Malgré des chiffres de vente encore importants, la lecture traverse une période difficile, en particulier chez les jeunes générations. Selon les dernières études, 20% des 15-24 ans se déclarent non-lecteurs et cette proportion monte à 33% chez les 16-19 ans si l’on exclut les lectures liées aux études. Ces chiffres préoccupants révèlent une tendance de fond : le désamour croissant des jeunes pour la lecture.
C’est un phénomène qui coïncide avec l’entrée massive des écrans dans leur vie quotidienne. Smartphones, tablettes, ordinateurs… Les supports numériques occupent une place de plus en plus centrale, au détriment du bon vieux livre papier.
L’omniprésence des écrans en cause
Selon une étude IPSOS pour le Centre National du Livre (CNL), les 7-19 ans passeraient ainsi en moyenne 10 fois plus de temps devant un écran (3h11 par jour) qu’avec un livre (19 minutes). Un écart considérable qui ne cesse de se creuser au fil des années, à mesure que les écrans se multiplient et deviennent plus attractifs. Car le problème n’est pas tant la présence des écrans en soi, que les multiples sollicitations qu’ils génèrent.
Réseaux sociaux, vidéos, jeux, messagerie instantanée… Autant de distractions qui nuisent grandement à la concentration nécessaire à la lecture. Résultat : 20% des 7-19 ans n’arrivent pas à lire plus de 15 minutes d’affilée et 61% moins de 30 minutes. Seuls 30% parviennent à lire plus d’une heure sans interruption. Pour Régine Hatchando, présidente du Centre National du Livre, « il y a désormais un enfermement addictif avec le numérique. On peut parler de drogue. » Une addiction qui se nourrit du flux incessant de notifications et de stimuli envoyés par les écrans, et qui rend de plus en plus difficile le fait de s’extraire de ce tourbillon pour se plonger dans un livre.
Des conséquences préoccupantes sur la pensée
Cette érosion de la lecture inquiète de nombreux spécialistes, car elle s’accompagne d’un appauvrissement du vocabulaire et de la langue, et donc de la pensée. Comme l’explique le Dr Michel Desmurget, neuroscientifique, il faut une vingtaine d’années pour former un lecteur compétent, capable de lire 280 mots par minute en les comprenant. Or la lecture, en plus d’enrichir la culture générale, développe de nombreuses facultés cognitives essentielles. Elle stimule la créativité et l’imagination en permettant de visualiser mentalement les scènes et personnages décrits. Elle améliore les capacités d’expression écrite et orale en exposant à un vocabulaire riche et varié. Elle augmente même le QI en sollicitant la mémoire, la concentration et la réflexion.
Mais la lecture ne se résume pas à un simple « entraînement cérébral ». En s’immergeant dans la tête des personnages, le lecteur apprend aussi à se mettre à la place des autres, à comprendre leurs motivations et émotions. La lecture développe ainsi l’empathie et la compréhension d’autrui, là où une vidéo ne montre que des comportements extérieurs. Des qualités humaines précieuses, qui sont pourtant de moins en moins cultivées à l’ère du numérique.
Le livre numérique, une bonne idée ?
Face à ce constat inquiétant, le livre numérique pourrait apparaître comme une solution pour renouer avec la lecture, surtout chez les jeunes. Plus accessible, moins cher, facile à transporter, il cumule de nombreux avantages pratiques. Les ventes de livres numériques progressent d’ailleurs chaque année, même si elles ne représentent encore qu’une petite part du marché (3% en France en 2020).
Mais en réalité, le livre numérique ne résout en rien le problème de fond. Lire sur écran, c’est s’exposer aux mêmes sources de distraction et de dispersion de l’attention que les autres contenus numériques. Notifications, publicités, liens hypertextes… Autant d’éléments qui viennent perturber l’immersion dans le texte et la réflexion qu’il suscite.
C’est aussi se priver de l’expérience sensorielle du livre papier, qui favorise une lecture lente, réfléchie et sans interruption. Le contact physique avec les pages, l’odeur de l’encre et du papier, le bruit du feuillet qu’on tourne… Tous ces éléments contribuent à créer un rapport intime et presque charnel avec le livre, propice à une lecture profonde et attentive.
Contrairement aux idées reçues, le livre papier n’est pas non plus moins écologique que sa version numérique. Fabriqué à partir de chutes de bois recyclées, il est lui-même recyclable et se dégrade naturellement. À l’inverse, les supports de lecture numérique (liseuses, tablettes, smartphones) consomment de l’énergie et des métaux rares, souvent extraits dans des conditions peu éthiques, et génèrent des déchets électroniques difficiles à recycler. L’intérêt écologique d’une liseuse n’est significatif qu’à partir d’un grand nombre de livres neufs en grand format lus chaque année, ce qui est loin d’être tout le temps le cas.
