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Féminicides : il reste tant à faire !

Pourquoi vous parler de ce sujet aujourd’hui ? Tout simplement parce que ne nombre de femmes tuées par leur conjoint est en nette augmentation. Il y a eu 103 femmes recensées par le collectif « féminicides par compagnon ou ex » en 2023. Au 23 février 2024, 24 femmes ont été tuées soit en extrapolant 12 victimes par mois. Si ce rythme reste aussi soutenu, ce sont 144 femmes qui seront tuées sur un an en 2024.

Depuis 2016, ce collectif qui publie chaque année une carte de France des lieux de féminicides. Il arpente le web pour rechercher des articles de presse traitant de ces affaires en France afin d’en faire un recensement diffusé sur les réseaux sociaux et désormais notre site internet. Celle de 2023 publiée ici ne recense que les femmes mortes en France métropolitaine. Il faudrait y ajouter les Départements et Territoires d’Outre mer.

carte feminicides 2023

​Petit rappel : Qu’est-ce qu’un féminicide ?

Ce terme trouve ses origines au début du XIXe siècle, mais c’est dans les années 1970 qu’il acquiert une dimension politique grâce à Diana Russell, docteure sud-africaine en psychologie sociale. Diana Russell l’a utilisé pour la première fois dans un livre qu’elle a publié en 1975 intitulé « The Politics of Rape« . (Diana Russell est décédée en juillet 2020). À l’époque, elle refusait d’accepter la conception selon laquelle l’acte de viol est un acte déviant, plutôt qu’un acte conforme aux idéaux de la masculinité. Cela a contribué à révolutionner la compréhension sociale de ce type de crime traumatique et misogyne dans une société patriarcale où l’homme détient un pouvoir important et excessif sur la femme.

Ce mot est une réponse à un besoin de contester le terme neutre « homicide ». Le but politique de son usage a été de reconnaître et de rendre visible la discrimination, les inégalités et la violence systématique subies par les femmes, qui, dans sa forme la plus extrême, aboutit à la mort.Bien évidemment, il y a des situations dans lesquelles, c’est la femme qui tue son conjoint. Mais ces situations sont très largement minoritaires au regard de l’inverse.

Selon la définition de Diana Russell, le féminicide s’applique à toutes les formes de meurtre sexiste, c’est-à-dire aux « meurtres commis par des hommes motivés par le sentiment d’en avoir le droit ou la supériorité sur les femmes, pour le plaisir ou des souhaits sadiques à leur égard, ou par l’hypothèse de la propriété sur les femmes »

Des crimes issus de la domination masculine qu’il fallait rendre visibles

Diane Russell et Jill Radford (1992) expliquaient que ces crimes se produisent dans le monde entier. Ils sont le résultat d’une violence misogyne extrême. Ils constituent l’échantillon le plus visible de multiples formes de harcèlement, de mauvais traitements, de rejet et d’abandon qui antérieurs à ces crimes. Évidemment, il y a ce qui se passe dans les pays européens, mais cela concerne aussi les très nombreux meurtres de femme comme en Inde ou au Pakistan ainsi que dans les pays du Moyen-Orient ou encore en Amérique du Nord et du sud. L’exemple le plus connu est celui de Ciudad Juarez, au Mexique. Les chiffres disponibles ne donnent qu’un ordre de grandeur dans un pays où sept femmes meurent chaque jour.

Historiquement, le féminicide a été conceptualisé par des figures comme Marcela Lagarde. Elle l’a défini comme l’assassinat d’une femme pour la simple raison de son sexe, soulignant l’échec des États à protéger les femmes contre cette violence extrême.

Cette violence est souvent minimisée et reléguée au rang de faits divers. C’est le résultat d’une culture patriarcale profondément ancrée, où les auteurs de tels actes sont considérés comme normaux car tourmentés par la passion. On parle alors de « crimes passionnels »

Pourquoi faut-il remettre en cause le concept de crime passionnel ?

Ce terme véhicule des stéréotypes. Il justifie la violence. Cette façon de présenter la mort d’une femme victime de son conjoint, minimise la gravité de l’acte et détourne l’attention de la dynamique de pouvoir et de contrôle au cœur de ces violences.

L’expression « crime passionnel » implique que le meurtre est motivé par l’amour ou la passion. Cela tend à « romantiser » et à excuser l’acte de violence. Cette interprétation peut induire en erreur en suggérant que la violence est une conséquence naturelle de l’amour passionné. C’est non seulement faux, mais dangereux. Cela perpétue l’idée que la passion justifie le contrôle excessif, et même la violence, de l’un sur l’autre.

