfants abusés, maltraités) et, de l’autre, un durcissement du regard sur les jeunes indisciplinés, violents, délinquants. Dans tous les cas, l’imputation des causes des problèmes est renvoyée aux parents qu’il s’agit de responsabiliser et de sanctionner, le cas échéant. » Elle nous rappelle que la parentalité est devenue l’un des pivots de l’orientation sécuritaire des politiques publiques.

Il est désormais présupposé que les humains n’évoluent que grâce à la sanction ou grâce au profit qu’il peut espérer de ses choix. Il y aurait ceux qui ont été « bien dressés », bien éduqués. Pour preuve, ils ne provoquent pas de désordres et puis il y a les autres. Les autres sont toutes ces familles très mal considérées, qu’il faut redresser comme on le pensait au XIXᵉ et début du XXᵉ siècle. Cette époque avait vu la création de maisons de redressement pour la jeunesse dite délinquante (en fait, elle était surtout pauvre et les orphelins vivaient d’expédients).  La contrainte était la règle. La violence aussi. Les « éducateurs » étaient des surveillants maniant la trique, les punitions corporelles étaient la règle.

Ce n’est plus cela aujourd’hui, fort heureusement, mais comme par le passé, nous sommes face à un discours « schizophrénique » : « Je suis là pour vous aider, mais je suis là aussi s’il le faut, pour vous faire du mal, vous punir » d’autant plus, si vous ne répondez pas à mes attentes ! Et si je vous fais du mal et que je vous punis, c’est pour votre bien ! Le discours d’Aurore Bergé va tout à fait dans ce sens. Quel archaïsme !

À peine installée, déjà quittée

Plusieurs membres de la commission nationale sur la parentalité l’ont bien compris. Ils ont démissionné avec fracas dès le premier jour de son installation. Parmi les démissionnaires figurent la sociologue Irène Théry et la chercheuse au CNRS Agnès Martial, qui ont pris cette décision après avoir découvert par voie de presse que leur travail était présenté par le gouvernement d’abord comme une réponse aux émeutes de juin.

La feuille de route de la commission était tout à fait différente. Selon la Tribune Dimanche, elle devait « concerner les options permettant d’épauler les parents dépassés, de dénouer les conflits familiaux, de prendre en charge la violence et les dépendances des jeunes ». Les démissionnaires ont été choqués de voir que leurs travaux étaient présentés par Aurore Bergé comme une réponse aux émeutes survenues après la mort de Nahel à Nanterre, consécutive à un tir policier.

Selon le journal Le Monde : « Les démissionnaires imaginaient travailler ces prochains mois sur les conditions actuelles d’exercice de la parentalité en vue d’éclairer le gouvernement dans l’élaboration d’une future politique publique. Mais ils ont découvert à travers son interview que la ministre commençait en parallèle un « tour de France de la parentalité ». Voilà de quoi leur dire que les dés sont pipés et que la commission risque fort de n’entériner des choix déjà fait. Bref, rien que de l’affichage. Chapeau, Madame la Ministre !

 

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