Crise du travail social et impact sur les jeunes professionnels : notre système se déglingue

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Vous le savez, notre secteur traverse actuellement une crise profonde. Mais on sait moins qu’elle affecte particulièrement les jeunes travailleurs sociaux. Cette situation inquiétante est la conséquence des dysfonctionnements d’un système censé prendre soin des personnes les plus vulnérables. Les employeurs peinent à attirer et à retenir les professionnels dont ils ont cruellement besoin. Un récent article du journal Le Monde signé Jeanne Toutain nous apporte une série témoignages de jeunes professionnels et d’étudiants.  Mon article s’en inspire et tente de décrire les multiples facettes de cette crise et ses conséquences sur l’avenir du secteur tel que je les perçois.

Une pénurie de personnel aux conséquences dramatiques

Le secteur médico-social fait face à une crise d’attractivité sans précédent. Les chiffres sont éloquents : près de 97 % des établissements de la protection de l’enfance rencontrent des difficultés pour embaucher, avec 9 % de postes vacants. Cette pénurie de personnel a des répercussions directes sur la qualité de la prise en charge des personnes vulnérables et sur les conditions de travail des professionnels en poste.

L’un des aspects les plus préoccupants de cette crise est le manque d’encadrement des étudiants lors des stages, mais aussi des jeunes professionnels lorsqu’ils débutent dans le métier. Le Monde relate le témoignage de Gwendal, un apprenti éducateur spécialisé de 25 ans. Lors de son alternance dans un centre éducatif fermé, il s’est retrouvé confronté à des situations de violence extrême sans bénéficier du soutien nécessaire. « La violence dans le CEF était totalement banalisée, quotidienne. Et moi, j’étais là pour apprendre, mais je n’étais pas encadré », confie-t-il. Il faut dire que sa situation est extrême quand on connait la violence qui existe dans les Centres éducatifs fermés. C’est bien là le dernier endroit où aller, surtout s’il n’y a pas d’encadrement.

Oui, mais voilà, les stages sont toujours aussi difficiles à trouver. C’est pour certains jeunes un véritable parcours du combattant. Là aussi, ils sont parfois seuls à devoir démarcher des structures qui sont déjà enlisées dans leurs dysfonctionnements. Les formateurs des IRTS tentent au mieux de trouver des points d’atterrissage pour leurs étudiants, mais eux aussi sont confrontés à la pénurie des offres.  Cette situation n’est malheureusement pas isolée. Alice, 23 ans, raconte avoir été « quasi toute seule pendant quatre mois » lors de son alternance de monitrice-éducatrice. Ces expériences qui marquent les étudiants peuvent avoir des conséquences durables sur leur future carrière, allant jusqu’à les pousser à abandonner leurs études.

Un secteur en perte de vitesse

La crise d’attractivité du secteur médico-social se manifeste dès la formation des futurs travailleurs sociaux. Les établissements peinent à remplir leurs promotions, avec une baisse de 6 % du nombre d’étudiants inscrits dans les écoles formant aux métiers sociaux en dix ans.

Cécile Delhomme, directrice générale de l’Institut du travail social (ITS) de Tours, interrogé par Jeanne Toutain confirme cette tendance : « On a du mal à remplir nos quotas ». Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 351 candidats se sont inscrits sur Parcoursup pour intégrer la formation d’éducateur spécialisé en septembre, contre 402 l’année précédente. La filière assistant de service social peine encore plus à recruter. Sophie Tessaud, directrice générale de l’École pratique de service social (EPSS) de Cergy, le confirme. En 2023, seules 27 entrées ont été enregistrées pour 55 places disponibles en première année. La tendance est la même dans quasi tous les établissements de formation

Des conditions de travail inacceptables

Les jeunes travailleurs sociaux qui parviennent à intégrer le secteur sont rapidement confrontés à des conditions de travail difficiles, parfois indignes. Le manque de personnel chronique conduit à des situations où les étudiants et les jeunes professionnels se retrouvent à assumer des responsabilités bien au-delà de leurs compétences et de leur statut. Ils sont mis dans le bain du jour au lendemain sans véritable accompagnement ou supervision.

Le fort turnover observé dans les structures médico-sociales aggrave encore la situation. Louis, un étudiant en formation d’éducateur, lui aussi interrogé par le journal Le Monde, parle de son expérience choquante dans une maison d’accueil spécialisée : « Lors de la première réunion avec l’équipe, je remarque que, sur huit personnes, il y a quatre remplaçants ». Cette instabilité des équipes nuit à la qualité de la prise en charge des personnes vulnérables et contribue à l’épuisement des professionnels en poste.

