Comment les assistant(e)s de service social gèrent-ils le stress professionnel ?

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Les travailleurs sociaux sont fréquemment confrontés à des situations particulièrement stressantes. Une absence de réponses face à des situations de détresse, l’agressivité et la violence de  personnes qui souffrent de troubles psychiques, une pression de certains managements éloignés de leurs préoccupations, etc. Les raisons sont multiples et certaines sont liées directement aux missions qui leur sont dévolues. Dans ces conditions comment font notamment les assistantes sociales pour « gérer » ou du moins faire face à ce stress professionnel si courant dans la relation d’aide ? 

En 2011 j’avais  réuni avec des collègues  53 assistantes sociales intervenantes en polyvalence de secteur au sein d’un Conseil Départemental.6 groupes  réunis en ateliers ont dans un premier temps recueillis les causes de stress professionnel (C) puis les propositions de réponses à ces stress identifiés (P). Une fois rassemblées les sources et propositions ont été regroupées par thèmes. . Celles-ci ont pu être classées dans 5 grandes catégories. Ils représentent une perception exprimée par les professionnels.

3.1 éléments quantitatifs :

C : Causes du stress – P : Propositions de réponse au stress

Sources de

Stress

Groupe1 Groupe2 Groupe3 Groupe4 Groupe5 Groupe6 Total

C

P

C

P

C

P

C

P

C

P

C

P

C P

Usagers

5

3

1

2

5

8

5

2

5

5

3

5

24 25

Equipe

4

5

0

0

1

2

3

3

9

2

6

4

19 16

Institution, dispositif

12

3

9

8

4

4

9

7

20

6

7

5

61 33

Gestion vie pro/perso et gestion du temps

4

2

3

2

5

4

6

5

9

4

0

0

27 17

Contraintes matérielles

4

1

1

1

2

4

7

4

2

4

4

3

20 17

TOTAL

29

14

14

13

17

20

30

21

45

21

20

17

151 108

les  causes (C) et réponses (P) sont différentes selon les domaines identifiés

5 origines de stress avaient alors été identifiés par les assistantes sociales

  1. Les demandes de l’institution, dispositifs : 40,3 %
  2. La gestion vie professionnelle /personnelle  et la gestion du temps : 17,8%
  3. Le comportement des personnes aidées : 15,89%
  4. Les contraintes matérielles : 13,24%
  5. Les  relations au sein des équipes de travail : 12,58%

1er constat : L’institution et les dispositifs prennent une place importante dans les sources du stress. Le 1/3 des causes exprimées de ce stress spécifique portaient à l’époqe sur les questions liées à la protection de l’enfance. Il y a donc pour les encadrements des possibilités d’agir afin d’aider à mieux prendre en compte les éléments générateurs de « stress  institutionnel ».

vient ensuite  le nombre de réponses apportées à chacun des stress identifiés

  1. Institution, dispositif : 25%
  2. Gestion vie pro/perso et gestion du temps : 16%
  3. Usagers : 33%
  4. Contraintes matérielles : 17%
  5. Equipe : 17%

Toutes proportions gardées, il est constaté que les réponses sur le stress généré par les usagers sont plus importantes que les causes à l’origine de ce stress spécifique. Il en est de même pour le stress ayant pour origine l’articulation vie professionnelle et vie personnelle ainsi que la gestion du temps. Par contre le nombre de réponses au stress attribué à l’institution et aux dispositifs est nettement moins important que le nombre de causes exprimées.

Il semble donc que les professionnels disposent dans leurs ressources propres  plus de moyens de résister et de répondre au stress généré par les usagers que par les dispositifs et l’institution.

Passons maintenant aux éléments qualitatifs c’est  dire au contenu même des stress tels qu’ils ont été identifiés : 6 tableaux précisent les sources de ces stress et les réponses qui y sont apportées. 

Attention : il n’y a pas de priorités indiquées quant à l’importance des items entre eux (causes et réponses). Certains ont été développés ou explicités au cours des échanges d’autres ont simplement été cités. Certaines réponses sont citées plusieurs fois avec des origines différentes (par ex. ne pas rester seul)

Origine du Stress : Les personnes aidées

CAUSES

PROPOSITIONS de réponse

– Accompagnement des personnes avec problématique psychiatriques. (VAD)- Agressivité, menaces des usagers- Urgence de l’usager, qui presse la secrétaire et répercussion sur l’AS- RV avec demandes multiples- Retard ou absence des personnes au rendez-vous proposé

– Aborder les éléments qui « fâchent », dans le cadre de l’enfance en danger

– L’inconnu, la première rencontre. Ne pas savoir 

– Accompagnement des personnes en grande détresse sociale (personnes vulnérables)

