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La démocratie illibérale : un spectre qui plane sur la France ?

Dans un monde dans lequel les certitudes démocratiques vacillent, une question s’impose : la France, berceau des Lumières et patrie autoproclamée des droits de l’Homme, pourrait-elle un jour succomber aux sirènes de l’illibéralisme ? Cette interrogation, loin d’être anodine, nous invite à plonger dans les méandres d’un concept politique aussi inquiétant que dangereux : la démocratie illibérale. En effet, le Nouveau Front Populaire a permis d’éviter l’arrivée au gouvernement d’un parti d’extrême droite à priori illibéral. Mais il n’est pas impossible que celui-ci revienne en force à l’avenir dans un an ou un peu plus tard. Et là, rien ne permet de savoir si le front républicain continuera de faire barrage comme il l’a fait dimanche dernier.

Qu’est-ce qu’une démocratie illibérale ?

Ce terme semble porter en lui une contradiction. Il désigne un régime dans lequel les apparences démocratiques  (élections, institutions représentatives etc.) coexistent avec un affaiblissement systématique des contre-pouvoirs et des libertés individuelles. Par exemple en Russie, les élections sont toujours en place même si les opposants sont tous en prison ou exilés. Les libertés individuelles sont inexistantes dans le champ politique et même social. Toute contestation est systématiquement réprimée. Les médias sont alignés aux ordres du pouvoir en place. C’est un régime illibéral.

La démocratie illibérale est un système hybride qui conserve la façade de la démocratie tout en la vidant la substance. Les caractéristiques de ce modèle politique sont multiples et insidieuses. On y observe une centralisation excessive du pouvoir, souvent autour d’une figure charismatique. Les médias indépendants sont muselés, remplacés par des organes de propagande. L’opposition est marginalisée, voire criminalisée. Les institutions judiciaires perdent leur indépendance, devenant des instruments au service du pouvoir en place. La société civile est affaiblie, les minorités stigmatisées, le tout au nom d’une prétendue volonté populaire.

À regarder ces caractéristiques, on se rend compte que le Rassemblement National va inexorablement vers ce type de régime :
  • Au RN, le pouvoir est particulièrement centralisé : les candidats aux élections législatives se sont effacés devant la figure d’un leader « charismatique » Jordan Bardella lié à la famille Le Pen qui dirige depuis toujours ce parti.
  • Les médias indépendants muselés ? Le RN en rêve. Il annonce d’ores et déjà la privatisation du service public de l’audiovisuel. Celui-ci marque sa différence par rapport aux médias détenus par les milliardaires tel M. Bolloré qui possède des chaines de télévision et de radio ouvertement pro-RN. La disparition du service public de la radio et de la télévision musèlerait des voix critiques et dissonantes aux oreilles du parti d’extrême droite.
  • L’opposition marginalisée, voire criminalisée : N’est-ce pas le cas quand on parle d’écoterrorisme dès qu’un écologiste politique veut prendre la parole ? Ou lorsque toute la gauche est assimilée à l’antisémitisme par des opposants adeptes des raccourcis simplificateurs très efficaces lorsqu’ils sont relayés par des médias « amis » ? Il suffira de ficher « S » certains leaders politiques pour les déconsidérer et ruiner leur ascension.
  • Les institutions judiciaires perdent leur indépendance : Que dire alors de ces critiques récurrentes du RN sur les juges considérés tous de gauche et laxistes. La réforme de la justice est à l’agenda du parti de Marine Le Pen. Les procureurs seront aux ordres de la chancellerie dirigée d’une main de fer. La modification de la Constitution sera à l’ordre du jour et systématiquement critiquée pour que les électeurs appellent à son changement via un référendum.
  • La société civile affaiblie : d’ores et déjà des élus RN ont annoncé qu’ils regarderont de près les subventions allouées par l’État et les collectivités qu’il dirige et compte diriger à l’avenir. Celles qui n’entrent pas dans la vision sociétale de ce parti seront radiées des associations « subventionnables ». Le tri sera fait entre les structures « amies » et celles qui ne le sont pas.
Certains pensent que la France, avec ses institutions solides et sa tradition républicaine, ne peut être menacée par ce phénomène ? Ils se trompent malheureusement, ce n’est pas aussi rassurant qu’on pourrait l’espérer. Les graines de l’illibéralisme ont déjà été semées dans le terreau fertile de nos crises successives – sanitaire, sociale, économique, sécuritaire, écologique et aujourd’hui politique.

Le parti politique qui incarne le plus cette dérive potentielle est sans conteste le Rassemblement National.