Des conséquences dramatiques sur les publics vulnérables

Cette crise du secteur social et médico-social a des répercussions directes sur les personnes prises en charge. Le manque de continuité dans l’accompagnement, dû au turnover important, peut être particulièrement perturbant pour les publics vulnérables. Il leur faut sans cesse s’adapter à de nouveaux professionnels alors qu’ils ont besoin d’une stabilité relationnelle et un engagement dans la durée. C’est particulièrement nécessaire dans le champ de la protection de l’enfance où les enfants en foyer ne parviennent plus à construire une relation durable avec un éducateur.

Camille, 24 ans, éducatrice de jeunes enfants, évoque une expérience auprès de mineurs non accompagnés qu’elle qualifie d' »hypermaltraitante ». En tant que remplaçante pour deux jours seulement, elle s’est trouvée dans l’incapacité de répondre aux questions des jeunes sur leurs démarches administratives. Ces situations, bien qu’involontaires, ont bien évidemment des conséquences néfastes sur le bien-être et le développement des personnes accompagnées. Elles ne savent plus vers qui se tourner, car de trop nombreux professionnels ne sont que de passage

Vers une revalorisation nécessaire des métiers du social

Face à cette crise qui dure, tous les acteurs du secteur s’accordent sur la nécessité d’une revalorisation des métiers du social. Cette revalorisation doit passer par plusieurs axes :

On ne pourra pas éviter une augmentation significative des salaires, notamment pour les professionnels travaillant en internat. Stéphane Montbobier, vice-président de l’Association de directrices, directeurs et cadres de direction du secteur social, médico-social et sanitaire (ADC), estime qu’une revalorisation d’au moins « 400 ou 500 euros » serait nécessaire. Sinon les professionnels ne resteront pas.

Il faudrait aussi une meilleure reconnaissance sociale de nos métiers, souvent méconnus ou victimes de préjugés négatifs. Il faut dire que contrairement à ce qui est attendu, le gouvernement tape sur l’image même du travail social, car il s’occupe de jeunes d’abord considérés comme des délinquants en puissance, ou des jeunes étrangers dont il faut se méfier et qui n’auraient pas vocation à rester dans notre pays. Il y a aussi les dégâts causés dans le grand public par les discours sur l’assistanat. Tout cela concourt à dévaloriser le travail d’assistance et d’accompagnement.

Il serait aussi nécessaire de mettre des moyens pour un renforcement de l’encadrement et du soutien apportés aux jeunes professionnels et aux étudiants en formation. Mais les centres de formation sont à la peine. Leurs budgets de plus en plus contraints ne leur apportent plus les moyens d’accompagnements personnalisés qui demandent un engagement humain conséquent. Les structures sont déjà en manque de personnel. Pas question pour elle de dégager du temps pour accompagner une jeune recrue qui de toute manière risque rapidement de partir. Cet enchainement de raisons de ne pas agir enferme les gestionnaires dans un cercle

Une amélioration des conditions de travail, notamment en termes d’effectifs et d’organisation du temps de travail, est absolument nécessaire. Cela devrait être la priorité numéro un des directions, mais celles-ci sont prisonnières d’un quotidien défaillant qui se gère au jour le jour.

Un appel à l’action

La crise qui frappe le secteur médico-social et ses jeunes travailleurs est le symptôme d’un système à bout de souffle. Il est urgent d’agir pour redonner du sens et de l’attractivité à ces métiers essentiels pour notre société. L’article du Monde donne aussi la parole à Louis, un jeune étudiant en formation d’éducateur : « Si nous ne sommes pas là pour les personnes en difficulté, qui va les aider ? ». Question simple et crue qui a été relayée lors des journées du travail social à Nancy. Des journées qui se voulaient positives en montrant le dynamisme des travailleurs sociaux et leurs engagements. Car c’est bien là le paradoxe. Les travailleurs sociaux et encadrants motivés existent, mais il semble bien qu’ils soient devenus minoritaires dans un système qui s’apparente à un grand bazar.

« Qui va les aider » Cette question résonne comme un appel à la mobilisation de tous les acteurs concernés : pouvoirs publics, institutions de formation, employeurs du secteur, mais aussi citoyens. Il en va de notre responsabilité collective de soutenir et de valoriser ces professionnels qui œuvrent quotidiennement auprès des plus vulnérables. L’avenir de notre cohésion sociale en dépend.

 


Note : Je vous invite à lire l’article du Monde signé Jeanne Toutain qui entre bien plus en détail sur ce sujet que j’ai tenté de synthétiser

Source :

 

Photo avatar wayhomestudio Sur Freepik

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