Sylvie Kowalczuk, titulaire du diplôme d’État d’Assistante de service social et d’une maitrise en sciences de l’éducation, a tenté de répondre à cette question dans un article paru tout récemment dans le Sociographe. Je vous en propose quelques extraits avec son accord, car ce sujet intéressera beaucoup de travailleurs sociaux notamment celles et ceux qui se posent des questions sur leur avenir professionnel.
Je suis bien dans mon poste. Pourquoi ?
« Pourquoi reste-t-on ? Pourquoi part-on ? Et si ma position signifiait un bien-être professionnel ? Oui. Je peux dire ceci. Je suis bien dans mon poste. Et si je ne vais pas spontanément vers le changement, je reste très curieuse et entretiens mon esprit d’innovation. Quoi qu’il en soit, le changement vient vers moi. Car soyons clairs, la société est en perpétuel mouvement et, bien que je sois assistante sociale en polyvalence de secteur sur un secteur rural, je suis tout de même impactée par ces changements ! »
« Je peux dire que si je n’ai pas changé de secteur, le secteur sur lequel je suis a changé. Dans le cadre d’un redécoupage de secteur : les contours géographiques de mon intervention ont changé ; l’équipe de cadre a changé à de nombreuses reprises ; l’équipe pluridisciplinaire a également changé ; mes missions ont évolué ; les politiques sociales changent en permanence ; mes pratiques changent également au gré des formations, des publics rencontrés, de mes lectures » …/…
« Partir, changer, signifie selon moi rechercher un point d’équilibre plus en accord avec ses valeurs, avec soi-même. Rester en revanche ne veut pas obligatoirement dire que cet équilibre est trouvé. Il implique plus de facteurs. On peut rester sur son poste parce qu’il n’y a pas d’autres opportunités. …/…
Rester, c’est aussi supporter les injonctions paradoxales, les consignes et des conditions de travail qui vont à l’encontre de nos valeurs parce que la relation d’aide, la relation humaine avec les personnes accompagnées est encore la plus forte. Il s’agit de mesurer le ratio-bénéfice/risque, tout comme les vaccins. « Je n’aime pas ce qu’on me demande de faire ou comment on me demande de le faire, mais j’aime être avec les personnes qu’on me demande d’accompagner ». Lorsque ce dernier rempart craque, alors il n’y a plus rien qui nous retient sur le poste.
« J’aime le service public ».
« J’aime être un maillon de la chaîne qui œuvre à la réduction des inégalités même au fin fond des campagnes, là où il n’y a plus que le facteur qui passe. J’aime la diversité des situations qui ne laisse pas de place pour la routine. Au fil des années, j’ai le sentiment, à l’image du médecin traitant, appelé aussi médecin de famille, d’être le généraliste du social du secteur. Je suis reconnue par les habitants, les élus, les partenaires. Il me semble que la fluidité des accompagnements en est améliorée. » …/…
« Les remises en question ne sont pas le monopole des professionnels adeptes de la mobilité professionnelle. D’ailleurs, il existe des professionnelles qui changent de poste régulièrement sans pour autant se remettre en question. Plus radical, changer de voie professionnelle implique une vraie réflexion qui devra quasi systématiquement passer par une formation….
Un questionnaire pour mieux comprendre
Sylvie Kowalczuk a proposé un questionnaire diffusé via les réseaux sociaux permettant de mesurer notre sentiment sur la durée de vie professionnelle du travailleur social. Ce questionnaire a eu très rapidement beaucoup de réponses. En l’espace de quatre jours, plus de mille professionnels ont répondu, ce qui démontre une forte appétence pour cette thématique. Le profil du public-cible se réparti comme suit :
- 93 % des répondants sont des femmes.
- 70 % ont 39 ans ou moins.
- 47 % sont éducateurs,
- 41 % assistants de services sociaux,
- 11 % de conseillers en économie sociale et familiale, (1 % autres).
- 83 % occupent leur poste depuis moins de 5 ans
- 15 % depuis plus de 11 ans.
Lors de leur premier poste, les professionnels déclarent avoir d’abord été portés par l’envie pour 72 % des répondants et la passion pour 50 % d’entre eux. Viennent ensuite, de façon récurrente, la conviction, la motivation, l’engagement, le sentiment d’utilité… 90 % d’entre eux déclarent avoir choisi leur poste actuel et 85 % disent choisir de rester sur ce poste.
