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Êtes-vous victime du syndrome IKEA ?

Le concept « IKEA » a pénétré de façon inquiétante le champ de l’action sociale et ses prestations. Un article du Monde Diplomatique avait par le passé abordé cette question sous l’angle de la consommation. Qu’est-ce que ce concept ? Il consiste tout simplement à vous faire faire le travail à la place du prestataire auquel vous faites appel. Un exemple ? IKEA tire les prix par le bas, car ce sont les acheteurs qui montent les meubles. Vous n’achetez pas une armoire, mais un paquet de planches avec des vis et un mode d’emploi. Et tant pis si vous n’êtes pas un bon bricoleur.

Aujourd’hui, c’est une démarche similaire qui me semble être à l’œuvre dans nos institutions. Elles font des économies en demandant à leurs  administrés de réaliser le travail de saisie et de trouver des conseils qui, par le passé, étaient assurés par leurs propres agents.

On ne se déplace plus, tout est sur Internet

Vous n’avez pas à vous déplacer si vous souhaitez bénéficier des prestations de la Caisse d’Allocations familiales. Vous devez vous-même vérifier si vous pouvez bénéficier de telle ou telle allocation en remplissant les questionnaires adéquats. Toutes ces prestations se traitent à distance. Comme pour Ikea vous avez d’abord droit à un mode d’emploi. Une fois que vous avez tout compris, il vous est demandé de réaliser votre propre simulation. Ce n’est plus un professionnel de la CAF qui réalise l’estimation de votre droit à la prestation. C’est vous-même via un algorithme avec lequel vous êtes invité(e) à dialoguer.

Et tant pis si vous vous trompez. L’évaluation est construite à partir des éléments déjà fournis à la CAF. Si ceux-ci ont changé (ce qui est fréquent), il est possible que le droit calculé soit bien différent. Certes, vous êtes guidé pour faire le travail, mais le nombre de questions et le calcul ne pourra finalement que rester obscur pour le simple allocataire que vous êtes. (quoique certaines collègues de la CAF m’ont avoué qu’elles-mêmes aussi étaient un peu perdues dans ces calculs savants…)

Des réponses parfois aléatoires

Les assistantes sociales des Départements constatent que les systèmes ne pas toujours cohérents. Votre simulation vous répond que vous avez droit à la prime d’activité puis au moment de valider votre demande, il apparaît que vous n’y avez pas droit. Cela m’a valu plusieurs réactions de personnes de mon entourage un peu égarées qui m’ont demandé si je savais pourquoi elles n’avaient pas droit à la prime alors qu’elles percevaient, selon leurs contrats, environ 800 euros de revenus mensuels. Bien en peine pour moi de leur répondre, je n’ai pu que leur conseiller de prendre rendez-vous à la CAF pour se faire expliquer ce qui à mes yeux reste encore assez mystérieux. Comme lorsque vous allez à Ikea, si vous ne suivez pas le chemin qui est fléché, vous allez vous perdre et tourner en rond avant de trouver la sortie.

Pôle emploi, c’est encore plus fort.

Pas besoin de vous déplacer sauf si vous prenez un rendez-vous après avoir argumenté.  En fait tout a été organisé pour que vous ne veniez plus à l’agence. Tout est prévu pour que vous ne vous perdiez pas non plus. L’accueil sur place est limité. ( Des demi-journées sont utilisées pour le traitement des dossiers… Un directeur d’agence m’avait précisé avec une certaine pointe d’ironie,  » le demandeur d’emploi qui n’a pas Internet… » (silence et soupir) puis la sentence  « Il est mort ! »

Sa formule, lapidaire, avait choqué plusieurs assistantes sociales présentes. Car bien évidemment, si le système fonctionne pour 80% des demandeurs d’emploi, les 20% restant n’ont plus qu’à aller se faire conseiller, si possible par un proche ou un service social (ce qui au passage est un déport de mission d’une institution sur une autre, qui n’est pas rémunérée)

Pôle emploi a pris les moyens pour accompagner les personnes à distance : non seulement vous avez accès aux offres d’emploi, grâce à votre compte personnalisé, mais vous pouvez aussi postuler en direct en envoyant votre CV que vous aurez pris soin de numériser vous-même. (super simple n’est-ce pas ? Si vous ne savez pas, vous pouvez toujours aller dans un atelier prévu pour vous l’apprendre).

Après l’App-store voici l’Emploi-store

Chez France Travail, non seulement vous pouvez actualiser votre situation, mais vous pouvez bénéficier des services de l’emploi store. Comme pour l’App store, vous choisissez vous-même ce qui vous convient. J’ai pu tester l’outil.

Ainsi j’ai pu choisir un métier m’informer sur le marché du travail, préparer ma candidature, et même grâce à des tests en apprendre un peu plus sur vous-même. D’autres tests tout aussi éclairants vous sont proposés. C’est à se demander à quoi peut bien servir encore un conseiller pôle emploi… Un métier en voie de disparition ?

Vous l’avez compris comme pour Ikéa, c’est vous qui faites le job alors que les conseillers pôle emploi  se mobilisent sur autre chose et non des moindres : le contact avec les entreprises pour augmenter les offres d’emploi qu’ils ont en magasin… (là aussi, il y a du travail… effectivement puisque les offres d’emploi passent aussi désormais par les réseaux sociaux).

C’est une évolution inéluctable m’a-t-on dit. Il n’y a rien à faire, c’est comme cela. Ikéa, Apple, Google, même combat que celui de la CAF, de France Travail, ou encore l’assurance maladie, tout ce monde gère dorénavant des centaines voire des milliers de nos données. À nous de les alimenter…

Imaginons que les services sociaux et actions éducatives s’y mettent aussi :

Cliquez 1 si vous avez un retard de loyer, 2 si votre enfant vous pose des problèmes, 3 s’il a moins de 6 ans, 4 si votre électricité est coupée, 5 …/…   Composez le 110 si vous souhaitez rencontrer une assistante sociale, 111 si vous avez besoin des conseils d’un éducateur malgré tout ce qui a été mis en place pour vous, 112 pour les urgences médicales../… 115 si vous ne savez pas où dormir ce soir…

Pour terminer un petit entrainement pour votre motivation : « Just do-it ». Si après ça vous n’êtes pas performant, c’est à désespérer !

Photo via Visual Hunt

 

J’avais initialement rédigé cet article en mai 2016. Je l’ai juste un peu actualisé.

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