L’usage de ce terme contribue inconsciemment à la culture de l’impunité en atténuant la responsabilité de l’auteur du crime. En attribuant la cause du meurtre à la passion, on détourne l’attention de la préméditation et de la volonté de dominer ou de posséder une autre personne, ce qui est souvent à l’origine de ces actes. Cela peut influencer la perception du public ainsi que les décisions judiciaires, menant à des peines plus clémentes pour les auteurs de ces violences.

Enfin, ne l’oublions pas, qualifier ces actes de « crimes passionnels » occulte la réalité du féminicide et des violences de genre. Cela empêche une compréhension des racines sociales et culturelles de la violence contre les femmes, notamment le patriarcat, le sexisme et la misogynie. Reconnaître ces crimes pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire des manifestations de la violence de genre, est essentiel pour élaborer des politiques et des interventions efficaces visant à les prévenir et à protéger les victimes.

Un combat qui est loin d’être gagné

La France, comme de nombreux autres pays, continue de lutter contre le fléau des féminicides. Malgré les efforts législatifs et les campagnes de sensibilisation, les statistiques restent alarmantes. En 2023, le pays a encore été témoin de nombreux cas où des femmes ont été tuées, souvent par des partenaires ou ex-partenaires.  Ces morts montrent l’ampleur du travail qui reste à accomplir.

Il faut bien comprendre que la persistance des stéréotypes de genre et des normes culturelles « patriarcales » contribue à perpétuer la violence contre les femmes. Les stéréotypes influencent les comportements et les attitudes au sein de la société. Ils normalisent et minimisent souvent la violence domestique. Les réseaux sociaux peuvent aussi en être des vecteurs. Le manque de prise de conscience et de compréhension de ce que constitue la violence de genre, y compris le contrôle coercitif et la manipulation psychologique, empêche une identification du problème et une intervention efficaces.

Il existe encore des obstacles institutionnels et juridiques. Malgré les réformes, de nombreuses victimes se heurtent encore à des difficultés lorsqu’elles cherchent de l’aide. Les procédures judiciaires peuvent être longues et éprouvantes, décourageant les victimes de poursuivre leurs plaintes.

De plus, un manque de formation spécifique des forces de l’ordre et des professionnels de la justice peut entraîner une sous-estimation de la gravité des situations. Cela nuit à la prise en charge inadéquate des victimes. Cette situation est aggravée par des ressources insuffisantes allouées aux structures d’accueil et de soutien des victimes de violences.

La dimension sociale du problème est souvent sous-estimée. La lutte contre les féminicides ne peut se limiter à la sphère juridique ou policière. Elle nécessite un changement de mentalité au sein de la société toute entière. L’éducation sur l’égalité des genres, le respect mutuel et la non-violence doit commencer dès le plus jeune âge et se poursuivre tout au long de la vie. Il faut sans cesse déconstruire les mythes entourant la « propriété » des partenaires ou encore la jalousie considérée encore trop souvent chez les jeunes comme preuve d’amour.

Enfin, la nécessité d’une approche coordonnée entre les différents acteurs (police, justice, santé, services sociaux, éducation, associations) est essentielle pour une prise en charge efficace des victimes. Certes, nous savons tout cela, mais dans certains départements, ce type de coordination fonctionne mal dans les faits. La mise en place de dispositifs d’alerte précoce, la formation des professionnels à la détection des signes de violence et la création de parcours sécurisés pour les victimes sont des mesures indispensables, notamment pour les travailleurs sociaux, généralement en première ligne sur ce sujet.

La lutte contre les féminicides en France est donc loin d’être gagnée en raison de la complexité et de la dimension multifactorielle du problème. Elle requiert une mobilisation à tous les niveaux de la société et une remise en question profonde des structures de pouvoir et des normes culturelles qui sous-tendent la violence de genre.

Si vous souhaitez approfondir ce sujet, voici quelques sources d’informations spécialisées :

  • Féminicides France : Ce site offre des informations sur les féminicides conjugaux en France et au niveau mondial. Il propose également un décompte des féminicides par compagnons ou ex en France pour l’année en cours. feminicides.fr
  • Union Nationale des Familles de Féminicides (UNFF) : L’UNFF apporte son soutien aux familles victimes de féminicide dans toute la France. Le site présente l’association, ses missions, et propose des ressources pour les familles de victimes.
  • Association des Familles de Victimes de Féminicides (AFVF): L’AFVF se consacre à dénoncer les violences faites aux femmes, en particulier les féminicides. Elle vise aussi à prévenir ces violences et à soutenir les familles et proches de victimes.
  • Féminicides par compagnons ou ex – Facebook : Cette page Facebook, associée au site Féminicides France, partage des informations et des actualités sur les féminicides en France, contribuant à sensibiliser le public à cette problématique.


Il existe bien d’autres sources, notamment issues des sites officiels gouvernementaux, et des associations de femmes. Vous pouvez si vous le souhaitez les ajouter dans les commentaires afin que je les intègre à cette liste. Merci à vous !

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