Nous pouvons donc imaginer que les conditions d’exercice sont acceptables, voire satisfaisantes. 62 % sont satisfaits (épanouissant, très satisfaisant, satisfaisant), 77 % si on ajoute l’item acceptable. Mais si ces réponses ne permettent pas de mesurer un éventuel malaise, il faut toutefois y regarder de plus près.
62,6 % des répondants tient un discours positif sur son poste et son métier : « je l’aime toujours autant », « enrichissant, intéressant, toujours de nouvelles informations et de nouvelles manières de pratiquer », « je l’aime toujours autant, car j’arrive toujours à séparer, dans mon esprit, les contraintes institutionnelles de mes accompagnements. Puis, avec l’expérience, j’ose plus innover et faire comme je l’entends dans l’intérêt des gens ».
22,9 % des personnes qui ont répondu tient un discours négatif : « l’impression de manier des dispositifs sans grande marge de manœuvre, sentiment d’être technicienne », « perte de sens », « les conditions de travail se dégradent : charge de travail en augmentation, non-remplacement, pression, objectifs à atteindre… Problème de reconnaissance et de non-rémunération à sa juste valeur ».
Enfin 14,5 % des avis sont partagés entre la passion du métier et les mauvaises conditions de travail : « toujours la même passion tout en étant épuisant », « métier très intéressant, mais qui demande beaucoup d’énergie et qui est donc fatigant ».
Une question de génération ?
Ces réponses nous permettent de prendre garde à ne pas généraliser nous indique Sylvie Kowalczuk. C’est vrai. Mais l’expression du mécontentement est souvent plus visible et audible que les situations qui vont bien, car dans ce cas, on ne dit rien. Afficher sa satisfaction dans son travail n’est pas chose courante, par contre dire ce qui ne va pas est beaucoup plus fréquent
Il ne faut pas pour autant minorer la part des personnes qui expriment une souffrance (22,9 %). Mais le souhait de quitter son travail ne veut pas pour autant dire que l’on souhaite quitter la profession : sur les 25 % qui envisagent de changer de poste, 45 % souhaitent un poste de travailleur social, quand 20 % désirent quitter le social. Les raisons qui sont avancées dans la volonté de changement ne sont pas toutes en corrélation avec les mauvaises conditions de travail.
Dans son article l’auteure prend soin de nous alerter : son étude contient des biais qu’il faut prendre en considération. Ainsi certains commentaires auraient mérité d’être mis en parallèle avec le nombre d’années d’expérience. Il semblerait que la génération plus ancienne montre une capacité de résistance et de persévérance dans le métier. Par contre, de jeunes professionnel(le)s voient les choses différemment, écrit Sylvie Kowalczuk : Certains peuvent déclarer après moins de cinq ans de carrière « je réfléchis déjà à me réorienter », « nous sortons de l’école pleines d’illusions. La réalité est bien différente », « je ne me vois pas faire ça toute ma vie ».
Il le semble en lisant cet article que les jeunes professionnel(le)s sont plus exigeantes sur les valeurs et le bien être au travail que les générations « installées » qui de leur côté ont appris l’art du compromis et du pragmatisme sans illusions. Mais pour autant, comment aurions-nous réagi lorsque nous étions jeunes professionnels ? Sans doute de la même façon que la génération actuelle qui mesure vite la distance entre le travail prescrit, celui qui est idéalisé, et celui qui est réalisé. Avoir conscience des écarts entre ces 3 dimensions est une bonne chose.
Je rejoins tout à fait l’auteure lorsqu’elle nous dit dans sa conclusion que « les professionnels restent lucides sur leurs conditions de travail qu’ils trouvent en majorité en inadéquation avec les valeurs du travail social. Néanmoins, précise-t-elle, ils démontrent une grande capacité d’adaptation et font preuve de beaucoup de pragmatisme dans leur façon de gérer les pressions provenant de toute part.
Une réponse
Pour m part, Didier, je rencontre de professionnel(le)s fatigué(e)s, en reconversion ou en burn out même de jeunes pros (en qui concerne les ES à Marseille). Le secteur épuise bon nombre, les attentes par rapport au métier changent, la pression du résultat pèse (ah les logiques managériales et la marchandisation du secteur): qu’il est loin le temps de Deligny. Il en est du terrain comme de la formation