Sous le vernis d’une « dédiabolisation » médiatique, ce mouvement porte en lui les germes d’une vision illibérale de la société. Son discours mêle habilement populisme, nationalisme exacerbé et remise en cause des institutions.

Il promet un retour à un ordre fantasmé, au prix d’une redéfinition restrictive de la citoyenneté. Exit les étrangers et même les binationaux privés de certains emplois. La méfiance est déjà systématique envers les corps intermédiaires.
Le danger que représente cette approche pour notre démocratie est réel et multiforme. En jouant sur les peurs et les frustrations, elle érode la confiance dans les institutions démocratiques. Elle simplifie à outrance des problèmes complexes, offrant des solutions illusoires qui, si elles étaient appliquées, ne feraient qu’aggraver les fractures sociales.
Plus insidieusement encore, elle normalise un discours xénophobe et autoritaire, repoussant toujours plus loin les limites de l’acceptable dans le débat public. On pense au racisme bien évidemment et à la somme d’actes racistes survenus entre les deux tours des législatives. Face à ces menaces, il est de notre devoir de citoyens de rester vigilants même après ces élections. Le chemin vers l’illibéralisme est tracé et si ce n’est pas demain, c’est après-demain qu’il peut s’imposer dans les urnes.
Une autre caractéristique du régime illibéral est la stigmatisation de boucs-émissaires. Ce sont des populations réputées dangereuses ou même « nuisibles » pour le pays. Aujourd’hui ce sont les étrangers (surtout nord africains) qui sont stigmatisés. Demain viendra le tour des assistés sociaux, qu’ils soient français ou d’origine étrangère. Les allocataires du RSA sont depuis longtemps considérés comme des « profiteurs »  grâce à un système qui les protègerait par rapport à ceux qui travaillent dur. Celles et ceux qui aident les plus démunis sont suspects : les travailleurs sociaux qui déjà sont accusés de retirer les enfants des familles, aideraient des gens qui ne le méritent pas.

La démocratie en danger ?

La démocratie n’est pas un acquis immuable, mais un jardin fragile qui nécessite un soin constant. Nous devons réaffirmer avec force notre attachement aux valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité qui sont le cœur battant de notre République. Cela passe par un engagement renouvelé dans le débat, une défense acharnée de la liberté de la presse, et un soutien sans faille aux institutions qui garantissent l’État de droit. Cela passe aussi par un engagement permanent vis-à-vis des Droits de l’Homme et de sa déclaration universelle. Il est insupportable de constater que celles et ceux qui défendent ces valeurs soient traités de « droits de l’hommiste ». C’est une façon de déqualifier aussi bien les valeurs que les personnes qui les promeuvent. Ce terme péjoratif utilisé même par le président de la république est une insulte à nos droits fondamentaux.

L’histoire nous enseigne que les démocraties ne meurent pas dans un grand fracas, mais s’étiolent progressivement, presque imperceptiblement. C’est à nous, citoyens éclairés, de rester vigilants face aux sirènes de cet illibéralisme qui se développe sur la rancœur, la haine de celui qui est différent, et la peur de l’autre considéré comme systématiquement menaçant.

Résister, résister encore…

Parmi les citoyens éclairés refusant ce qui se passe, il y a les travailleurs sociaux.  Nos professions sont portées par des valeurs universelles qui sont rappelées dans la définition du travail social. Nous rejetons le racisme et toutes les discriminations. Nous ne voulons pas faire le tri entre telle ou telle personne susceptible d’être aidée. Comme pour les enseignants et les soignants, les travailleurs sociaux refusent que l’on interdise l’accès aux services de telle ou telle catégorie de population. Attention, si cela continue, ils seront à terme, eux aussi, pointés du doigt, car ce sera tout simplement le principe de solidarité qui sera effacé.
Si la France venait à basculer, ce ne serait pas seulement une nation qui sombrerait, mais l’idéal même de la démocratie et du bien vivre ensemble. Il faut bien avoir conscience de cela. La France peut-elle connaître un régime illibéral ? La réponse est oui, mais elle dépend de nous. De notre capacité à débattre sans haine, à nous informer sans préjugés, et à promouvoir nos idéaux universels.
La démocratie n’est pas un spectacle auquel on assiste passivement, c’est une œuvre collective à laquelle chacun peut contribuer. Alors, face aux enjeux qui se dressent devant nous, osons être les gardiens intransigeants de nos libertés. Car c’est dans l’exercice même de ces libertés que réside notre meilleure défense contre l’illibéralisme rampant.
sources :

 


Photo : avatar stockking sur Freepik

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