– le « Chantage » au suicide, ou quand les personnes vont très mal

– Complexification des situations et manque de partenaires (zone rurales)

 

– Ne pas rester seul

– Etre formé sur les comportements des malades psychiatriques

– Échanger entre collègues (notamment/ pratiques), et trouver un interlocuteur pour échanger (médecin, EMPP, CMP)

– Resituer, recadrer les responsabilités de chacun

– Interpeller l’encadrement pour qu’il prenne le relais/recadre l’usager

– L’agressivité : écrire son ressenti ; le restituer ensuite aux autres. Arrêter l’entretien, interpeller l’encadrement

– Demander un soutien technique

– Tenter d’utiliser le temps à bon escient (pause ou rédaction ou démarches téléphoniques)

– Poser un nouveau RV ou rallonger le temps de RV avec la personne si nécessaire

– Se faire confiance et avoir confiance en soi

– Formations initiales et continues (rapport à l’argent, gestion du stress, analyse de la pratique….)

– Mobilité

– Souplesse pour le changement de professionnel 

Origine du Stress : L’équipe de travail

CAUSES

PROPOSITIONS de réponse

– Stress des secrétaires- Collègues qui parlent travail non stop (midi)- Gestion de l’agenda par le secrétariat : inadapté /besoins (10mn ; 20mn ; 2h ; etc.)

– Le manque de confiance dans une équipe et l’incapacité de travailler ensemble « Voir mes collègues avec les larmes aux yeux » Fusion d’équipe ; tension dans les équipes. Un climat de suspicion..

– Mauvais passage de relais entre dfférentes équipes de travail

– temps de travail : celui qui part plus tôt est perçu comme ne travaillant  pas suffisamment

– La comparaison entre collègues

– Régulation des charges de travail

– Ne pas rester seul- Distinction des temps de travail/pause (moments conviviaux)

– Respect/ bienveillance entre collègues- Favoriser les liens dans l’équipe-

– Contacter l’encadrement- Faire appel à un soutien extérieur lorsque c’est trop lourd et récurrent

– « Fuir », changer de centre, s’éloigner pour se protéger

– Avoir une clochette pour les réunions (se donner des règles)

– Avoir des outils : tableau de régulation ; trame animation de réunions d’équipe ; soutien technique…

– savoir gérer ses émotions et ne pas les reporter sur les collègues

Origine du Stress : L’Institution et les dispositifs

CAUSES

PROPOSITIONS
– Déni de la collectivité sur les réalités du travail  : manque de reconnaissance

– Pression des élus 

– Interrogations sur le devenir du service social

– Constater que le service social se déshumanise. Difficile de faire perdurer une relation d’accompagnement humaine.

– Sentiment de devenir des administratifs (dans de grands centres impersonnels)

– Constater une perte de proximité avec le public, les partenaires

– Le manque d’une vision globale à moyen terme de la politique sociale de l’Institution

– Doute, remise en cause, impression d’incompétences face à tous les dispositifs qui se modifient sans cesse et la difficulté de les assimiler

– Courir après l’argent, pas de solution par rapport à des situations financières pas tenables

– Le manque de logements et le renvoi des dossiers alors qu’ils sont complets et qui (par exemple) demande des éléments déjà notés dans le rapport social.

– les relations avec certains services par ex. « Passer 45 mn avec GDF dont 10 en attente » 

– Le manque voire l’absence de solution adaptée aux personnes en situation dite vulnérables : enfants, personnes âgées ou handicapées 

– Multiplicité des protocoles pour travailler en partenariat

– La structure et parfois le manque de « sérénité » de l’encadrement lui-même sous pression. Impression de distance entre le travailleur social et sa hiérarchie : sentiment de ne pas être entendu

– Avoir des outils clairs et précis sur les différents dispositifs via le service

– Demander à la hiérarchie des moyens et conditions nécessaires à l’activité

– Militer- Participer à des groupes de travail- Intervention dans la formation initiale

– Se référer à la déontologie et au positionnement professionnel

– Reclassement ou mobilité professionnelle

– Travailler en binôme par exemple AS-Puéricultrice 

– Clarifier le cadre de l’intervention : qui fait quoi ? Qui est responsable de quoi ?

– Favoriser les liens dans l’équipe

– Contacter, échanger avec les cadres

– Que les cadres soient plus à l’écoute des AS

– Faire appel à un soutien extérieur

– Demande de délais pour retour VED (si notion de danger écartée)

– Formations

– Partenariat : favoriser les rencontres (CCAS…) pour mieux se connaître

 

– Dysfonctionnement de l’encadrement sur les  situations  d’enfants en danger

– Stress généré par le nombre d’évaluations  que l’on doit rédiger : plusieurs en même temps et surtout quand l’objet de l’information préoccupante / le signalement ne semble pas relever de l’évaluation.