Renouer avec les vertus de la lecture
Face à « l’anorexie cérébrale » que risque d’entraîner un usage excessif des écrans, il est urgent de revaloriser la lecture, et en particulier la lecture de livres, auprès des jeunes générations. Les parents ont ici un rôle important à jouer, en donnant l’exemple et en lisant des histoires à leurs enfants dès le plus jeune âge. Car la lecture est bien plus qu’un simple passe-temps ou un outil d’apprentissage scolaire.
C’est une activité profondément humanisante qui nourrit autant l’esprit que l’âme. En nous ouvrant à d’autres univers, d’autres vies, d’autres pensées, elle nous aide à mieux comprendre le monde et nous-mêmes. Elle aiguise notre sens critique en nous confrontant à des points de vue différents du nôtre.
Prendre le temps de lire, c’est aussi s’extraire du flux incessant d’images et d’informations déversé par les écrans, pour retrouver son propre rythme. C’est se donner les moyens de réfléchir, de s’arrêter pour méditer sur ce qu’on vient de lire. Un luxe de plus en plus rare, et pourtant essentiel, dans notre société de l’immédiateté et de la distraction permanente.
Réconcilier le numérique et la lecture
Pour autant, il ne s’agit pas d’opposer frontalement le livre et le numérique, dans une vision manichéenne et passéiste. Les deux peuvent et doivent coexister, à condition de trouver le bon équilibre. Le numérique offre en effet de formidables opportunités pour promouvoir la lecture et la rendre plus accessible. Applications de lecture, bibliothèques en ligne, réseaux sociaux littéraires…
De nombreux outils permettent aujourd’hui de découvrir de nouveaux livres, d’échanger avec d’autres lecteurs, de partager ses coups de cœur. Bien utilisés, ils peuvent susciter l’envie de lire chez ceux qui en sont le plus éloignés. Mais ces outils ne remplaceront jamais le plaisir et les bienfaits de la lecture « traditionnelle », sur papier.
Ils doivent être vus comme des compléments, des portes d’entrée vers les livres, et non comme des substituts. L’enjeu est donc d’apprendre aux jeunes à naviguer entre ces deux univers, numérique et papier, en tirant le meilleur de chacun. Cela passe par une éducation au numérique, qui ne se limite pas à la maîtrise technique des outils, mais inclut une réflexion sur leurs usages et leurs limites.
Il s’agit d’aider les jeunes à développer leur esprit critique face aux contenus en ligne, à gérer leur temps d’écran, à cultiver leur attention et leur concentration. Parallèlement, il est essentiel de continuer à valoriser le livre et la lecture sous toutes leurs formes. En multipliant les occasions de lire pour le plaisir, sans contrainte ni objectif. En aménageant des espaces et des moments propices à une lecture calme et sans distraction. En faisant découvrir la richesse et la diversité de la littérature, des classiques aux nouvelles voix.
Cultiver la tolérance
Comme l’écrivait déjà Victor Hugo au 19ème siècle : « Lire, c’est boire et manger. L’esprit qui ne lit pas maigrit comme le corps qui ne mange pas. » À l’heure où le numérique fait écran à la pensée, il est plus que jamais vital de renouer avec cette nourriture de l’âme et de l’esprit qu’est la lecture. Non pas en rejetant les écrans et les technologies, mais en apprenant à les utiliser avec discernement.
En cultivant une relation équilibrée et complémentaire entre le livre et le numérique. Pour que la lecture, sous toutes ses formes, reste ce merveilleux voyage immobile, cette fenêtre ouverte sur l’autre et sur soi-même, dont nous avons tant besoin pour grandir et nous épanouir et aussi cultiver la tolérance !
Sources :
- Les jeunes Français et la lecture en 2024 | IPSOS-CNL – Rapport complet
- Ce que le numérique fait à la lecture | Cécile Rabot Open édition
- La lecture… ou quand les nouvelles technologies font écran à la pensée | Guillaume Keller Regard d’Espérance
- Liseuse ou livre papier : quel est le plus écolo ?| Numérama
Photo : freepik
3 Responses
Bonjour, j’ai publié votre excellent article sur mon compte Twitter X @7559pr ce jour. Cordialement. Philippe Roi
Merci M. Roi.
Je ne publie plus mes textes sur X n’ayant pas le temps de gérer une diffusion via les réseaux. Je me suis limité à LinkedIn, car j’ai beaucoup de contacts professionnels engagés sur ce réseau. Si vous souhaitez publier d’autres textes du blog sur X n’hésitez pas ! je vous en remercie…
Cordialement
D. Dubasque