– L’ appel le vendredi en fin d’après midi pour signaler une situation « d’enfant en danger » d’une famille non connue

– La perte de crédibilité face aux usagers du fait de la lenteur des procédures en matière de protection de l’enfance et dans la mise en place des propositions faites ; On n’est pas dans la logique de chercher ce qui serait le plus adapté mais « quelle solution ai-je sous la main ? »

– Quand le dispositif  prend le pas sur l’accompagnement, faisant perdre le sens de l’accompagnement et du travail social (délais imposés );

– renvois de la « patate chaude » 

– Stress lors de rédaction d’une évaluation crainte de ne pas avoir le temps de rédiger et de « mal » évaluer

– Gérer plusieurs situations difficiles en même temps notamment en protection de l’enfance

Origine du Stress : Gestion vie professionnelle /personnelle,

gestion du temps

CAUSES

PROPOSITIONS

– Maintenir l’équilibre vie familiale / vie professionnelle- Les trajets en voiture chronométrés- Gérer les accumulations de retard de travail ou la surcharge de travail qui est plus importante à certaines périodes- Perte de temps (rendez vous pas venu, personne au tel)- Etre dérangé tout le temps quand les situations à traiter et le travail s’accumule après avoir donné la priorité aux entretiens prévus avec les usagers, trouver le temps de rédiger les écrits et traiter les mails 

 

– Formation gestion du temps

– S’imposer des limites / horaires- Régulation des charges de travail

– Se centrer sur les besoins

– En parler en équipe et à la hiérarchie

– Tenter de développer une communication qui respecte chacun (écriture d’une charte d’équipe) : organisation durant les absences, définitions communes des urgences, règles de travail en équipe

– Faire entendre et reconnaître ses besoins, ses limites sans que ce soit au détriment des collègues

– Utiliser des lieux comme l’analyse de la pratique pour développer des stratégies

– Faire remonter, chiffres à l’appui les moyens supplémentaires (volance voire auxiliaire)

– Bien baliser son agenda

– Prévenir le secrétariat qu’on n’est pas disponible pour se concentrer sur une chose à la fois (refuser un appel)

– Informer les organisations syndicales, le CHS

Informer la Délégation Ressources

Origine du Stress : Les contraintes matérielles

CAUSES

PROPOSITIONS

– Bureau inadapté par exemple sans ouverture sur l’extérieur, ou circulation difficile voire impossible autour du bureau…)- Le fait de ne pas avoir le matériel nécessaire sur les lieux de permanence et l’organisation que cela représente- Ne pas pouvoir garantir à l’usager un accueil convenable (délais de RV ; confidentialité : Entendre tout l’entretien du bureau mitoyen)- Locaux très froids et mal ensoleillé : avoir l’impression d’être hors de la réalité du temps  parfois difficulté à se concentrer- Mauvaise configuration des locaux- Imposition de nouveaux locaux : perte de repères

– Manque d’un bureau/ nombre d’agent

– Ne pas réussir à se garer pour aller au travail le matin

– Le bruit

– Agressivité de la sonnerie de la porte d’entrée

– Echanges entre collègues

– Demander à la hiérarchie les moyens et conditions nécessaires à l’activité

– CHS ; correspondant conditions de travail, hygiène et sécurité

– Faire appel aux représentants du personnel (syndicats) et à la médecine du travail

– Faire appel au service relations humaine

– Droit de retrait pour les mauvaises conditions de travail qui perdurent

– Quand on n’a pas de bureau : faire de la documentation, travailler sur un micro ailleurs 

Sur la question du stress lié aux dispositifs, il est à noter la place importante prise par la Protection de l’Enfance (1/3). Sur les réponses, il est fait état de l’intérêt de faire appel à l’encadrement qui a une place spécifique à prendre dans ce domaine.

Il y aurait sans doute beaucoup à dire et à écrire à partir de ce travail qui avait mobilisé les professionnels. Il me semble qu’il peut permettre de mieux prendre en compte les sources des éléments de stress professionnel qui peut être largement partagé en d’autres lieux. C’est pourquoi il m’est apparu intéressant de vous le communiquer.

note : j’ai préféré utiliser le terme d’assistante sociale au féminin car 3  hommes et 53 femmes ont participé à ce travail. Je pense que dans ce cas, le féminin peut l’emporter.. Nous avions travaillé à deux  (avec ma collègue en 2011, Céline Olivier)  pour animer ce travail associant nos collègues. Que toutes et tous en soient ici remerciés. 

 photo : Visualhunt

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